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Le design, centré en France sur l'esthétique, se met au service des populations défavorisées et de l'innovation. Une nouvelle approche qui a fait l'objet d'une conférence organisée par IMS-Entreprendre pour la cité.

«Design social & innovations pour les plus pauvres.» Le sujet a été débattu lundi 26 mars au Lieu du design, à Paris, à l'initiative d'IMS-Entreprendre pour la cité. L'association fédère un réseau d'entreprises souhaitant se développer en répondant aux besoins et attentes de la société, dans une logique d'intérêt mutuel. Les démarches de «business inclusive» l'intéressent tout particulièrement. Elles favorisent l'accès des clients pauvres et discriminés aux produits et services des entreprises. «Nous les aidons à identifier et construire de nouveaux modèles économiques répondant aux besoins réels de clients jusqu'à alors exclus du marché», commente Olivia Verger-Lisicki,responsable «business inclusive» de l'IMS.

La démarche, baptisée BOP pour «Bottom of the Pyramid», fait des adeptes: Danone commercialise un yaourt répondant aux besoins nutritionnels des enfants bangladais à un prix très accessible. Le groupe de matériaux de construction Lafarge favorise l'accès au logement durable des classes défavorisées en Inde. Dans le même pays, l'opticien Essilor a mis sur pied un modèle de vente de lunettes adapté aux plus pauvres.

Lors de la conférence, Frédéric Beuvy, directeur design et ergonomie de Schneider Electric, a raconté comment son entreprise apporte la lumière en Inde pour quelques roupies. Spécialiste mondial de la gestion de l'énergie, reconnu parmi les entreprises les plus éthiques au monde, Schneider Electric développe des solutions d'accès à l'énergie pour le bas de la pyramide sociale. En 2009, le groupe a lancé un système à base de LED basse consommation permettant de recharger un téléphone portable et d'apporter un éclairage fiable, propre et modulaire aux populations n'ayant pas accès à l'électricité. Baptisé In-Diya, ce système est conçu pour fonctionner avec trois sources d'énergie: le réseau électrique, l'énergie solaire et une batterie externe rechargeable. Mais sa conception n'a pas été un long fleuve tranquille. «La première version du produit, conçue par un ingénieur à Paris, était très fiable. Mais plusieurs problèmes sont apparus sur le terrain», raconte Frédéric Beuvy. Exemples: le crochet de suspension de la lampe ne pouvait se fixer dans les murs des maisons en pisé, la petite corde utilisée pour l'allumer était mangée par les insectes.

«Les démarches du type BOP nécessite plus que jamais d'être proche des utilisateurs. Il faut faire un «reseat» total de ses principes et de ses réflexes, s'approprier d'autres usages et comportements, s'immerger, regarder, sentir, toucher», raconte Frédéric Beuvy. L'ancien directeur du design du groupe SEB arrivé chez Schneider Electric pour développer un design de marque a donc cherché à améliorer le système In-Diya. «Nous avons d'abord noué un partenariat avec des étudiants de l'Ecole nationale supérieure de création industrielle. Mais nous n'avons rien obtenu d'exploitable, explique Frédéric Beuvy. Impossible, là-encore, de concevoir une solution pertinente si vous n'êtes pas dans le contexte.» Résultat : la nouvelle version est aujourd'hui pensée par des designers locaux dans un bureau de Schneider Electric ouvert à Bangalore (Inde).

Fondamentale innovation

Audrey Richard-Laurent, consultante en innovation et design d'interaction, a dû, pour sa part, effectuer un stage de six mois à la polyclinique Baudelaire, à Paris, pour faire entrer le design dans un univers qui y est peu familier, celui de la santé. «C'est un service de l'hôpital Saint-Antoine conçu pour les patients précaires et de catégories sociales défavorisées qui rencontrent des problèmes d'expression et de compréhension. Or le suivi des traitements est le principal facteur de succès ou d'échec thérapeutique», explique-t-elle. D'où son idée de créer des outils de communication qui facilite l'observance des prescriptions. Depuis, elle a mis au point un système d'autocollants représentant des pictogrammes adaptés aux conseils médicaux: un repas barré pour dire venez à jeun, par exemple, bien plus lisible que l'écriture d'un médecin. Dessinés à la main pour gommer l'aspect froid ou commercial, ils favorisent, de l'avis du personnel, une meilleure compréhension des patients.

«Cette approche est nouvelle, ajoute Audrey Richard-Laurent, cofondatrice en France de l'Association du design d'interaction (Sustainable Interaction Design), lancée en 2003 aux Etats-Unis. Il s'agit de qualifier la qualité d'une expérience utilisateur quand la culture française fait primer l'esthétique sur la fonctionnalité, dans une approche purement technique et technologique, précise-t-elle. Nous essayons d'être associés très en amont des projets pour que technique rime avec innovation d'usage.» Une démarche qui a le vent en poupe. Il n'y a jamais eu, selon elle, autant d'offres d'emploi «user experience» dans les entreprises et les agences de communication, qui l'appliquent essentiellement à la communication digitale.

Olivia Verger-Lisicki a rappelé lors de la conférence combien le «design inclusive», «design universel» ou «design for all» se développe dans les pays anglo-saxons. Ou comment concevoir un produit, un service ou un environnement adapté au plus large éventail possible d'usagers, sachant que si l'on conçoit un produit accessible aux handicapés, il conviendra toujours aux personnes valides… «Le rôle du design ne consiste pas seulement à faire beau. Il est fondamental pour innover. Il s'appuie non sur ce que disent les études, mais sur ce que les gens font en les observant

S'ancrer dans les usages

Des propos qui font écho à ceux de Delphine Manceau, également intervenante lors de la conférence. La directrice de la division corporate Europe de l'Ecole supérieure de commerce de Paris a expliqué comment le designer est aujourd'hui le plus à même de répondre à l'un des enjeux fondamental de l'entreprise: l'innovation. Dans un rapport remis au ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi, François Baroin, intitulé «Pour une nouvelle vision de l'innovation», Delphine Manceau rappelle en effet l'importance de l'innovation non technologique. «Vingt-trois pour cent seulement des entreprises françaises y ont recours, contre plus de 50% en Allemagne et dans l'OCDE, a-t-elle expliqué. Or l'innovation couvre un champ bien plus large que les brevets et la recherche et développement [R&D]».

Selon une étude signée Booz Allen Hamilton, Apple est ainsi la deuxième entreprise la plus innovante après Google, tandis qu'elle est classée 70e en termes d'investissement R&D. Cette différence prouve que l'innovation se trouve à tous les étages de l'entreprise: processus, organisation, marketing… Une approche trop technologique peut, par ailleurs, s'avérer totalement inefficace: dans beaucoup d'appareils mis sur le marché, les nombreuses fonctionnalités ne sont utilisées qu'à 20 ou 30% de leur potentiel, faute d'une réflexion suffisante sur l'usage et sur la communication nécessaire pour s'approprier l'innovation. Difficile donc de la cantonner à un seul service de l'entreprise. L'innovation doit, au contraire, intégrer des compétences multiples, se faire plurielle et transversale. Elle doit s'ancrer dans les usages. «L'innovation technologique est bancale si elle n'intègre pas une profonde compréhension des usages en amont. Ce qui est, par essence, le travail du designer», a rappelé Delphine Manceau. Elle doit enfin intégrer une diversité de profil et d'expertises. Une vision transversale et pluridisciplinaire qui est, là-encore, l'un des points forts du designer.

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