Le géant des réseaux sociaux, qui vient d'entrer en Bourse, n'en est encore qu'aux prémices en matière de monétisation de sa plate-forme. Les annonceurs trépignent. Mais gare aux réactions des utilisateurs.

Un buzz planétaire pour une entrée en Bourse en fanfare. Une opération de plus de 16 milliards de dollars. Un record pour une valeur Internet et la deuxième plus grosse opération de l'histoire boursière américaine. L'introduction au Nasdaq de Facebook, vendredi 18 mai, valorise le géant des réseaux sociaux à plus de 104 milliards de dollars, soit près de 30 fois son chiffre d'affaires.

Las! Les premières cotations ont été décevantes: +0,61% le jour d'introduction et –10,99% le deuxième jour. En dépit des performances de cette toute jeune société créée en 2004, sa dépendance à la publicité – 85% de ses revenus – laisse planer un doute sur l'avenir de son modèle économique. Et ce d'autant que Facebook a annoncé pour le premier trimestre 2012 une baisse de ses bénéfices et un recul de 7,5% de ses recettes publicitaires. Trois jours avant l'introduction en Bourse, General Motors (GM) décidait de suspendre ses investissements publicitaires sur le réseau, soit 10 millions de dollars, en maintenant cependant ses contenus pour lesquels il dépense 30 millions.

«Facebook est un média d'une nouvelle ère s'inscrivant dans une logique “paid, owned, earned” et non “top-down”. Manifestement, GM est resté sur cette dernière», commente Yves Del Frate, directeur général adjoint d'Havas Media.

Il n'en fallait pas plus pour lancer le débat sur l'efficacité de Facebook pour les marques. «La publicité sur Facebook offre un des retours sur investissement les plus faibles des médias sociaux», pointe Marco Tinelli, président de l'agence Fullsix. Les chiffres de Kantar Media en témoignent (voir graphique). Entre des utilisateurs qui font la force du réseau, mais qui sont dans une démarche d'échange non commerciale, et des annonceurs, source de revenus, qui ont pour objectif de toucher ces millions de clients potentiels, le réseau social n'a pas encore trouvé la voie. «Facebook a péché en se calant trop sur les offres publicitaires de Google, alimentées par un système de mots clés. Or, sur Facebook, ces mots clés sont peu renseignés par les utilisateurs», explique Marco Tinelli.

Exploitation plus fine des données

Dans un billet publié sur leur blog, Nate Ellott et Melissa Parris, analystes chez Forrester, sont catégoriques: «Le marketing sur Facebook ne fonctionne pas vraiment et les professionnels du marketing ne peuvent pas compter sur une prochaine amélioration. (...) Des entreprises nous déclarent ne plus être certaines que Facebook soit la meilleure plate-forme d'investissement pour le marketing social.» Les deux analystes invitent donc le réseau social à investir davantage dans de nouvelles solutions marketing et de nouveaux outils de mesure d'efficacité. Damien Vincent, directeur commercial de Facebook France, rappelle toutefois que «les pages fan, gratuites, permettent d'établir un lien avec le consommateur. Ce n'est pas un ROI [retour sur investissement] direct et court terme. Une fois que les marques voient qu'elles gagnent en notoriété grâce à leurs pages fan, elles achètent de la publicité pour les médiatiser.»

Le développement de nouveaux outils passera cependant par une exploitation plus fine des données des fans détenues par Facebook. «Il est encore difficile d'obtenir des données sur sa page et d'avoir de véritables indicateurs d'efficacité, d'autant que l'incertitude persiste en France sur la gestion des données personnelles, avec la Cnil [Commission nationale de l'informatique et des libertés] favorable à une plus grande restriction», note Claudine Voland-Rivet, directrice marketing innovation à l'Union des annonceurs (UDA).

Le sujet est sensible, comme le montre la mobilisation de certains utilisateurs, de l'association Internet sans frontières au collectif autrichien Europe versus Facebook en passant par une récente plainte, déposée en nom collectif, aux Etats-Unis pour atteinte à la vie privée. Mais après tout, Mark Zuckerberg, le fondateur de Facebook, n'avait-il pas déclaré dès 2010 que la vie privée n'était plus «une norme sociale»?

Quoi qu'il en soit, le réseau social en quête de revenus supplémentaires a multiplié ces derniers mois le lancement de nouveaux outils pour les marques comme les «offers» (coupons de réduction), les «sponsored stories» (actualités sponsorisées), Timeline, le nouveau profil des pages Facebook plus adapté à la mise en scène des marques, ou l'App Center (boutique d'applications). «En optimisant l'utilisation des applications, l'App Center est une bonne nouvelle pour les marques qui s'inscrivent dans une logique d'“earned media”, la seule qui vaille sur Facebook», estime Laurent Buanec, responsable des nouveaux médias de Group M.

Ce que confirme Stanislas de Parcevaux, directeur marketing d'Orangina-Schweppes France, dont les posts de la page Facebook Oasis, qui compte 2,3 millions de fans, touchent chaque semaine près de 10 millions de personnes: «Les quatre atouts de Facebook sont sa fréquence d'utilisation, 2 à 3 fois par jour, sa capacité à viraliser les contenus, sa rapidité de diffusion, 20 fois plus rapide que la télévision, et sa proximité.»

Un talon d'Achille nommé mobile

Autre amélioration notable pour les annonceurs: le «Reach Generator», présenté lors du lancement de Timeline. «L'algorithme Edge Rank, qui affiche les posts d'une page Facebook en fonction de l'engagement de ses fans, permet en moyenne de toucher 16% de ces derniers – 30 à 35% pour les marques les plus actives, explique Matthieu de Lesseux, coprésident de DDB Paris. Avec Reach Generator et sous condition d'achat d'espace, Timeline permet désormais de toucher 75% des gens qui suivent une marque.»

Mais le vrai talon d'Achille de Facebook reste le mobile. Aujourd'hui, plus de la moitié des utilisateurs accèdent à sa plate-forme via un smartphone. Or, Facebook monétise son audience sur les ordinateurs et non les mobiles, où la migration des publicités n'est toujours pas d'actualité.

«L'expérience sur mobile n'est pas encore à la hauteur de l'expérience sur PC», regrette Séverin Cassin, directeur de la communication digitale d'Orange, qui note toutefois des améliorations sensibles, entre autres sur les applications photo (le rachat en avril de l'application Instagram n'y est pas étranger). Il constate aussi des avancées en matière de relation client, avec la possibilité désormais de passer via Facebook à une relation «one-to-one». «En février dernier, notre opération sur le thème des services s'est acccompagnée d'une animation pendant un mois sur notre page Facebook – 350 000 fans à l'époque –, avec de nombreux contenus sur le sujet qui ont au final permis de recruter plus de 30 000 fans, sans compter l'exposition à nos contenus et l'engagement ainsi générés», se réjouit le responsable d'Orange. 

En revanche, le f-commerce ne soulève pas le même entousiasme. Les annonceurs semblent même avoir fait une croix sur ce dernier. C'est le cas de P&G, Gap ou Levi's. «Cela ne marche pas! Les gens ne viennent pas sur Facebook pour acheter», assure Matthieu de Lesseux. Un avis que ne partage évidemment pas Damien Vincent: «On a un taux de transformation le plus élevé sur les showrooms privés. Pour Voyages-SNCF.com, sur six partages de commandes auprès d'amis, il y a une vente générée.» 

Ceci dit, les marques sont en attente de nouvelles améliorations, notamment pour le mobile, mais aussi en marketing relationnel, avec des zones adaptées, ou encore en publicité, avec des formats immersifs via, par exemple, des vidéos ciblées grâce au «social graph» (réseau de connexions et de relations entre les fans). «Les marques attendent une meilleure accessibilité aux applications via le mobile et un perfectionnement du moteur de recherche, qui ne leur permet pas d'émerger dans la masse d'infos collectée», ajoute Sandrine Plasseraud, directrice générale de l'agence We are Social. Bref, les annonceurs comptent bien prendre au mot Facebook qui a l'habitude de clamer: «Move fast to break things.»

 

(encadré)

Chiffres clés

3,7 milliards de dollars. Chiffre d'affaires de Facebook en 2011.

901 millions. Nombre d'utilisateurs au 1er trimestre 2012.

25 millions. Nombre d'utilisateurs actifs en France.

46 minutes. Temps passé en moyenne chaque jour par utilisateur.

85%. Part des revenus générés par la publicité.

1 milliard de dollars. Revenus générés par les applications payantes.

20%. Part des revenus investis en R&D.

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