Les JO devraient être un immense succès populaire. Mais les organisateurs ont pris beaucoup de risques inutiles en matière de communication.

Une olympiade est un événement jubilatoire. Mais le temps finit toujours par livrer un jugement sévère, en dehors de quelques réussites majeures, comme ceux de Barcelone en 1992. Les Jeux de Munich en 1972 resteront ceux de la prise d'otage, Los Angeles en 1984 ceux du boycott soviétique, Séoul en 1988 ceux des yeux fous du dopé Ben Johnson, Atlanta en 1996 ceux d'un attentat meurtrier, Athènes en 2004 (et Montréal en 1976) ceux de l'endettement, Pékin en 2008 ceux des nuages de pollution.

Parfois symboliques, parfois graves, ces aléas ou ces défauts ruinent des années de travail. Rebecca Hopkins, directrice générale de l'agence londonienne ENS, spécialisée dans la gestion de crise des grands événements sportifs, explique qu'à de nombreuses reprises dans l'histoire des JO, «la plus grosse histoire n'a finalement pas été une prouesse sportive».

«Les Jeux sont à part, du fait que tout scandale, erreur d'organisation ou force externe est de nature à contrarier l'ensemble de l'événement, poursuit-elle. Les problèmes potentiels sont très divers: dopage, corruption, inconduites sexuelles, propos inappropriés, sécurité, transport ou encore météo. Même si chaque secteur économique doit faire face à des problèmes similaires, très peu sont confrontés à une audience aussi massive et passionnée.»

Sur quoi Londres 2012 peut-il se casser les dents? Jusqu'à présent, les différents responsables de communication du Locog, le comité d'organisation, ont globalement bien réussi leur opération, du choix de Londres en 2005 aux anneaux olympiques pendus au Tower Bridge en passant par l'imaginatif logo des JO.

Pourtant, à quinze jours du démarrage des Jeux, difficile de se défaire de cette impression que les organisateurs, et derrière eux le gouvernement, en font trop. Les moyens militaires déployés sont sans précédent en temps de paix pour le Royaume-Uni: 13 500 soldats activement mobilisés en plus de 24 000 agents de sécurité privés, deux porte-avions amarrés sur la Tamise, des missiles sol-air fixés sur le toit des habitations entourant le parc olympique, des avions de chasse Eurofighter Typhoon…

Alors que les budgets de la Défense ont été réduits de manière drastique, le gouvernement utilise les JO dans le même dessein que la Chine en 2008: assurer une forme de propagande devant prouver que le Royaume-Uni reste une grande puissance.

Ambiance refroidie

En 2005, le film officiel de candidature de Londres avait fait un tabac et beaucoup contribué à la victoire de la capitale anglaise. Tournée autour de la jeunesse, de la diversité, du dynamisme et de l'avenir, l'approche de Londres avait été inverse à celle de Paris au travers du film de Luc Besson. Depuis, des attentats terroristes (le lendemain de la victoire du dossier londonien) et la crise financière ont refroidi l'ambiance.

Le message principal du pays hôte se transmet toujours lors de la cérémonie d'ouverture et, pour le coup, il sera conservateur, comme l'a souhaité David Cameron, le Premier ministre. Parmi les figurants qui apparaîtront au centre du stade olympique: des dizaines de vaches, de moutons, de chevaux, de poules, de canards et d'oies. Une prairie géante et une ferme seront reconstituées, évoquant, selon le réalisateur Danny Boyle, en charge de cette cérémonie, le caractère authentique du pays.

La démonstration de force sécuritaire n'a pas fait la meilleure publicité pour le tourisme. Un site spécialisé, Jac Travel, a constaté que ses réservations étaient inférieures d'un tiers par rapport à l'été 2011, alors que Barcelone, Paris ou Berlin voyaient leurs réservations doubler. Ces derniers jours, les hôtels ont dû baisser en urgence leurs tarifs, qu'ils avaient auparavant doublés.

Même si David Cameron a récemment affirmé que les Jeux rapporteraient dans leur globalité au moins 13 milliards de livres à l'économie britannique, les faits démontrent que le tourisme classique dans les villes olympiques chute spectaculairement pendant l'événement et celles-ci mettent plusieurs années à s'en remettre. Atlanta, par exemple, a mis quelques années à retrouver son attraction touristique d'avant les JO de 1996.

Parmi les éléments suscitant une forte inquiétude: les transports. Les investissements ont été massifs pour rénover le métro et éviter une congestion majeure. L'enjeu est important, les modes de transport étant, avec le logement, le principal critère pratique retenu par les touristes. L'effet de loupe médiatique de ces deux semaines pourrait ruiner des années d'effort, pour peu que le cauchemar annoncé devienne réalité. Les conducteurs de bus et du métro ont demandé une augmentation.

Parmi les autres mauvaises surprises qui précèdent les JO, la faible ferveur populaire concrète, exprimée en nombre de licenciés, deux fois moins qu'espéré par le gouvernement. Déception d'autant plus grande que le pays a assisté au retour des NEETS («Not in Education, Employment or Training», pour «Ni étudiant, ni employé, ni stagiaire»), cette génération perdue rappelant celle du début des années 1980, qui ne s'est jamais vraiment remise de la crise économique et sociale aiguë de l'époque.

La main invisible 

L'événement ne va pas davantage dorer l'été des médias. Le groupe privé ITV enregistre des recettes publicitaires inférieures à celle de l'été 2011 et s'attend à une migration massive de son audience vers la BBC, qui a obtenu, en tant que groupe audiovisuel public, la priorité sur les droits des JO. Et les annonceurs ne se pressent pas au portillon. Les partenaires officiels, comme P & G et Coca-Cola, vont bien entendu mettre le paquet, mais les autres grands annonceurs font le dos rond pour mieux préparer la rentrée.

Les lois de plus en plus contraignantes sur l'«ambush marketing» sapent beaucoup d'initiatives. «Le Locog a adopté la tolérance zéro», estime Margot Parker, directrice d'Eurocom Consult, agence spécialisée sur le sujet. Il est allé jusqu'à interdire plusieurs dizaines de milliers d'entreprises ayant participé à la préparation des Jeux, notamment dans le secteur du bâtiment, d'utiliser cette information en tant qu'argument commercial. Avant de reculer il y a quelques jours.

Au pays d'Adam Smith et de la main invisible, la logique «business is business» semble avoir souvent pris le pas sur l'idéal olympique. L'acceptation de la firme Dow Chemical en tant que sponsor majeur a été très critiquée en raison de l'impact environnemental néfaste de l'industriel, pas vraiment adapté à la volonté initial de faire des Jeux de 2012 un modèle de «développement vert», de respect du corps, de la nature et des… oiseaux. «Cette option a été très mal perçue, estime Richard Brinkman, directeur de Kantar Sport. Mais d'un autre côté, si je suis entrepreneur et que je suis à la tête de cette entreprise, je me dis que j'ai fait exactement ce que je devais faire. En matière de stratégie de communication pure, Dow Chemical a parfaitement réussi son coup, ce partenariat leur fait une formidable publicité.»

«Les organisateurs des JO ont une tâche titanesque à accomplir, estime Rebecca Hopkins, de l'agence ENS. Ils doivent non seulement faire face aux questions fondamentales de compétition, de logistique, de sécurité et de transport, mais aussi faire face à un environnement médiatique qui répercutera l'information dans le monde entier, sans oublier leurs 40 “top sponsors” qu'ils devront à la fois contrôler et servir.» Et cette spécialiste de lancer, malicieuse: «J'espère que le Locog a un bon programme de relations publics.»

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