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A la recherche d’une monétisation perdue, les nouveaux distributeurs en ligne essaient de trouver des modèles économiques rentables, à l’ombre de l’hégémonie d’Itunes. A l’image des ventes de CD, les enseignes spécialisées dans la musique souffrent terriblement.

En dix ans, le paysage de la distribution musicale s'est radicalement métamorphosé. En 2002, un amateur de musique achetait tous les mois des albums CD à la Fnac et Virgin Mégastore, des sorties plus pointues en import chez un petit disquaire indépendant, tout en regrettant l'arrêt du logiciel de téléchargement illégal (à l'époque) Napster... Aujourd'hui, le même écoute souvent de la musique sur les sites de streaming Deezer, Spotify et You Tube et achète rarement des MP3 sur des plateformes de téléchargement légal. Les nouveaux distributeurs en ligne s'appellent Itunes pour les titres généralistes et de manière plus confidentielle, Beatport, Bleep, Juno ou Qobuz pour des titres plus pointus et de meilleure qualité audio. En 2012, l'amateur de musique se fournit aussi sur les réseaux de poste à poste (P2P, peer-to-peer) et amicaux... Et il a perdu l'habitude d'acheter des CD.

 

«Depuis dix ans, les jeunes Français achètent en moyenne un disque par an», souligne Laurent Bonnet, directeur marketing du site d'intermédiation My Major Company, qui s'est fait connaître avec le chanteur Grégoire. Plus largement, le marché de la musique enregistrée (tous supports physiques et numériques confondus) ne cesse de baisser depuis plusieurs années (lire l'encadré). «Une grande partie de cette évaporation des ventes de CD ne s'est pas transférée sur le téléchargement, car les gens ont réduit leur consommation de musique», estime Jean-Baptiste Thomas, directeur des produits culturels chez Amazon France.

 

Des ventes de MP3 timides

 

Si le chiffre d'affaires de la musique numérique croît beaucoup (+25,7% en 2011), il compte encore peu: 110,6 millions d'euros en 2011 contre 412,6 millions pour la musique sur supports «physiques». Il se répartit en trois familles, les sonneries de téléphone (13% du chiffre d'affaires de la musique dématérialisée), le streaming (36%) et le téléchargement légal (51%). Dans ce dernier domaine, Itunes occupe une position archidominante en France. Selon la dernière étude annuelle de l'institut GFK et du Syndicat national de l'édition phonographique (SNEP), le magasin en ligne d'Apple occupe une part de marché de 70,2%, dans les ventes (1) aux enseignes de téléchargement réalisées par les quatre majors du disque (Emi, Sony, Universal, Warner), très loin devant Orange (7,7%), Amazon MP3 (4,2%), Fnac Music (3,8%), Virgin Méga (3,6%), SFR (3,4%).

 

Dans leur communication, ces enseignes mettent l'accent sur le nombre de références (albums et titres à l'unité) disponibles en téléchargement, qui atteint les 20 millions pour certaines d'entre elles, comme Amazon MP3. «Nous visons l'exhaustivité absolue dans tous les genres musicaux, du plus commercial au plus pointu, affirme Jean-Baptiste Thomas. Nous voulons avoir le plus de titres possibles afin de répondre à toutes les demandes des clients.» Amazon vient également de lancer en France au mois de septembre son service de «cloud» (musique stockée sur un serveur distant et accessible partout), une tentative notamment de faire passer en douceur les internautes vers le marché légal de la musique.

 

«A l'heure actuelle, c'est le prisme de l'exhaustivité qui domine ce marché, mais cela pose le problème de la valorisation de la musique et de la consommation de produits “jetables”», analyse André Nicolas, responsable de l'Observatoire de la musique et coordinateur du rapport «L'évolution de l'état de l'offre de musique numérique». En nette progression, mais toujours fragile financièrement, le marché du streaming compte pour l'heure un trio de tête composé de Deezer (69,1% de part de marché), You Tube (14,6%) et Spotify (5,5%). «Apple a pourtant tenté d'empêcher le développement du streaming, observe André Nicolas. Pour les professionnels, il y a trois acteurs qui comptent en France dans la musique en ligne: Itunes, Deezer et Spotify.»

 

CD évenement

 

En ligne, on ne trouve pas que de la musique dématérialisée, mais aussi des CD et des vinyles. La vente par correspondance (tous canaux confondus) représente 6,1% du marché de l'ensemble de la distribution «physique», selon l'étude du Snep et de GFK. En comparaison, les disquaires indépendants ne pèsent que 0,8%.

 

Contre toute attente, une nouveauté a surgi dans ce secteur, la vente de CD événementielle. A l'occasion de la sortie de l'album du mannequin Baptiste Giabiconi, le site vente-privée.com opère depuis le 24 septembre un lancement en avant-première et en exclusivité durant trois semaines à prix cassé (6 euros). Ce n'est pas une première, puisque le site de déstockage a déjà fait de même avec des artistes aussi différents qu'Iggy Pop, Patricia Kaas ou Jean-Roch.

 

«Il faut créer de nouveaux modes de distribution, plaide Jacques-Antoine Granjon, cofondateur de vente-privée.com. Il n'est pas question de constituer un catalogue de musique, car notre métier consiste à créer l'événement. Nous sommes en cela l'opposé d'Amazon, qui est un site de besoins, alors que nous sommes un site de désirs. Si nos ventes événementielles de CD sont neutres financièrement, elles drainent une affluence de fans de l'artiste sur le site et des retombées très intéressantes pour notre image. A terme, nous voulons nous impliquer sur l'ensemble de la chaîne musicale, de la production de disques à la salle de concert, en passant par la vente de musique.»

 

Marasme en magasin

 

En magasin, les difficultés de la Fnac et de Virgin Mégastore reflètent les incertitudes de tout un secteur. Les distributeurs de biens culturels ont cependant repris les rênes de la vente de CD aux grandes surfaces alimentaires. Entre 2001 et 2011, la part de marché des grandes surfaces spécialisées a progressé de 22,5 points, passant de 32,4% à 54,9% des ventes (1) de CD audio réalisées par les quatre majors du disque (Emi, Sony, Universal, Warner), selon la même étude de GFK et du Snep.Ces chiffres révèlent en creux la désaffection des grandes surfaces alimentaires sur ce segment. Durant cette même période, leur part de marché a perdu 19,8 points, passant de 58 % à 38,2%.

 

Résultat, le premier vendeur de disque en France est une enseigne spécialisée, la Fnac, loin devant les autres distributeurs généralistes. Dans la catégorie des spécialistes, l'ex-«agitateur de curiosité» (54,3% de part de marché) devance les Espaces culturels Leclerc (16,7%), Starter (15,2%), Virgin Mégastore (11,5%) et Mediasaturn (1,3%).

 

S'ils ont récupéré des parts de marché des enseignes alimentaires, les distributeurs spécialisés ont cependant perdu 43% en valeur des ventes de CD de 2003 à 2010, selon le rapport «L'évolution des marchés de la musique en France» de l'Observatoire de la musique. «C'est un problème de gestion des mètres carrés en magasin, explique André Nicolas. Les distributeurs ont développé les rayons à plus forte marge au détriment de l'offre musicale qui se raréfie et se concentre sur les références les plus vendeuses.»

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