Année de la publicité 2012
Fabrice Hyber, plasticien omniprésent en cette fin d'année sur la scène artistique française («Matières premières» au Palais de Tokyo, «P.O.F.» au MAC/VAL, «Essentiel» à la Fondation Maeght et «Sans gêne» à l'Institut Pasteur) a toujours entretenu une relation décomplexée avec le monde de l'entreprise.

Dans un récent article du Monde, vous déclariez que nombre de choses que vous aviez mises en place il y a vingt ans, notamment dans votre rapport à l'entreprise, sont aujourd'hui frelatées. Que vouliez-vous dire?

Fabrice Hyber. Dans les années 1990, j'avais créé une société [UR, Unlimited Responsability, SARL fondée en 1994] destinée à nouer des liens entre les artistes et les entreprises afin de faciliter la production des œuvres. Mais avec le temps, tout cela s'est délité, même si beaucoup de choses se sont mises en place à l'époque autour de ce projet: du consulting pour les entreprises, de l'événementiel, des lieux de production… Mais tout cela manquait un peu d'exigence, on restait dans le design ou l'événementiel, alors qu'il est important de garder l'énergie de la fabrication, de la production de l'œuvre.

 

Pourquoi, très tôt, avez-vous souhaité créer ce lien avec les entreprises?

F.H. Tout a commencé par la création du plus grand savon du monde moulé dans une benne de camion avec le concours d'une société de détergents [en 1990]. C'est à la suite de cette expérience que j'ai créé les UR. Mais, en fait, cela remonte bien avant. Déjà enfant, j'ai toujours eu envie d'aller voir les lieux de production dans les entreprises. A Nantes, il y avait une grande usine de papier. Pour mon premier tableau 1m² de rouge à lèvres, qui est présenté en ce moment au Palais de Tokyo, Liliane France [marque de maquillage] m'avait donné des produits. Matra m'a également fourni des circuits imprimés avec lesquels j'ai fait une œuvre de 4m²… C'est là que j'ai vu qu'il y avait la possibilité de créer un échange entre artistes et entreprises, échange de matières et de savoir-faire. Dans le cas du plus grand savon du monde, ce n'était pas prévu initialement, j'ai fait de la communication interne pour l'entreprise. Cela a créé une émulation dans la société qui lui a permis de développer sa gamme de savon de Marseille.

 

Quel type de relation intaurez-vous avec les entreprises, par exemple avec Yves Saint Laurent Beauté autour de votre œuvre 1m3 de beauté?

F.H. Fin novembre, j'ai rencontré les équipes de relations publics d'Yves Saint Laurent Beauté du monde entier, soit une quarantaine de personnes. Je leur ai présenté l'œuvre qu'ils vont utiliser pour l'image de l'entreprise. Mais tout cela n'est pas écrit dans un contrat. Je n'aime pas les contrats, ça suppose des limites. Ce que je fais, ce n'est pas du mécénat, mais du partenariat basé sur un échange de compétences. Le mécénat, c'est un truc d'argent lié à des avantages fiscaux. Ça ne m'intéresse pas.

 

Les Réalisateurs est une nouvelle structure que vous montez à Nantes pour aider les jeunes artistes à produire des œuvres grâce au soutien des entreprises locales. S'agit-il d'une renaissance des UR?

F.H. J'ai mis fin aux UR en 2005. Je n'avais plus le temps de m'en occuper. Aujourd'hui, il faut relancer l'expérience. Les Réalisateurs sont une poursuite de ce type d'initiative. En début d'année prochaine, avec le concours des Beaux-Arts et de l'école Audencia à Nantes, nous aurons sélectionné huit à dix projets présentés par de jeunes artistes ou des étudiants d'école de commerce qui ont trouvé un projet artistique ou une entreprise qu'ils souhaitent soutenir. Chacun disposera d'une bourse de 10 000 euros par an, d'un enseignement et du soutien d'entreprises.

 

Les relations entre le monde de l'art et celui de l'entreprise ont-elles beaucoup évolué depuis vingt ans?

F.H. Jusqu'aux années 1970, il ne fallait surtout pas mélanger l'art et le commerce. Depuis, des artistes comme moi sont passés par là. Les entreprises manifestent aujourd'hui un bien plus grand intérêt vis-à-vis de l'art. Elles ont compris que cela pouvait servir leur image. Je suis contacté par de nombreuses entreprises pour échanger sur la création, notamment avec leur service marketing. Aujourd'hui, les responsables des marques de luxe, par exemple, n'ont pas la culture créative de ceux qui ont créé ces entreprises. C'est en partant de ce constat que je viens de commencer des portraits moraux d'entreprises. Trois sont présentés au Palais de Tokyo: 3M, Yves Saint Laurent Beauté et la Monnaie de Paris. Je pars généralement du logo ou de la matière utilisée par la marque. Pour la Monnaie de Paris, je me suis inspiré des pièces de monnaie qui évoquent pour moi des cellules souches, dans le sens où l'argent comme les cellules souches offre de multiples possibilités. 

 

Quels sont vos projets en cours en lien avec des entreprises?

F.H. Je suis en train de créer un jeu vidéo avec le soutien de deux entreprises pour la partie création et d'une troisième pour le volet distribution. Ce jeu propose un espace où n'existe ni planète ni être vivant. Le joueur construit son univers à partir de matières actives ou inertes venus d'autres mondes, s'appuyant toutes sur mes dessins. Il n'y a pas de 3D. Je vais m'installer pour cela pendant un an à Montréal où est implantée une des entreprises partenaires. Ce jeu et sa partie invisible, son arborescence, seront présentés lors d'une exposition au Grand Palais sous la forme d'un jardin artificiel. J'ai d'autres projets…, mais je ne veux pas trop en parler pour l'instant.

 

Finalement, Hyber est aussi une marque…

F.H. Etre une marque, ce n'est pas difficile. Hyber, c'est déjà un label. Mais j'aimerais surtout que ce soit un nom commun.

 

Que vous inspire la production publicitaire?

F.H. Elle est toujours très influencée par l'art. Je dis souvent aux entreprises: «Mais, prenez plutôt un artiste, ce sera moins chiant, moins cher.» Mais bon, c'est vrai que les publicitaires font un énorme travail. J'ai travaillé avec Dentsu au Japon vers 2002-2004. Il m'ont contacté suite à une de mes expositions présentée à Tokyo. Je suis intervenu chez eux, en amont, pour participer pendant deux ou trois jours à un «brain-storming» sur leurs dossiers en cours concernant de grosses marques, comme Toyota par exemple, mais aussi sur des dossiers à venir autour du bien-être, de l'écologie mentale, des comportements futurs. Comme je vois des choses qu'ils ne voient pas, ils aiment bien ça. J'y serai d'ailleurs à nouveau en décembre. Pour moi, c'est une source d'inspiration, cela m'apporte de nouvelles idées, de nouveaux vocabulaires.

 

Avec l'expansion du marché de l'art, les œuvres ne se réduisent-elles pas finalement à de simples objets de consommation? 

F.H. C'est contre ça que j'ai créé les POF [Prototypes d'objets en fonctionnement, des objets du quotidien détournés de leur fonction originelle]. Ce sont des créations non marchandes. Des choses que les gens peuvent faire eux-mêmes et s'accaparer. Cela casse le système du marché de l'art. Les marchands comme les conservateurs de musées sont désarçonnés par mes POF. Ils ne savent pas trop comment les gérer. En fait, les musées répondent à une logique de fréquentation toujours plus grande, ils favorisent ainsi un rapport de consommation à l'art. Ceci dit, mes dessins préparatoires se vendent très bien. Ils sont aussi récupérés par le marché, mais c'est ce qui me permet de financer le reste.

Suivez dans Mon Stratégies les thématiques associées.

Vous pouvez sélectionner un tag en cliquant sur le drapeau.