Année de la publicité 2012
Avec Windows 8 et une stratégie multi-écrans, Microsoft tente de se réinventer pour l’ère post-PC. Le géant de l’informatique veut éviter sa marginalisation face au duopole Google- Apple.

Avec le lancement, le 26 octobre, de son nouveau système d'exploitation (OS) Windows 8, de sa version mobile Windows Phone 8, d'une tablette tactile, Surface, et d'une nouvelle version de sa suite bureautique Office, Microsoft est à l'offensive en cette fin d'année. Le montant de la campagne publicitaire mondiale, évalué entre 1,5 et 1,8 milliard de dollars par le magazine Forbes, donne la mesure de l'ambition mise sur ces produits.


«Le lancement de Windows 8 est le début d'une nouvelle ère pour Microsoft», a affirmé Steve Ballmer, le directeur général. «En réinventant Windows, on sort de l'ordinateur personnel pour prendre pied dans les smartphones et les tablettes», renchérit Marc Jalabert, directeur de la division Grand Public et Opérateurs chez Microsoft France.


En s'identifiant avec un compte Microsoft unique, on peut grâce à l'intégration d'Office, travailler sur des documents stockés dans le nuage informatique (cloud) de Microsoft, Skydrive, depuis un smartphone, une tablette ou un PC, jouer, naviguer, communiquer, avec une interface commune à tous les écrans, personnalisable, intuitive et colorée, faite de vignettes que l'on déplace du bout des doigts. Sans oublier la XBox, console de jeu vendue à plus de 66 millions d'unités dans le monde, qui évolue de plus en plus vers un centre de loisirs pour la famille sur le téléviseur connecté.

 

Microsoft entend cesser d'être le symbole d'une informatique grise, sans imagination, imposant sa loi aux fabricants de PC, pour vivre de la rente de son OS et d'Office, ultra dominants dans le monde. Déjà en 2010, avec Kinect, l'interface de jeu par reconnaissance gestuelle pour la Xbox 360, le groupe de Redmond avait montré qu'il était capable d'invention révolutionnaire. Même Steve Wozniak, cofondateur d'Apple et gardien de son esprit pionnier, a déclaré mi-novembre que Microsoft est désormais plus innovant que la firme à la pomme, qui se contente d'améliorer les mêmes produits.


C'est toutefois plus que d'un succès d'estime dont Microsoft a besoin. 2012 devrait marquer le premier recul en volume depuis 2001 des ventes de PC dans le monde. Or Windows équipe près de 90% des ordinateurs au monde. Le ralentissement de la demande de PC s'est traduit directement par une baisse du chiffre d'affaires trimestriel (juin-septembre 2012) du groupe de 8% et de son résultat d'exploitation de 26%. Un recul largement imputable à la division Windows - seconde contributrice au bénéfice, derrière la division Entreprises -, qui représente sur le dernier exercice 25% du chiffre d'affaires consolidé et plus de 50% du résultat opérationnel du groupe.

 

Détrôner Apple sur le marché des smartphones?

 

D'autres menaces justifient une réaction forte. Alors que la mobilité s'impose comme le nouvel horizon de l'informatique, Microsoft a perdu du terrain depuis la sortie des premiers téléphones sous Windows Phone. Son OS, qui équipait 5% des smartphones mi-2010, a vu sa part de marché tomber à 2,6% fin 2012, selon Gartner. L' Iphone tournant sous l'IOS propriétaire d'Apple d'un côté, et les modèles meilleur marché de Samsung, HTC, etc., fonctionnant sous l'Android gratuit de Google de l'autre, se partagent plus de 85% du marché. Avec 68% de part de marché, contre 19% pour Apple fin 2012, selon IDC, Android creuse son avance. Sur le marché des tablettes, l'Ipad d'Apple domine encore largement avec près de 54% du marché mais Android avance à grands pas (43%).


Apple lutte pied à pied pour garder sa place dans ce duopole dominant: l'éviction catastrophique de l'application de géolocalisation Google Maps du dernier Iphone 5, les multiples procès sur des brevets engagés par Apple contre Samsung pour faire interdire la commercialisation du Galaxy, le mobile le plus vendu au monde qui fonctionne sous Android, en sont l'illustration.


Depuis le sommet atteint le 20 août dernier, l'action Apple a entamé une glissade à la Bourse: les investisseurs s'inquiètent de sa capacité à proposer des innovations de rupture comme l'Iphone. Et Apple finit par agacer même ses afficianados les plus dévoués, avec son arrogance, son environnement propriétaire qui emprisonne l'utilisateur. Son aura «consumer friendly», obtenue contre Microsoft dans les années 1990, quand les deux ennemis se disputaient le contrôle de l'ordinateur personnel, pâlit (lire aussi page 54).


En juin, l'institut IDC prévoyait que Microsoft prendrait la place de numéro 2 sur le marché des smartphones derrière Google en 2016. En fin d'année, IDC est plus prudent: Windows Phone resterait troisième dans quatre ans (avec 11,4%) du marché des smartphones, loin derrière IOS (19%).


Pour s'imposer, Microsoft mise sur le partenariat avec des opérateurs télécoms en quête d'une alternative face à un Apple ou un Google tout-puissant, qui voudraient imposer dans les smartphones leurs propres services et leurs conditions de partage de revenus, au détriment des opérateurs. Pour le leader déchu, Nokia, qui a abandonné son propre OS Symbian, pour celui de Microsoft, la nouvelle génération Windows Phone est aussi l'occasion de la revanche.


Mais il faut aussi convaincre les développeurs, acteurs clés de l'écosystème mobile, afin d'enrichir le magasin d'applications pour terminaux Windows 8 et d'égaler la richesse des «appstores» des deux leaders. Longtemps mal aimé des développeurs, qui lui préféraient Apple, Microsoft multiplie à son égard les opérations séduction. Concours, programmes d'accompagnement... Microsoft veut être perçu par les développeurs comme aussi «cool» que ses concurrents. Voire davantage, avec un modèle de partage de revenu plus souple.


Mais son argument principal est que Windows 8 simplifie la vie des développeurs et donne accès à un large public: une application développée pour smartphones tournera sur une multitude de machines, tablettes, PC tactiles... de façon plus fiable qu'Android, univers plus fragmenté car ouvert à toutes les adaptations par les fabricants de matériel.


En lançant sa tablette Surface, Microsoft ne compte pas devenir un fabricant intégré du matériel au logiciel, comme Apple. «Ce n'est pas la première fois que Microsoft fabrique du matériel pour mieux valoriser les avancées de Windows et inciter les constructeurs à innover», explique Olivier Ezratty, consultant en médias numériques.


Avec son clavier qui se clipe à l'écran et l'intégration d'Office, la Surface est un hybride, entre tablette et PC portable, à un prix voisin de celui de l'Ipad d'Apple et vendu uniquement dans les boutiques Microsoft aux Etats-Unis et en ligne. Classiquement, Microsoft laisse les constructeurs sortir des machines au design innovant à tous les prix. Sony, Samsung, Dell, Lenovo, HP, Asus... ont déjà leur gamme de tablettes sur Windows 8.


Marc Jalabert table sur «5 a 6 millions d'utilisateurs en France sous Windows 8 d'ici quelques mois». Mais, à ce stade, les 40 millions de licences Windows 8 vendues par Microsoft depuis le lancement ne veulent pas dire grand-chose. Alors que la version Pro ne sortira qu'en janvier 2013, les sceptiques estiment que la migration des entreprises sera lente: la vraie innovation de Windows 8 se révèle avec des interface tactiles. Or l'équipement en PC à écran tactile, s'il doit se développer, prendra du temps. Les entreprises n'en ont pas un besoin urgent.

 

A l'inverse, d'autres considèrent que Microsoft a su anticiper la «consumérisation de l'informatique», qui efface la frontière entre ordinateur personnel et professionnel. Une vague qu'étudiants et CSP+ ont déjà prise. Si la tendance au «Bring Your Own Device» qui consiste à venir au bureau avec sa propre machine se généralise, Microsoft sera aux avant-postes. Sans doute ne régnera-t-il plus jamais comme avant sur le PC de bureau. Mais il aura pris sa place dans un monde d'écrans et d'usages convergents.

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