Année de la publicité 2012
Axe, Novotel, Chevrolet... ces marques peuvent dire merci aux Mayas, qui leur ont permis de surfer sur la fin du monde. Décryptage de ce raz-de-marée publicitaire.

Vos rations de survie (pop-corn et soda) sont bien stockées? Votre bunker sécurisé (un salon avec canapé et grand écran fera l'affaire) est fin prêt? Votre combinaison de protection - pyjama dernier cri - également? Alors il n'y a plus qu'à attendre le cataclysme, annoncé pour ce vendredi 21 décembre au soir, confortablement lové dans votre sofa, devant l'un des nombreux programmes consacré à la prédiction maya.

 

Ce grand frisson est largement sponsorisé depuis un an: Axe, Suite Novotel, Chevrolet ou Old Spice se sont improvisés partenaires officiels de la fin du monde 2012. Pourquoi les marques se sont-elles massivement associées à cette annonce, prophétisée par un calendrier maya? Quels sont les bénéfices pour elles? Pourquoi ce non-événement a-t-il un tel retentissement planétaire?

 

«Happy end of the world»! Le slogan de la publicité Axe donne le ton du positionnement choisi par les marques vis-à-vis de la fin du monde: léger et décalé. D'ailleurs, un homme y construit une arche de Noé en bois, dans laquelle il accueille des dizaines de jeunes femmes, taille mannequin, grâce au pouvoir magique du déodorant. Une fin du monde qui s'annonce sous de bons auspices pour lui.

 

«Tout le monde sait que cela n'aura pas lieu, du coup ce rendez-vous correspond à une grande fête destroy, analyse Laurent Maruani, professeur et coordinateur du département marketing à HEC. Comme cela s'accompagne d'une petite frayeur, cela revient à participer à Halloween.»

 


Dans un contexte de presque fin du monde et d'incertitudes dans la vie quotidienne avec une économie au bord du précipice et un chômage qui grimpe inexorablement, le 21/12/2012 est un catalyseur, une façon de crever l'abcès. En plus, la couverture médiatique de ce non-événement maya est telle depuis plusieurs mois que les marques s'adressent à un public largement averti. «Tout le monde connait la date, l'audience est déjà convertie, note Sébastien Genty, directeur général adjoint et directeur du planning stratégique de DDB Paris. Et puis il y a un imaginaire très fort, un territoire d'expression, des codes préétablis partagés universellement.» Du pain bénit pour les créatifs.

 

La publicité pour la Chevrolet Silverado, diffusée en février dernier pendant le Superbowl, s'inscrit bien dans cet univers: un 4X4 roule au milieu d'un paysage dévasté, jonché de débris de soucoupe volante et sous une pluie de grenouilles. Le message: «La marque est plus forte que tout, elle est capable d'affronter n'importe quel apocalypse, commente Laurent Maruani. A la fin, il ne restera que le produit et les scorpions.» Cette dévastation est idéale bien sûr pour vanter la résistance et la fiabilité d'une voiture, selon Sébastien Genty, de DDB.


Le calendrier maya tombe à pic aussi pour certaines marques: à trois jours de Noël, cet apocalypse permet à celles qui ont moins de chances de se retrouver sous le sapin d'exister. Ainsi les entreprises liées au tourisme, au voyage, en profitent et jouent du second degré sur le thème «S'il vous restait une semaine à vivre, qu'est-ce que vous feriez ?". Cet achat correspond à un engagement plus fort qu'une emplette classique, presque un acte politique: si la fin du monde arrive, alors je peux brûler mon livret A!

 

«Se faire plaisir une dernière fois, il y a un ressort éminemment émotionnel derrière cette idée: " j'y crois et je me fais plaisir tout de suite, si la fin du monde avait lieu, ce bonheur serait acquis " », enchaîne Denis Darpy, professeur de marketing à l'université Paris Dauphine.

 

Un champ d'expression plutôt ludique pour les publicitaires, terrain idéal pour les jeux-concours, même si parfois l'offre est un peu tirée par les cheveux: à l'instar de celle du site Web Sun Location qui fait gagner aux «heureux survivants de la fin du monde un séjour au soleil bien mérité». Bof !

 

Le déodorant Old Spice, avec l'ancien joueur de NBA Dikembé Mutumbo propose depuis trois semaines un petit jeu en ligne, baptisé 4 semaines et demies pour sauver la fin du monde. Cet advergame est découpé en missions: première d'entre elles, stopper le Gangnam style. Plutôt fun. Assez réussi également, parce que totalement décalé, le site de conseils de survie à la fin du monde, créé par Suite Novotel, avec comme adresse: 21122012revival.com.

 

Peu de marques ont pris le risque de proposer des offres commerciales au premier degré, car elles savaient qu'elles ne seraient pas prises au sérieux. A noter toutefois celle, un peu décalée, repérée par le site Big Browser du Monde: «l'éditeur Edilivre propose des packs "immortalité" ou "éternité" permettant d'écrire et de stocker ses mémoires en lieu sûr pour une poignée d'euros. 6,666 euros pour conserver un exemplaire sur papier et une version numérique de son autobiographie sur clé USB dans un ancien bunker de la ligne Maginot. Et un peu plus cher pour qu'un auteur rédige, en plus, la biographie du client à travers une série de cinq entretiens de deux heures.» Pas sûr qu'ils aient fait le plein de commandes.

 

Comment s'explique cet «apocalypsemania»? Pour Michel Maffesoli, professeur de sociologie à la Sorbonne et auteur de «Homo Eroticus» (un ouvrage sous-titré "Des communions émotionnelles", publié par CNRS éditions, septembre 2012), il correspond à l'air du temps et sur ce coup-là, les marques ont le nez creux, avec d'ailleurs un temps d'avance sur l'intelligentsia.

 

«L'apocalypse au sens originel n'est pas catastrophiste, c'est une révélation, un cycle qui s'achève, nous éclaire le sociologue. Nous assistons à la fin d'un monde rationnel, remplacé par un pacte émotionnel. Cela s'accompagne d'un retour des tribus, de l'envie de vivre au présent, de faire de sa vie une œuvre d'art...»

 

Bref, les émotions s'invitent à tous les étages dans un monde en perte de repères, et où les religions sont en déclin. Un vide occupé par certaines marques qui n'hésitent plus à organiser des grands-messes ou des baptêmes de produits ultra médiatisés: «Les queues devant les magasins à chaque lancement de produits Apple font partie de ces nouveaux rites païens», complète Denis Darpy, de Dauphine. Et la célébration par les marques de la fin du monde également. Quant à celles qui ont loupé le coche, elles pourront toujours se rabattre sur les autres fin du monde prévues d'ici 2030.

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