SAGA
La vénérable marque de thé russe, rachetée il y a dix ans par un entrepreneur français, entend titiller Mariage Frères et Dammann. Au prix d’un marketing offensif et d’un positionnement premium.

Des boîtes en métal semblables à des boîtes de caviar, colorées et ornées d'arabesques dorées, des mélanges de thés aux fragrances complexes et épicées, des noms évoquant l'empire des tsars, tel Prince Wladimir… C'est tout un univers russe et baroque qui auréole la  marque de thé Kusmi Tea. En dix ans, celle-ci s'est créé une belle notoriété et est même devenue branchée, ayant les faveurs de la presse féminine.

Pourtant, il y a encore dix ans, Kusmi Tea vivotait, connue des seuls initiés, avec un seul point de vente propre en France, avenue Niel, à Paris. Mais tout change en 2003 grâce à un entrepreneur, Sylvain Orebi, PDG du groupe familial Orientis. «J'étais dans le négoce de café, à mon compte, mais je voulais me lancer dans le thé et je cherchais une marque à reprendre. J'ai eu l'occasion de racheter Kousmichoff pour 500 000 euros», raconte-t-il.

L'entrepreneur confie volontiers les bonnes recettes qu'il a appliquées pour ressusciter la marque. Il faut dire que les ingrédients étaient à portée de main: «Une histoire romanesque depuis ses origines, des recettes russes de mélanges de thés et d'épices, un packaging bien pensé avec les boîtes de métal…», énumère-t-il.

Les origines de la marque offrent une matière inespérée pour broder un «storytelling» sur mesure. Créée en 1867 à Saint-Pétersbourg par la famille Kousmichoff, elle est un temps le fournisseur officiel des tsars, avant que ses fondateurs, fuyant la révolution, ne s'installent à Paris en 1917. Mais après de premiers succès viennent les premières difficultés, puis les changements de propriétaires avec, au final, une bien faible notoriété.

Lorsqu'il rachète Kusmi Tea, Sylvain Orebi mise sur ce capital historique: «On a retravaillé les attributs de la marque, les variétés de thés, les arômes.» Objectif: «Se positionner comme marque de thé premium, haut de gamme.» Et, surtout, devenir un concurrent direct des vénérables marques françaises Mariage Frères et Dammann.

Pour ce faire, un peu comme une start-up, il la finance à coup de levées de fonds: il lève 6,7 millions d'euros entre 2009 et 2011 auprès d'Audacia, le fonds d'investissement de Charles Beigbeder. Le réseau de distribution est revu et développé: après l'ouverture d'une première boutique en 2006, rue de Seine à Paris, en plein Quartier latin, Kusmi Tea compte aujourd'hui vingt-cinq boutiques et corners et essaime encore prudemment à l'international (Etats-Unis, Canada et Italie).

Exploiter le concepts en vogue

A l'inverse des boutiques Mariage Frères, en traditionnelles boiseries, celles de Kusmi se distinguent par des couleurs vives et un design moderne. La marque s'offre en décembre 2012 un luxueux pas de porte sur les Champs-Elysées, avec à l'étage un salon de thé Kousmichoff. Une dizaine de nouveaux points de ventes devraient ouvrir cette année, dont un à Londres mais aussi en Allemagne. Autre relais de distribution précieux, depuis 2005, le réseau des 180 Monoprix (sur les quelque 300 que compte l'enseigne) où Kusmi Tea est la seule marque de thé premium à être distribuée. En 2008, c'est Vente-privee.com, qui lui ouvre son site. Des atouts pour développer sa notoriété.

S'y ajoutent progressivement l'hôtellerie et les restaurants, où Kusmi commence à être proposé, à la manière de son concurrent Mariage Frères, comme les hôtels du Groupe Barrière ou les Novotel (Accor). Enfin, l'e-commerce est aussi devenu un relais florissant, Kusmi Tea assurant 9% des ventes dans le monde sur son site Internet.

Peu à peu, de nouveaux thés sont créés, dans un laboratoire implanté à Hambourg, en Allemagne: «On conçoit un nouveau thé par an, de la même manière qu'un nouveau parfum», explique-t-il. S'il ne recourt à aucune études de marché, Sylvain Orebi, en revanche, exploite les concepts en vogue: premier «carton» en 2007 avec le lancement de son thé vert Detox, où la traditionnelle boîte à arabesques devient d'un vert vif uni.

Parfait pour les fashionistas en quête d'un breuvage rassurant, la presse féminine adore. «Il est devenu presque immédiatement le numéro un de nos ventes, avec trois fois plus de ventes que celles réalisées par les thés Anastasia et Prince Wladimir », souligne Sylvain Orebi. Dans la foulée, il lance la même année une gamme bien-être, qui comprend des infusions et thés aux noms évocateurs: Sweet Love, Be cool, Boost, Euphoria. Suivra en 2010 une nouvelle filiale, bio, Lov Organics.

«Une stratégie de luxe»

Sa notoriété, Kusmi l'acquiert parallèlement et progressivement par une communication très offensive. Jusqu'à présent, pas de campagnes publicitaires: trop cher. «On a investi 3 millions d'euros en marketing entre 2004 et 2009», précise Sylvain Orebi. Relais plus événementiel, l'organisation de «soirées blogueuses» à partir de 2007 – avec une kyrielle de billets très favorables sur des blogs féminins – auxquelles succèdent des Kusmi Tea Parties, organisées lors de chaque ouverture de boutique (lire ci-dessous). Mais Kusmi Tea va pourtant s'offrir, courant 2013, sa première campagne publicitaire, conçue par l'agence Quai des orfèvres.

Depuis, la marque aligne les bons chiffres: 22 millions d'euros de chiffres d'affaires en 2012 (17 millions en 2011). Rentable depuis 2009, elle réalise une marge opérationnelle de plus de 12%. Ce qui lui permet d'investir: en 2011, la société rassemble ses 180 salariés sur un étage, dans le même immeuble que l'agence de publicité Ogilvy, à quelques encablures des Champs-Elysées.

La marque de thé revêt ainsi progressivement de nouveaux atours, entre maison de thé prestigieuse et connotation bobo, avec un certain sens de l'opportunisme, alors que le thé s'est dépoussiéré ces dernières années. Pour certains observateurs du marché, Kusmi Tea vend cher ses thés, avec un sens aiguisé du marketing, qui cible ces fameux bourgeois-bohèmes.

«Kusmi a mis en place une “stratégie de luxe”: exploitation d'un héritage légendaire – la Russie aristocratique, dimension fortement hédoniste de l'expérience Kusmi à tous les points de contact, montée systématique des prix moyens des gammes, distribution sélective, communication de type bouche à oreille…», décrypte Jean-Noël Kapferer, professeur de marketing à HEC, coauteur de Luxe oblige (éditions Eyrolles). Un petit cas d'école, à elle seule.


Dates clés

1867. Création de Kusmi Tea à Saint-Petersbourg, par la famille Kousmichoff
1917. Installation de ses fondateurs à Paris
2003. Rachat de Kusmi Tea par l'entrepreneur Sylvain Orebi
23 millions d'euros. Chiffres d'affaires en 2012.
75. Nombre de références.
19. Nombre de points de vente, auxquels s'ajoutent 6 corners.

 

Des Kusmi Tea Parties cobrandées
Depuis quelques mois, la maison de thé fait fureur avec ses soirées très sélect. Réservées à quelques VIP, elles permettent aussi de lancer des petites marques qui montent. C'est le cas de Paulette magazine, le féminin participatif, partenaire de la marque depuis ses débuts. Avant même le lancement de sa version papier en 2011, Kusmi Tea s'associe à Paulette et distribue ses produits lors d'événements organisés par le magazine (soirées, conférences de presse, ateliers…). En 2012, lorsque Kusmi Tea ouvre des boutiques dans tout l'Hexagone, c'est donc tout naturellement que Paulette participe aux Kusmi Tea Parties. Corner arborant les couleurs du magazine et «photocall» avec les lunettes cœurs emblématiques du titre, Paulette a une place de choix parmi des marques aussi variées que Gü, Paname ou Marlette.
Anaïs Richardin

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