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Cinquième et dernier volet de notre série sur la distribution spécialisée: le prêt-à-porter. Après des années d’expansion, les enseignes spécialisées cherchent un nouveau souffle dans un contexte fortement marqué par la crise et l’émergence d’un nouveau marché en ligne.

Ce sera l'un des enjeux de la rentrée 2013 dans le monde de la distribution spécialisée en habillement. La bataille, déjà rude, dans l'univers de la «fast fashion» (prêt-à-porter très grand public, caractérisé par d'incessants changements de collection) le sera encore plus avec l'arrivée prévue de l'enseigne anglaise Primark. «Celle-ci va bousculer quelques-uns des acteurs français du secteur», envisage Gildas Minvielle, responsable de l'observatoire économique de l'Institut français de la mode (IFM).

 

Une concurrence accrue qui tombe mal, puisque le prêt-à-porter subit une baisse continue de son activité depuis 2008, avec un recul de 2% en moyenne tous les ans. «Cela représente désormais une perte de 10%, après le tournant de 2007 qui constitue la dernière bonne année du secteur, estime Gildas Minvielle. Cette baisse sur cinq ans est un phénomène inédit.» En France, le marché du prêt-à-porter a représenté 28,6 milliards d'euros de chiffre d'affaires en 2012, selon l'IFM.

 

Rapportée à l'importance de ce volume total, la baisse est donc significative, d'autant que le marché est très fragmenté entre les différents acteurs. Une tendance accentuée avec la montée en puissance des nouveaux acteurs de la vente en ligne, notamment dans le déstockage.

 

Pourtant, la distribution spécialisée ne cesse de gagner des parts de marché et de grignoter celle des grandes surfaces généralistes, sans parler des petits commerces indépendants multimarques qui sont en voie de disparition.

 

Le nombre d'enseignes est à l'image de l'atomisation du marché. Sur le créneau très disputé de la «fast fashion», qui s'étend de l'entrée au milieu de gamme, on retrouve des chaînes d'envergure internationale. Du côté des enseignes étrangères bien implantées dans l'Hexagone, il y a les leaders, H&M, Zara et les autres marques du groupe Inditex (Bershka, Pull & Bear, etc.), suivis par les nouveaux arrivants comme le japonais Uniqlo (groupe Fast Retailing) en 2009 ou les américains Forever 21 et Hollister (groupe Abercrombie & Fitch) en 2012.

 

Du côté des chaînes françaises, Brice, Cache cache, Camaïeu, Celio, Jules, Kookaï ou Promod pour n'en citer qu'une poignée. A côté de ce milieu de gamme figurent les jeunes enseignes du luxe accessible (The Kooples, Maje, Sandro, Zadig & Voltaire).

 

Généralement situées en centre-ville ou dans les centres commerciaux, l'ensemble de ces chaînes spécialisées détiennent 27,4% de parts du marché du prêt-à-porter en France, d'après les derniers chiffres de l'IFM. A ce chiffre s'ajoute celui de ce que les observateurs appellent les chaînes grandes diffusion, c'est-à-dire des multispécialistes (hommes, femmes, enfants) comme Kiabi, La Halle ou encore Vêt affaires, qui évoluent dans le créneau du premier prix.

 

Ils totalisent 11,9% de parts de marché, si bien que l'ensemble des chaînes spécialisées représente 39,3% du prêt-à-porter en France. Ils sont les leaders du marché de l'habillement en France (cf. graphique ci-après). Et sont en position de force par rapport aux deux «victimes» du secteur, les hypers et supermarchés (12,6%) et les magasins indépendants (16,3%).

 

Par comparaison, en 1996, les grandes surfaces généralistes et les indépendants possédaient respectivement 17,1% et 25,7% de parts de marché, tandis que les chaînes spécialisées ne représentaient que 28,7%.

2008, changement d'ère

Pour comprendre les enjeux actuels du commerce d'habillement, il faut se plonger dans son passé. Pendant plus de quinze ans, les enseignes spécialisées ont joué sur les volumes et les prix. Les délocalisations et les économies d'échelle étaient les moteurs de leur ascension. «Les vêtements perdaient environ 1% de leur prix moyen chaque année, souligne Jean-Marc Genis, président exécutif de la Fédération des enseignes de l'habillement (FEH). Par rapport aux petits commerces indépendants, les chaînes ont apporté des prix plus bas et un renouvellement plus fréquent des collections. En ouvrant des magasins un peu partout, elles ont permis à la France rurale de délaisser la vente à distance (VAD).» Les perspectives de croissance sont alors à deux chiffres et les marges, confortables.

 

L'arrivée de la crise bouleverse cet équilibre. «A partir de l'année 2008, le comportement des consommateurs a changé, car ils ont acheté moins de prêt-à-porter, ce qui a fragilisé le modèle de développement des enseignes spécialisées», analyse Gildas Minvielle.

 

Un autre phénomène d'ampleur mondiale leur portera un deuxième coup d'arrêt. Au cours de l'été 2010, le prix du coton explose, tandis que les salaires chinois augmentent. La hausse des coûts se traduit désormais dans les magasins par une hausse des prix du prêt-à-porter des chaînes. Est-ce un simple lien de cause à effet? «Peut-être, mais c'est aussi une stratégie d'augmentation du panier moyen face à des clients qui achètent moins», relève Gildas Minvielle.

 

Afin de contrecarrer la baisse de leur chiffre d'affaires, les enseignes spécialisées essaient de se distinguer. Mais il n'existe pas de stratégie qui fasse l'unanimité. Certaines tentent de valoriser leur offre, ce qui permet d'augmenter les prix, notamment en faisant appel à des signatures prestigieuses pour des collections capsule très remarquées. C'est le cas d'Uniqlo avec la styliste allemande Jil Sander ou de H&M avec Alber Elbaz, le directeur artistique de la maison Lanvin.

 

En parallèle, un nouveau mouvement est observé, celui de la hausse notable des parts de marché des ventes en ligne. Elle est estimée à 11% pour l'année 2012 (ventes sur le Web des enseignes «physiques» et acteurs spécialisés confondus). Si les premiers acteurs spécialisés à s'être fait un nom ont opéré dans le domaine du déstockage en ligne (vente-privée.com, Showroomprivé, etc.), des sites anglo-saxons qui proposent de nouvelles collections sont en pleine progression dans l'Hexagone (Asos dans le milieu de gamme, Net-a-porter dans le haut de gamme).

Echec de la mode "responsable"

 

Les enseignes spécialisées s'engouffrent dans cette brèche également, même si H&M ne la propose pas encore en France. «Le Web apparaît comme un canal important, surtout pour les chaînes spécialisées qui ont besoin de sa complémentarité avec leurs magasins, estime Charlotte Bouvier, directrice de la communication et du marketing d'Uniqlo France. La distribution multicanal mêle commandes en ligne et services en points de vente et réciproquement.»

 

Contre toute attente, la crise n'a pas favorisé le développement de la mode dite «responsable». «On pouvait s'attendre à un passage à un modèle du “moins, mais mieux”, c'est-à-dire des produits plus chers et plus durables, avec moins d'achats, indique Gildas Minvielle. Mais ce n'est pas du tout ce que l'on observe actuellement: la crise n'a pas remis en question le modèle de la “fast fashion.”»

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