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Comment communiquer sur des nouvelles générations de réseaux Internet, en étant pédagogue, honnête et séduisant? Pas évident… Cela se vérifie avec la 4G et la guerre commerciale entre opérateurs, qui a pris un tour juridique. Même Bercy veut y mettre son grain de sel.

«Qui a la meilleure 4G?», interroge Orange. «La 4G de SFR: rapide, puissante et performante», affirme son concurrent. «Devenez qui vous voulez», lance, allégorique, Bouygues Telecom. Free n'est pas en reste, du côté de la fibre: «Le débit en fibre optique le plus rapide d'Europe.» Pour le moins, les slogans publicitaires des différents opérateurs autour de leurs offres d'ultra haut débit fixe ou mobile annoncent la couleur. Plus encore depuis que Bouygues Telecom a lancé ses propres offres 4G, le 1er octobre. Tous se livrent à une guerre commerciale en règle.

Impossible d'y échapper: les connexions Internet sur mobile et fixe font actuellement l'objet de massives campagnes publicitaires à la télévision, au cinéma, en affichage et à la radio. Après la 3G+ et la H+, voici donc la 4G, sans parler des packs Internet fixe nouvelle génération: ADSL+, VDSL, VDSL2 et fibre optique. Comment communiquer sur ces acronymes barbares? Un minimum de pédagogie s'impose, mais encore faut-il rendre désirables ces nouvelles générations de connexions Internet. Le cas de la 4G est d'autant plus sensible qu'elle s'est développée progressivement en France depuis le début de l'année.

En théorie, le «plus» consommateur est indéniable, la 4G offrant un saut technologique aux mobinautes, avec une connexion Internet à très haut débit, jusque 100 mégabits par seconde, soit 5 à 10 fois plus qu'une liaison ADSL classique. A la clé, des nouveaux usages tels que télécharger un album de musique en quelques secondes ou visionner une vidéo en haute définition en temps réel. A cela s'ajoutent des contenus exclusifs proposés par les opérateurs autour de la 4G. Cinq magazines ou journaux par mois, des jeux vidéo Gameloft, de la musique en illimité via son application Napster et son appli routière I-Coyote chez SFR; l'appli Ligue 1 pour voir l'ensemble des matchs du championnat de France ou encore un service Deezer premium chez Orange.

Entre mythes futuristes et missions concrètes

Reste à convaincre les consommateurs de passer, tout de suite si possible, à cette technologie. Or, selon les derniers sondages, la 4G les laisseraient plutôt indifférents. Selon une enquête Ipsos pour Prixel, 74% des Français ne sont pas intéressés par celle-ci, seuls les «geeks» (24%) ont l'intention de souscrire un nouveau forfait. Un autre sondage réalisé par l'institut Deloitte montre que 57% des sondés ne sont pas prêts à souscrire à une offre 4G.

Devant un tel défi de communication, tous les acteurs ont conçu leurs plans médias en deux volets: de grands spots institutionnels, à la télévision et au cinéma, contrebalancés par des campagnes d'affichage et dans la presse plus commerciales, voire agressives. Certains, comme Bouygues Telecom, osant même la publicité comparative.

SFR a dégainé le premier, dès février 2012, avec un spot montrant un futur papa à New York recevant en vidéo sur son smartphone la première échographie de son futur enfant. Le film (agence Leg) illustrait en 30 secondes une fonction concrète de la 4G, l'envoi très rapide de vidéos, promettant «vous pourrez demain échanger, télécharger, surfer à une vitesse incroyable sur votre mobile». En mars 2013, SFR annonçait être «le premier opérateur à apporter la 4G au grand public». En juin, dans un spot de 30 secondes, il mettait en scène les mythes futuristes de la téléportation pour montrer qu'avec lui, aujourd'hui, la fiction devient réalité.

Orange, de son côté, diffusait en juillet une publicité institutionnelle (Publicis Conseil), intitulée «La révolution digitale est en marche», montrant un bébé avec son grand-père, qui lui conte «ce petit doigt-là t'aidera à…». En septembre, l'opérateur historique s'offrait les services des très branchés studios Bagel pour concevoir trois spots (agence Marcel) destinés au Web, où le «youtubeur» La Ferme Jérôme expose des situations concrètes: regarder un match de foot sur son smartphone, écouter de la musique en streaming ou faire une présentation Powerpoint stockée sur un serveur distant. Orange se lâche davantage côté affiches: celle pour Paris montre une tour Eiffel et promet, sans complexes, «Avec la 4G, Paris devient la ville vitesse de la lumière». «La marque doit parler à plusieurs niveaux, explique Olivier Altmann, coprésident de Publicis Conseil, en charge de la création. Une grande publicité corporate permet de reprendre le leadership sur le pourquoi de l'innovation. Ensuite, on cherche à donner envie à travers des usages simples, évidents, pour montrer l'intérêt de s'équiper. Enfin, la campagne d'affichage, ciblée débit et réseau, permet d'être sur toutes les villes pour montrer comment Orange amène le progrès sur l'ensemble du territoire national.»

Quant à Bouygues Telecom, pour le lancement de ses forfaits le 1er octobre, l'opérateur a sorti un spot de 90 secondes (DDB Paris) en forme d'allégorie de ce que la 4G est censée apporter au plus grand nombre. Un spot autour de valeurs, que pourrait tout aussi bien revendiquer Nike ou Microsoft. «Vous souvenez-vous de ce que vous vouliez être demain? Et demain est arrivé. Devenez un explorateur. Devenez un sauveur. Devenez un héros. (…) Devenez artiste. Rebelle», proclame cette publicité. «Il fallait repositionner Bouygues Telecom en leader, grâce à notre couverture 4G qui nous apporte une supériorité vraiment historique, ce qui n'est jamais arrivé en dix-huit ans. Et il nous fallait une vraie campagne de marque», résume Jean-Michel Stassart, directeur de la communication et de la marque de l'opérateur. En affichage, Bouygues Telecom met lui aussi en avant sa couverture débits et réseau. Mais avec une dose de provocation et de publicité comparative. Un fait inédit dans les télécoms. Car l'ex-challenger sait qu'il est leader en termes de couverture réseau grâce à l'autorisation que lui a accordé l'Arcep (Autorité de régulation des télécoms) de reconvertir en 4G ses sites en 1 800 MHz, jusque-là réservés à la 2G. «On s'est interrogé avec l'agence pour savoir comment marquer les esprits, pour illustrer le fait qu'on était loin devant les autres en couverture. Les histogrammes en 4x3 ne sont pas nos publicités les plus créatives, mais on en a parlé», poursuit Jean-Michel Stassart.

Agitation judiciaire

Une première qui est rapidement passée à la case judiciaire. Le 4 octobre, Bouygues Telecom a dû, par une décision de justice initiée par Orange, retirer une de ses publicités comparatives portant sur la couverture en 4G de la population. «Orange a obtenu gain de cause car on se basait sur les projections des opérateurs sur la population couverte, et non sur la situation réelle. SFR et Orange ne communiquent pas sur cela», commente Jean-Michel Stassart. En revanche, le 11 octobre, SFR a été débouté de sa plainte sur la publicité comparative de Bouygues Telecom pour la couverture par ville de chacun des opérateurs. Il annonçait 2 000 villes couvertes pour Bouygues Telecom, 500 pour Orange et 286 pour SFR.

Le 1er octobre, l'Arcep épinglait aussi Free, visant sa communication autour de sa dernière offre de fibre optique, présentée comme «la plus rapide d'Europe», avec la promesse d'un débit de 1 gigabit par seconde, et pour son VDSL «jusqu'à 100 mégabits par secondes [Mb/s]». Une publicité «de nature à induire en erreur les utilisateurs», car basée sur des débits théoriques, a tranché l'Arcep dans un communiqué de presse. «C'est la première fois qu'on met en cause un opérateur publiquement pour une publicité, ce n'est pas notre métier. Mais la ligne rouge avait été franchie avec la communication un peu triomphaliste diffusée par Free le 1er octobre, jour de lancement de la 4G», remarque Jean-François Hernandez, porte-parole de l'Arcep.

Orange, malin, s'est posé en arbitre, en faisant la promotion de son site Internet Quialameilleure4g.com, mis en ligne en avril. Le groupe y propose des cartes avec les zones de couverture et un comparatif des «débits théoriques» par opérateur. Au passage, ce nom s'est imposé comme signature sur une partie de sa campagne d'affichage. Ou comment préempter le territoire en faisant, à son tour, de la publicité comparative sans le dire, à la manière des centres E.Leclerc avec Quiestlemoinscher.com. Mais le gouvernement semble bien décidé à siffler la fin de la partie, et à encadrer les communications publicitaires des opérateurs. Autre fait sans précédent. (lire page 16)

Reconstruire la valeur de la marque

Le sujet de toutes ces querelles s'appelle «débits théoriques». Lundi 7 octobre, Le Parisien a publié les résultats de ses propres tests des connexions 4G proposées par les opérateurs à Paris. Le quotidien constate «un véritable gouffre» entre la vitesse de connexion mentionnée sur les plaquettes publicitaires et la réalité du service. Dans ses tests, le quotidien constate, au mieux, des pointes de 76 Mb/s pour SFR, 60 Mb/s pour Bouygues Telecom et 53 Mb/s pour Orange.

Alors que, jusqu'à présent, les opérateurs communiquaient sur un débit maximum (le débit «théorique»), à l'avenir, ils devront révéler la fourchette de débit dans laquelle la plupart des utilisateurs se trouvent. «Seules les personnes situées à proximité des répartiteurs [les machines diffusant Internet] profitent réellement de cette vitesse de connexion annoncée dans la publicité. Plus on s'éloigne, plus les débits chutent par rapport aux débits théoriques», précise Antoine Autier, chargé de mission à l'UFC-Que choisir. «Il s'agit de lutter contre ce qui s'assimile à des pratiques commerciales trompeuses. Le consommateur devra pouvoir demander avant toute souscription le débit maximal chez lui», ajoute-t-on au cabinet de Benoît Hamon, ministre délégué de la Consommation.

En fait, dans cette bataille acharnée, les trois principaux opérateurs ont deux objectifs: s'imposer comme leader et restaurer leurs marges de profits, laminées depuis l'arrivée de Free Mobile en 2012. Et ce, en proposant des forfaits plus chers pour surfer plus rapidement. «Avec l'arrivée de Free Mobile, il y a une destruction de valeur évidente chez les opérateurs. Et là où il y avait des différences perçues entre les marques, maintenant il y a Free Mobile et les trois autres opérateurs. La 4G peut leur permettre de reconstruire la valeur de la marque et de ce qu'ils proposent», estime Elie Ohayon, président de Saatchi & Saatchi, qui a planché sur la récente compétition Bouygues Telecom (DDB a conservé le budget).

Les arguments réseau et débit en attendant… le prix

Tous ont conçu tout une gamme d'offres tarifaires. Ils proposent ainsi des forfaits s'appuyant sur des packs de «data»: 3, 8 ou 16 Go chez Bouygues Telecom, 2, 4 ou 6 Go chez Orange, et 3, 5, 7 ou 9 Go chez SFR. Bouygues Telecom propose un mois d'essai gratuit avec une carte SIM 4G pour l'ensemble des utilisateurs, et pas ses seuls clients, possédant un mobile compatible 4G. Autre opération, il a lancé un programme de reprises de mobiles de 40 à 400 euros pour l'achat d'un nouveau mobile compatible 4G, assorti d'un engagement de 24 mois.

L'heure n'est donc pas encore à la guerre des prix. Le débit et la couverture réseau restent donc les principaux arguments publicitaires. Pour le moment… «Les opérateurs se distinguent au départ par la meilleure couverture réseau. Mais, dans quelques mois, l'argument ne tiendra plus. Free Mobile ayant cassé les prix dans les télécoms, la 4G leur permet, pour l'instant, de faire la différence», estime Benoît Flamant, responsable gestion tech au sein du cabinet Fourpoints. «Il serait suicidaire de commencer sur les prix dès le début. Le prix des forfaits est déterminé par la quantité de Go offerte», remarque Virginie Lazès, directrice associée de la banque d'affaires Bryan Garnier & Co.

Et de fait, «aux Etats-Unis, les opérateurs ont proposé la 4G au même prix que la 3G en illimité, pendant deux ans. Les utilisateurs ont d'abord touché du doigt la supériorité de l'offre. Devenus “addicts”, ils étaient prêts à payer plus», remarque Elie Ohayon. A quelques semaines des fêtes de fin d'année, la bataille de la 4G est donc bien engagée. Avant l'arrivée de Free Mobile sur ce marché. Et une nouvel épisode dans la grande saga des télécoms.

 

(sous-papier)

Projet d'arrêté de Bercy sur les annonces de débits dans les publicités

Vendredi 4 octobre, le ministre délégué de la Consommation, Benoît Hamon, et sa collègue de l'Economie numérique, Fleur Pellerin, envoyaient un courrier aux opérateurs, dévoilé par Le Parisien lundi 7 octobre. Ils y invitent ceux-ci à «veiller avec une prudence redoublée à la loyauté» de leurs publicités. Précisant: «Des allégations de nature à induire les consommateurs en erreur dans ce domaine sont susceptibles d'être qualifiées sous l'angle des pratiques commerciales trompeuses.» D'ici quelques mois, les opérateurs devront réviser leurs publicités.

«Améliorer l'information du consommateur»

Dans le détail, plusieurs arrêtés clarifieront les offres commerciales dans l'Internet fixe et mobile. Depuis début 2012, «des travaux de concertations sont engagés avec les opérateurs, la Répression des fraudes [DGCCRF], la Direction générale de l'énergie à Bercy, l'Arcep et les associations de défense de consommateurs. L'objectif est d'améliorer l'information du consommateur», précise le cabinet de Benoît Hamon à Stratégies.

Déjà, un arrêté «d'encadrement adéquat des annonces de débits dans les publicités» changera la manière de présenter les offres de type DSL (haut débit fixe). Et c'est pour bientôt: il sera publié au Journal officiel d'ici la fin du mois. Ensuite, il sera appliqué à partir du 1er juillet 2014. Mais Bercy compte aller plus loin. Des arrêtés ultérieurs pourraient bien porter sur la 4G, les réunions actuellement menées portant également sur ce sujet. Les associations de consommateurs poussent dans ce sens.

Capucine Cousin 

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