Les mutations de la vie urbaine vont radicalement modifier nos modes de consommation alimentaires mais aussi et peut-être surtout les processus de production et de distribution. Prospective d'un détecteur d'innovations, Alexis Botaya.

Après le succès des nourritures locales et celui des nourritures nomades, on voit s'installer l'agriculture urbaine qui propose de récolter ses fruits et légumes sur le toit des immeubles. Loin d'être (seulement) une lubie d'urbains branchés, ce mouvement laisse imaginer pour demain une alimentation modulaire, urbaine et adaptable où les immeubles abriteraient des fermes et où les flux qui traversent les « villes-liquides » seraient aussi faits de produits gastronomiques.

 

Nomadisme sauce BBQ

 

Si l'on en croit les spécialistes, la ville contemporaine a mué de façon bouleversante sous l'effet croisé des nouvelles mobilités, de l'inter-modularité et des flux numériques qui la traversent. Elle semble être devenue elle-même un flux, un espace « liquide » selon la formule du sociologue Bruno Marzloff, où les réseaux se multiplient, où les flux du digital avec leur temps propre - celui de l'immédiateté - et leurs communautés, s'infiltrent dans les styles de vie et se matérialisent dans l'« IRL » (pour « In Real Life », par opposition à l'URL du web). Pour le géographe-prospectiviste Philippe Gargov, « chacun des termes [utilisés pour qualifier le phénomène] traduit une certaine facette de cette hybridation contemporaine entre mobilité et immobilité, entre habiter et se déplacer. [Ceux-ci] nous renseignent autant qu'ils ouvrent d'horizons sur ce que pourrait être la ville de demain : une ville à emporter avec soi. »


Les comportements alimentaires n'échappent pas à ce mouvement. A commencer par la «street food » - cette nourriture à « emporter avec soi » - qui doit une grande partie de son succès à son incarnation réussie de cette « ville liquide » dont elle utilise les codes en multipliant les communautés digitales et en communiquant avec ses « afficionados » via les réseaux sociaux. Une street food qui répond également à de réelles attentes des consommateurs : proximité et rapidité, qualité et convivialité, le tout avec un supplément d'âme et de fun. Elle correspond également à des tendances lourdes : quête de produits locaux, usage limité des produits industriels et volonté de « faire soi-même » qui implique une exigence de traçabilité.


Agriculture urbaine

 

Ces attentes s'incarnent dans d'autres mouvements alimentaires, dont le « slow Food » et l'engouement pour les nourritures locales, porté par les « locavores » qui ont pour ambition de relocaliser l'alimentation. Une volonté qui est également à la base de l'existence des AMAP (Associations pour le maintien d'une agriculture paysanne), mouvement qui rencontre toujours autant de succès. Une pratique qui a également encouragé le développement des jardins partagés et le goût pour les mini-potagers faits maison dont les récoltes viennent agrémenter l'alimentation quotidienne. Jusqu'aux offres de poulaillers modernes qu'on retrouve sur les balcons des urbains les plus branchés (voir à ce titre l'œuf Nogg ou Omlet).


Alors que la confiance vis-à-vis de l'alimentation industrielle continue à s'éroder, certains citoyens s'emparent donc d'espaces urbains vierges avec pour objectif de transformer la ville en un gigantesque jardin potager. C'est le cas dans les grandes métropoles comme New York dont les toits végétaux préfigurent le futur de l'agriculture urbaine. Le Eagle Creek Rooftop Farm en est un parfait exemple. Fondé en 2009, ce projet d'agriculture urbaine propose aux habitants du quartier de s'approvisionner sur le toit d'un petit immeuble de Brooklyn où l'on trouve des ruches, des poules, des fruits et légumes... le tout au cœur d'une des villes les plus denses du monde.


Unité mobile de production

 

On voit également se développer des kits permettant de cultiver ses propres aliments à domicile. A commencer par les insectes : le designer Mansour Ourasanah a ainsi conçu, en collaboration avec KitchenAid, un module d'élevage pour criquets à l'allure parfaitement esthétique, le Lepsis, prêt à être intégré dans n'importe quelle cuisine. Autre exemple : des containers servent désormais de serres urbaines pour la cultures de légumes qui sont donc déplaçable à l'envi sur le territoire urbain. On citera enfin la désormais célèbre Local River du designer Mathieu Lehanneur, une station d'aquaponie pour appartement qui permettrait à la fois de cultiver des plantes aromatiques et d'élever des poissons. Qui sont ensuite accommodés au déjeuner.


Ces modules de production caractérisent cette ville du futur où la mobilité et l'adaptabilité sont les maîtres mots. Ils préfigurent des bâtiments sur les façades desquels on trouverait aussi bien des algues pour alimenter le bâtiment en énergie verte, que des jardins suspendus et autonomes. Certains architectes vont même jusqu'à imaginer coloniser de nouveaux territoires et conçoivent des cités flottantes autosuffisantes, à l'image du Lilypad de Vincent Callebaut. Celle-ci possède ses propres champs d'aquaculture et des « corridors biotiques » permettant de subvenir aux besoins alimentaires.


Dévorer l'utopie

 

Ce rêve d'une alimentation de proximité et d'une cité autarcique, les habitants de Seattle, au nord-ouest des Etats-Unis, le vivront très bientôt. A l'été 2014, ils savoureront en effet la première récolte de l'une des plus grandes « forêts comestibles » au monde : la Beacon Food Forest. Avec l'aide de centaines de bénévoles, un groupe de citoyens a investi un terrain de trois hectares offert par la mairie, tout proche du centre-ville et y a planté une « forêt » d'arbres fruitiers. La Beacon Food Forest repose sur un agro-système autonome qui, à l'inverse d'un potager, n'a pas besoin d'être arrosé ni irrigué : la nature s'y auto-régule. Les citadins de la capitale de l'Etat de Washington y trouveront des aromates, des fruits, des légumes, le tout en libre-service.

 

On est loin ici de la street food, mais l'on y trouve des aspirations communes : modularité, proximité et fraîcheur, convivialité de l'espace urbain et disparition des frontières entre ville et campagne, simplicité et plaisir. Des aspirations qui laissent envisager pour demain une alimentation locale, intégrée pour partie à l'espace urbain, qui laisse s'exprimer le Do It Yourself et une part de spectacle. Le spectacle des cuisines autant que le spectacle des jardins suspendus.

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