Institutionnel
La Mairie de Paris inaugure la première e-boutique d’une collectivité locale. Son responsable, Gildas Robert, explique à Stratégies les atouts d'une valorisation commerciale des marques municipales: défense du patrimoine immatériel, rayonnement de la ville, revenus additionnels, soutien à l'emploi et service aux usagers et aux touristes avec de la vente de produits associée à de l'information culturelle. Bref, un formidable outil de communication publique!

C'est une première pour une collectivité territoriale. La mairie de Paris inaugure, jeudi 5 décembre, une boutique en ligne en six langues qui commercialisera les produits des établissements de la ville: les ouvrages des 14 musées municipaux, les carafes d'Eau de Paris, les publications de Paris Bibliothèques, de l'Atelier Parisien d'Urbanisme, etc., mais aussi les produits dérivés Vélib et des nouveautés cobrandées s'inspirant de l'imaginaire parisien (des voiliers en bois Tirot pour les bassins, du thé Mariage frères…). S'y ajoute de l'information culturelle, notamment pour inviter à passer les portes des musées municipaux.

Paris a réalisé qu'elle avait quelque 300 marques, un trésor inexploité source de revenus et porteur de valeurs pour soutenir l'image de la ville à l'international. En janvier dernier, Marie-Sylvie Schneider, directrice de la communication du maire Bertrand Delanoé, a créé le département marketing et communication des marques et en a confié la responsabilité à Gildas Robert, 41ans, qui a rejoint l'équipe socialiste de Paris en 2004 et était en charge de la communication au sein de la mission mobilité (Vélib, Autolib, tramway…).

Passé chez Jean Glavany au ministère de l'Agriculture où il a géré la crise de la vache folle, ce rénovateur de la communication publique, attentif aux attentes citoyennes et aux évolutions technologiques, est retourné à l'université pour se former au «licensing». Il explique à Stratégies les enjeux de la valorisation commerciale des marques municipales dans une approche de service public.

 

La mairie de Paris a créé un département marketing et communication des marques en janvier dernier dont vous êtes le responsable. Comment est née cette idée, inédite, pour une collectivité locale en France?

Gildas Robert. La ville de Paris est propriétaire de près de 300 marques et se devait de les protéger afin que son image ne soit pas détériorée par la vente incontrôlée de produits par les «marchands du temple». De cette démarche purement défensive, dont l'institution ne pouvait se contenter, est née une stratégie offensive, qui amenait inévitablement la ville à se poser la question de la valorisation commerciale de ses marques.

 

La communication institutionnelle a traditionnellement pour mission d'informer les administrés, pas de leur vendre des produits…

G.R. Sous l'impulsion d'Anne-Sylvie Schneider, directrice de la communication de la mairie de Paris, nous sommes, avec Lionel Bordeaux, directeur adjoint de la communication, quelques-uns à faire émerger un courant de «rénovateurs» pour qui la communication publique doit rechercher à innover et à expérimenter si elle veut s'extraire d'un conformisme routinier, sclérosant, voire mortifère. Il ne s'agit pas de succomber béatement aux sirènes du capitalisme, mais de considérer qu'il est bien dans la fonction des responsables de communication publique de connaître parfaitement les publics auxquels ils s'adressent, d'identifier leurs aspirations, leurs changements de comportements, leurs moyens de s'informer et de consommer. Il nous semble parfaitement légitime de rechercher, par l'intermédiaire de partenariats avec le secteur privé ou par la création de marques déposées, des revenus additionnels pour le bien de la collectivité et de ses concitoyens. Depuis toujours, les redevances d'utilisation du domaine public permettent dans les communes de toutes tailles, de lever des taxes pour financer des projets.

 

Cette stratégie offensive de la ville s'est caractérisée par une démarche, là encore inédite, de «licensing». Pourquoi?

G.R. Concrètement, alors que des villes engagent aujourd'hui du budget pour faire fabriquer des produits sans garantie de succès, par méconnaissance souvent des attentes des clients et dans une logique davantage de l'offre que de la demande, avec le licensing, les collectivités locales, le service public n'ont rien à perdre financièrement, et tout à gagner. L'entreprise spécialisée qui se voit confier la licence apporte son professionnalisme et va assumer, seule, les risques financiers quand l'institution, elle, percevra des «royalties» tout en contrôlant tout le processus de fabrication de produits. On s'inspire du marketing des entreprises privées pour enrichir un marketing public plus opérationnel quand le marketing territorial se cantonne à définir une identité de marque.

 

En quoi la vente de produits dérivés sert-elle la stratégie de communication de Paris?

G.R. Commercialiser des produits dérivés, c'est défendre le patrimoine immatériel des Parisiens, assurer la publicité de la marque et lutter contre la contrefaçon. Plus encore, c'est rendre des services complémentaires aux usagers, développer l'affectivité autour des marques et constituer une véritable stratégie d'accélération de la notoriété, pour développer la visibilité accrue de la marque publique, d'un territoire, grâce à de nouveaux circuits de diffusion. Regardez ce qui se passe à New York: les départements de police (NYPD) et d'incendie (FDNY), la ville elle-même (NY) tirent parti de leur image.

 

Comment se sont vendus les produits Vélib, les premiers fabriqués sous licence, depuis leur commercialisation en juillet dernier?

G.B. Nous avons été en rupture de stock. Les 20 000 premiers produits réalisés ont été vendus en deux mois. Ce qui représente plusieurs dizaines de milliers d'euros. Vélib, c'est aujourd'hui une vingtaine produits vendus dans 70 magasins, aux Galeries Lafayette et bientôt à la boutique de la tour Eiffel. La gamme va encore s'étendre.

 

Avez-vous d'autres projets?

G.B. Pour le licensing, nous sommes en développement de nouveaux produits pour 2014. Et, par ailleurs, nous avons engagé des partenariats avec des entreprises dans une logique de «cobranding». Pour la marque Ville de Paris, que nous venons de créer, nous lançons avec l'entreprise Tirot des bateaux en bois destinés aux bassins parisiens et avec Mariage Frères, trois thés exclusifs baptisés Matin parisien, Paris Marais et Pleine Lune. Pour la marque Place de la République, la ville s'est associée à Fermob pour créer la chaise de jardin vendue en exclusivité sur son site.

 

La mairie de Paris ouvre aujourd'hui une boutique en ligne. Qu'y trouvera-t-on?

G.B. Elle propose 250 premières références dans l'univers de la culture, la mode et la maison, et rassemble l'ensemble des produits de la municipalité: des livres édités par les 14 musées parisiens aux produits Vélib en passant par les carafes de la marque Eau de Paris. La boutique, conçue par l'agence parisienne Minit-L est accessible sur tablette et smartphone, et en six langues. Un logisticien dans le Loir-et-Cher gère les commandes.

 

En quoi se distingue-t-elle d'un autre site marchand?

G.R. Cette boutique vise à rendre un service au public, usagers et touristes. C'est donc bien un nouveau support de communication pour la mairie de Paris et un outil pour favoriser le rayonnement de la ville au-delà de ses frontières, contribuant ainsi à l'activité économique touristique. Un Parisien sur dix travaille en lien avec le tourisme. Notre objectif est aussi de diffuser la connaissance et les savoirs en proposant sur une même plate-forme, ce qui est inédit, des produits et de l'information culturelle attachée à la fiche produit: les horaires et un lien vers les musées de Paris, des vidéo sur les expositions, les artistes… Cette information culturelle invite à passer les portes des musées municipaux. L'ambition est aussi de soutenir l'emploi.

 

Soutenir l'emploi. C'est-à-dire?

G.R. La boutique valorise de jeunes entrepreneurs. Ainsi, les trousses Vélib sont fabriquées par la société parisienne Recycl'ère, le casque à vélo pliable par Overade – soutenue par les incubateurs de la ville de Paris – et les litographies Vélib par de jeunes artistes.

 

Quels sont vos objectifs de vente?

G.R. Nous n'en avons pas, mais nous nous sommes lancé le défi de 200 ventes par mois.

 

Allez-vous mener une politique de relation client?

G.R. A partir de la base de données clients «opt-in» collectée par la boutique, nous allons effectivement proposer, par mail, de l'information personnalisée faisant la promotion de nos musées et produits parisiens. Par ailleurs, les pages Facebook et Twitter de la boutique seront utilisées pour «pousser» de l'information, des promotions et les lancements de produits.

 

A quand une boutique physique?

G.R. C'est prévu pour l'an prochain au 29, rue de Rivoli. Ce sera un espace boutique et d'information municipale.

 

Comment avez-vous réussi au niveau réglementaire, alors que les collectivités ne possèdent pas dans leur statut de vocation commerciale?

G.R. Cela a été un gros travail d'équipe avec les services juridiques de la ville. La mairie a passé des marchés publics avec tous les organismes publics qui lui sont rattachés pour leur acheter les produits. Pour être vendus, les autres produits doivent être portés par une des marques de la ville déposées auprès de l'Inpi [Institut national de la propriété industrielle]. Beaucoup de responsables de communication de collectivités espèrent aujourd'hui que le législateur trouvera utile de s'appuyer sur cette expérience innovante de Paris pour desserrer les carcans administratifs qui entourent ces questions.

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