stratégie de marques
Le réseau social a dix ans. Bouleversant nos vies numériques, il a généré un écosystème, de nouveaux rituels. Avec tous les attributs d'une marque.

Il y a dix ans, Mark Zuckerberg lançait Thefacebook.com. En une décennie, la start-up s'est imposée comme un service universel, qui a changé la vie numérique de centaines de millions de personnes. Savant mélange de boîte mail, forum, tchat, My Space et Copains d'avant, Facebook, au-delà d'un réseau social, est devenu une des marques les plus puissantes au monde. Tour d'horizon des atouts qui ont fait jusqu'ici sa force. Jusqu'à quand?

 

Un storytelling au cordeau. Les débuts avaient en eux-mêmes tout d'une success story. Le 3 février 2004, Mark Zuckerberg lançait, non pas depuis son garage mais sa chambre d'étudiant à Harvard, Thefacebook.com. Le nom du site s'inspire des albums photo («facebook», trombinoscope) de tous les élèves photographiés en début d'année universitaire. Il est lancé dans le monde en juillet 2006, et en version française le 10 mars 2008. Hollywood ne tarde pas à prendre le relais. En octobre 2010, le film The Social Network, réalisé par David Fincher, sort en salles. Il raconte de manière un peu shakespearienne la création de la start-up à Harvard, la fulgurante ascension de Zuckerberg, les déchirements entre ses cofondateurs... Une forme de consécration. Bien plus maîtrisé cette fois, le lancement le 4 février 2014 par Facebook du service «A look back» (rétrospective) qui permet aux internautes de créer un film personnalisé ou une collection de photos regroupant leurs plus grands moments sur le célèbre réseau social.

 

Un logo et un design discrets. Dès ses débuts, Facebook se dote d'un logo minimaliste, écrit en lettres minuscules, blanc sur fond bleu foncé. Un code couleurs que l'on retrouve dans tout son univers. Avec une discrétion voulue dans le design: une manière de mettre en avant le service plutôt que la marque même.


Une publicité rare. En dix ans, peu de publicités. En octobre 2012, son seul spot TV (agence: Wieden + Kennedy) fête son milliard d'utilisateurs. Le film est très conceptuel avec une chaise en vedette, symbole d'échanges entre les gens... via Internet. En 2013, une campagne Web promeut le nouveau service «Home», son interface pour smartphones. «Il n'est pas sûr que Facebook ait vraiment voulu communiquer comme une marque, mais plutôt comme une entreprise et un service», estime Ivan Beczkowski, président de BETC Digital.

 

Des valeurs à toute épreuve? Comme toute entreprise digitale, «au début, elle incarnait la subversion, l'esprit californien», estime Stéphane Hugon, sociologue, et chercheur au Centre d'études sur l'actuel et le quotidien (CEAQ, Sorbonne). Mark Zuckerberg, en «hoodie» (sweat à capuche) à chaque apparition publique, incarnait à la perfection cet esprit «cool». «Nos valeurs, c'est la connexion des personnes entre elles, permettre à chacun de pouvoir se connecter avec les gens qui comptent pour eux, d'une façon nouvelle à l'heure du digital», résume aujourd'hui Laurent Solly, directeur général de Facebook France.

Mais les diverses polémiques liées à la gestion de la vie privée par Facebook, depuis l'affaire Beacon en 2007 - ce format publicitaire qui permettait aux amis de l'utilisateur sur Facebook de savoir ce qu'il avait acheté ou loué sur des sites partenaires - à l'affaire Snowden l'an dernier, ont transformé cette image. D'autant plus lorsque Randi Zuckerberg, sœur de Mark et directrice marketing de la firme, déclarait en 2011: «Je pense que l'anonymat sur Internet doit prendre fin. Les gens se comportent beaucoup mieux quand leur vrai nom est inscrit en dessous de leurs propos.» Une déclaration douce aux oreilles des annonceurs en quête d'une audience qualifiée (avec âge, adresse, emploi...). «Facebook incarne plus un McDo qu'une marque high-tech: c'est une marque "mainstream" (populaire), familiale, qui pourrait presque avoir pour slogan "Venez comme vous êtes"», estime Ivan Beczkowski.

 

Des rituels. Au fil des lancements des nouveaux services de Facebook, des rituels, une grammaire propre se sont créés. Il y a d'abord eu la vogue des «social games», tels les premiers jeux de vampires, les applications pour s'offrir des cadeaux virtuels et les jeux de simulation comme Farmville ou Paf le chien. Puis se sont installés le mythique «poke» (que l'on pourrait traduire par «faire coucou»), nouvel élément dans la grammaire facebookienne, et les incontournables «likes» en forme de pouce levé. Avec ces rituels, «Facebook essaie de cristalliser des pratiques - l'échange par des signaux faibles - par lesquels les internautes se valorisent l'un l'autre. Une communication non verbale propre au digital, où l'on avait déjà les "smileys" », décrypte Stéphane Hugon.


Une cible en mutation. Au début, Facebook était forcément destiné aux initiés, les premiers «geeks». Mais très vite, il est devenu mainstream, car facile à utiliser. Facebook est-il moins «jeune» aujourd'hui? Une récente étude américaine, réalisée par I Strategy Labs, fait état d'une désaffection de Facebook par les jeunes américains: entre janvier 2011 et janvier 2014, la part des 13-17 ans a diminué de 25% (-3 millions), alors que celle des 55 ans et plus augmentait de 80% (+12,5 millions). Il est vrai que ces nouveaux usagers ont un pouvoir d'achat nettement supérieur à celui des adolescents, et constituent donc une cible publicitaire de choix pour les annonceurs, que Facebook cherche inlassablement à attirer.

 

Un modèle économique éprouvé. Facebook est aujourd'hui une société rentable. Ce n'était pourtant pas gagné. L'entrée en Bourse en 2012 fut catastrophique, l'action perdant la moitié de sa valeur en trois mois. Mais en 2013, Facebook a réalisé un chiffre d'affaires de 7,9 milliards de dollars (5,85 milliards d'euros) et un bénéfice net de 1,5 milliard de dollars. Pas si mal en dix ans d'existence. L'an dernier, Facebook a enregistré la plus forte croissance (+43%, à 7,7 milliards de dollars) du classement Interbrand valorisant les Best Global Brands.

Le réseau social a réalisé 5,7% des dépenses mondiales publicitaires sur le Net, et 18,4% sur le mobile, d'après l'institut Emarketer. Il s'apprêterait d'ailleurs à lancer son propre réseau publicitaire sur mobile. «Sur les 18 millions de Français qui se connectent chaque jour à Facebook, 11 millions le font depuis un mobile. Internet devient mobile», souligne Laurent Solly.

Mais Facebook doit faire face à une nouvelle génération de concurrents, tels les services de partage de courtes vidéos Vine et Snapchat, l'application de messagerie instantanée Whats App ou la prochaine Fuyo (For your eyes only), un service français qui permet d'envoyer des messages à durée limitée, en tout anonymat.

 

Encadré


Chiffres clés

 

1,23 milliard d'utilisateurs actifs par mois.
556 millions d'utilisateurs sur mobile par jour.
53% des revenus publicitaires générés par la publicité sur mobile au 4e trimestre 2013.
63% des internautes français inscrits sur Facebook, contre 32% sur Google+ et 17% sur Twitter (Ifop).

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