stratégie de marques
Le géant américain a annoncé sa volonté de concentrer son activité sur 70 à 80 marques en se séparant d'une centaine d'autres d'ici deux ans. Derrière les économies, un nouveau positionnement?

«Nous allons devenir une entreprise plus concentrée, plus affûtée autour de 70 à 80 marques.» L'annonce, le 1er août dernier, du PDG de Procter & Gamble, Alan George «A.G.» Lafley, a fait l'effet d'une bombe. Le retour, en juillet 2013, de l'emblématique patron de la multinationale de la grande consommation, rappelé à la rescousse quatre ans après son départ à la retraite pour refaire partir les ventes à la hausse, débouche donc sur un énorme chantier consistant à fusionner, à faire disparaître ou à céder... une centaine de marques. Et ce, dans un délai de douze à vingt-quatre mois, annonçant une inévitable réduction de budgets du côté des agences de communication. 

Premier annonceur mondial avec 9,7 milliards de dollars investis l'an dernier dans les médias, le géant américain (84,2 milliards de dollars de chiffre d'affaires en 2013) exploite une multitude de marques dans les secteurs de la lessive, de la beauté, des soins, jusqu'aux parfums et aux piles (lire l'encadré). D'ores et déjà est évoquée la cession justement des piles Duracell mais aussi de la marque de rasage Braun, qui affichent respectivement 500 et 100 millions de dollars d'Ebitda (1), soit les deux tiers du total réalisé par les marques dont P&G souhaite se séparer – et dont la plupart ne sont pas actives en France. 

Le groupe compte ainsi concentrer ses efforts sur 70 à 80 marques stratégiques (dont la liste n'a pas été annoncée) et qui ont représenté à elles seules 90% du chiffre d'affaires du groupe et 95% de ses bénéfices des trois dernières années. L'idée étant aussi de poursuivre le plan d'économies entamé voilà trois ans: cette année, P&G devrait réduire de 7% son budget de communication. Cette rationalisation annoncée du portefeuille de marques n'est toutefois pas une première. Unilever a déjà entamé ce travail voilà une dizaine d'années, passant de 2 000 à 400 marques! P&G n'y échappe pas et recourra à des arrêts purs et simples, des cessions, des accords de licences ou une harmonisation de ses lignes de marques.

Dans les lessives, près d'une demi-douzaine de marques coexistent: Ariel, Tide, Dash, Bonux, Bold... Mais attention, prévient Jean-Noël Kapferer, expert des marques et auteur de La Fin des marques telles que nous les connaissions (Eyrolles, 2013), «les réductions du nombre de marques sont dangereuses dans les cas de globalisation du nom car on supprime des noms locaux auxquels sont très attachés les consommateurs, au profit d'un nom nouveau sans émotion, sans lien affectif, voire sans notoriété».

«Procter base sa stratégie sur cinq points forts: sa connaissance consommateur, l'innovation, sa force de commercialisation, sa présence mondiale et des marques leaders. Le plan annoncé cet été porte clairement sur le dernier point qui reste en effet à optimiser, commente Alexandre de Coupigny, associé de Royalties, agence conseil en stratégie de marque. Mais si la rentabilité et la valeur financière d'une marque sont des critères importants, ils ne sont pas les seuls. Le potentiel de chaque marque doit être analysé à la loupe à travers sa “substance” (histoire, valeurs, territoire d'expression...), son "apparence" (identité visuelle, packaging, codes...) et son “expérience” (usage, image iconique, innonvation...).»

Fanny Vielajus, présidente du cabinet Let's Be, spécialiste de la marque, observe que «l'intérêt dans ce cas est de construire un nouveau positionnement autour d'engagements forts comme a pu le faire Danone dans les années 1990. Autour du thème “l'alimentation comme source de santé”, le groupe français n'a pas hésité à se séparer de marques très contributives en termes de revenus comme Kronenbourg pour se concentrer sur trois métiers: les produits laitiers, les céréales et les eaux minérales.»

La prise de parole corporate de P&G depuis deux ans à l'occasion des Jeux olympiques, via les films «Best Job» en 2012 et «Thank you, Mom» en 2013 (Wieden & Kennedy), annonce-t-elle la volonté du groupe à l'avenir d'endosser davantage ses marques et d'affirmer de façon plus institutionnelle sa promesse: «améliorer la vie au quotidien»? «Il y a deux grandes philosophies de marque au monde, rappelle Jean-Noël Kapferer: "House of Brands" et "Branded House". La première est celle de LVMH, Kering, P&G, Unilever... La seconde est celle de Samsung, Apple, Virgin et aussi d'une certaine façon celle de Nestlé ou Carrefour. Il faut savoir se tenir à une stratégie. P&G est une marque employeur, à dimension éthique et une marque action (cotée en Bourse), pas une valeur ajoutée émotionnelle pour les clients, à la différence de Nestlé ou Danone.» 

 

Encadré

Dates et chiffres clés

 

1837. Création de Procter & Gamble.

84,2 milliards de dollars. Chiffre d'affaires en 2013.

9,7 milliards de dollars. Investissements médias en 2013.

70. Nombre de pays où Procter & Gamble est présent.

50. Nombre de marques générant plus d'un milliard de dollars de revenus par an.

Principales marques : Ace, Always, Ariel, Bounty, Crest, Dawn, Duracell, Febreze, Fusion, Gillette, Head & Shoulders, Olay, Oral-B, Pampers, Pantene, Tide, Wella, Whisper...

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