Réputation
Le volet «action de groupe» de la loi Hamon est entré en vigueur ce mercredi. Ce texte, qui est très encadré par rapport aux class actions américaines, laisse toutefois planer un nouveau risque notamment réputationnel pour les entreprises.

La grenade a été dégoupillée ce mercredi 1er octobre. C'est à cette date que le volet «action de groupe» (dite «class action à la française») de la loi Hamon sur la consommation entrera en vigueur. Le texte permettra désormais aux consommateurs de se regrouper, via quinze associations de consommateurs agréées par l'Etat, afin d'intenter une action en justice contre des entreprises en vue d'obtenir réparation de préjudices économiques (pratiques abusives, frauduleuses, anticoncurrentielles, allégations mensongères...). L'UFC-Que Choisir a ainsi immédiatement lancé la première class action française contre l'administrateur de biens immobiliers Foncia.

 

Mais doit-on vraiment s'attendre à un big bang ? «Compte tenu des risques financiers importants, le texte aura certainement pour vertu d'améliorer certaines pratiques commerciales douteuses», note Cyril Arcamone, cofondateur de l'agence Maarc et spécialiste de la gestion de crise, «mais, il est peu probable que l'on assiste à un déferlement de procédures judiciaires. Le système français des actions de groupe est très encadré et ne concerne pas, pour l'instant, des secteurs sensibles comme l'environnement et la santé dont l'exposition médiatique est bien plus grande». Benoît Hamon, lors de la présentation du texte le printemps dernier, avait clairement manifesté sa volonté d'étendre l'action de groupe à ces domaines. Le ministère de la Santé continuerait d'ailleurs à plancher sur le sujet avec le soutien des associations de patients.

 

En attendant, les professionnels du droit eux aussi ne s'inquiètent pas outre mesure. «Le risque reste limité, d'autant que les associations devant porter les dossiers auront intérêt à mener des combats sérieux afin de ne pas se ridiculiser», estime Frédéric Fournier, associé du cabinet d'avocats Redlink. De toute évidence, la France ne risque guère d'atteindre les extrêmes américains : outre-Atlantique, le coût des class actions supporté par les entreprises représentait 264 milliards de dollars en 2010. Même si depuis quelques années, le nombre de class actions diminue aux Etats-Unis, la jurisprudence ayant sensiblement encadré la procédure. «Ceci étant, le texte laisse planer quelques incertitudes. En évoquant des personnes en situation "similaire et identique" (notions floues) au regard d'un préjudice, cela élargit considérablement le champ des plaignants. De même, la possibilité de constituer un groupe de plaignants à partir de deux personnes ouvre la voie à des combats idéologiques». 

 

Une publicité dévastatrice

 

De toute évidence, la judiciarisation rampante mais constante de la société française et l'accélération du temps médiatique peuvent laisser penser que l'apparition des actions de groupe ne sera pas aussi anodine. «Les premières procédures vont être particulièrement médiatisées», prévient Stéphanie Prunier, partner associée chez Havas Paris et responsable du département Havas Legal & Litigation, nouvellement lancé et dédié à la communication des professions juridiques et à celle des entreprises impliquées dans une action judiciaire. La nouvelle entité travaille d'ores et déjà avec deux clients en prévision d'éventuelles actions de groupe.

 

Le risque médiatique peut être considérable. L'entreprise concernée risque en effet d'être placée sous les projecteurs pendant une très longue période. D'abord lors du lancement de la procédure, puis au cours de la période de «mise en état du dossier» qui peut durer plusieurs mois, et enfin, si elle est condamnée, pendant la phase de publicité du jugement. L'entreprise jugée coupable est en effet contrainte de publier des annonces dans les médias (voire des spots TV) pour faire apparaître d'éventuelles victimes «dormantes» afin qu'elles puissent se faire indemniser. On imagine l'effet dévastateur de ce type de «publicité».

 

«Le risque réputationnel est énorme. Toutes les études le montrent, les associations ont un très fort capital de sympathie auprès du public. Ce n'est pas le cas des entreprises, soupçonnées généralement de ne pas dire la vérité», lance Stéphanie Prunier. De fait, les magazines de l'ensemble des associations de consommateurs représentent une force de frappe de plus de 700 000 exemplaires par mois. Et le site d'UFC Que Choisir, à lui seul, réunit 720 000 visiteurs uniques par mois.

 

Communiquer en amont

 

Or les associations, qui sont elles aussi d'une certaine manière dans une logique de concurrence, souhaitent montrer qu'elles peuvent être efficaces en obtenant des résultats rapides. Elles pourraient donc opter, lors des premiers dossiers, pour la procédure dite «accélérée». Celle-ci, qui fait l'impasse sur la mesure de publicité post-condamnation, est réservée aux entreprises dont tous les clients sont répertoriés sur un fichier. Une situation qui permet d'envoyer une information directe et individuelle auprès de chacun des consommateurs concernés. Autant dire que les secteurs de la téléphonie, de la banque et de l'assurance ou encore de l'énergie sont en première ligne concernant les premières actions de groupe.

 

«Mais finalement, cette loi ne change pas grand-chose par rapport à la communication des entreprises. Du moins, telle qu'elles devraient normalement la pratiquer», lance Pierre-Yves Frelaux, fondateur de l'agence corporate Proches et ex-président de TBWA Corporate. «Il faut revenir aux fondamentaux avec une communication en amont qui identifie les zones de risques et crée de la relation avec les parties prenantes pour travailler avec elles, connaître leurs critiques. Quand la crise arrive, par exemple une action de groupe, l'entreprise est plus forte et diminue souvent ainsi le risque médiatique», ajoute-t-il. 

 

Une fois ce travail d'anticipation effectué (procédures d'alerte établies, argumentaires définis, préparation des porte-parole, organisation des circuits d'informations en interne et identification d'experts extérieurs comme cautions), la machine peut être lancée lors du déclenchement des hostilités. «Notre mission, en étroite collaboration avec les avocats, est de préserver la réputation de l'entreprise en faisant un travail de pédagogie et d'explication auprès des médias», explique Stéphanie Prunier qui souligne également l'importance de mener ensuite un travail de fond pour restaurer la confiance des consommateurs. «Nous entrons dans une nouvelle ère de communication pour les entreprises», assure-t-elle, «elles vont devoir davantage reconnaître leurs responsabilités en menant des actions concrètes et en apportant des preuves de réparations des préjudices occasionnés. Plus globalement, elles vont devoir davantage prendre en considération les intérêts de leurs parties prenantes». De vastes chantiers en perspective donc... et de belles opportunités de business pour les agences conseils.

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