Marketing
Le plan national de réduction du tabagisme présenté fin septembre par la ministre Marisol Touraine met en place des paquets de cigarettes neutres. Quelles sont les conséquences pour les marques de cigarettes ?

Dans le cadre du Programme national de réduction du tabagisme, la ministre de la Santé, Marisol Touraine, a pris des mesures radicales. En plus de l'interdiction de vapoter dans certains lieux publics et de celle de fumer dans sa voiture en présence d'un enfant de moins de 12 ans, le texte présenté prévoit l'instauration du paquet «neutre».

«Une décision qui a surpris tout le monde», confesse un cigarettier. En Australie, seul pays à avoir mis en place ce genre de législation, il est vert olive, truffé d'avertissements sanitaires, et les marques apparaissent toutes dans la même typographie, sans logo. Couplée à l'interdiction de la publicité, cette mesure réduit à peau de chagrin l'expression des marques dans ce secteur, pourtant très lucratif.

 

La fin des petites marques ?

 

«La loi Evin votée en 1991 avait déjà réduit la parole des marques au seul produit», décrit Louis Comolet, designer chez CLTG, qui a travaillé sur le packaging de nombreux fabricants de cigarettes. «La fonction première de la marque est de se distinguer. Avec cette mesure, le marché sera nivelé, présage un cigarettier. Il ne restera que la politique de prix pour se positionner. Cela ferme la porte à tous les nouveaux entrants.»

 

« Les marques les plus petites risquent de se prendre les pieds dans le tapis, ajoute Louis Comolet. «Toutes celles qui n'auront pas embarqué avec elles un imaginaire qui résiste à l'usure du temps auront du mal à conserver leur place. »

 

Même s'il faut relativiser le rôle de la marque pour ce marché particulier. Le marketing se doit de rester modeste. «Le produit supplante le positionnement, explique le designer. «Restons lucides face à la marque. Depuis l'interdiction de la publicité et les hausses de prix, on assiste à un nomadisme de la part des consommateurs. Ils sont de moins en moins fidèles à une marque de cigarette en particulier».

La cigarette renvoie elle-même à une dimension initiatique et de transgression, qui dépasse parfois l'univers de la marque. De cette caractéristique, on peut aussi s'attendre à ce que les marques les plus transgressives en termes de packaging perdent une valeur forte de leur identité. «Camel, par exemple, avec un packaging original et une marque atypique dans l'univers de la cigarette, pourrait subir un impact assez fort de cette mesure», explique le designer.

 

Côté prix, il pourrait y avoir une guerre à la baisse entre les fabricants pour conserver leur volume et aussi du fait que, sans expression, les marques haut de gamme ne justifieraient plus un prix plus élevé que les autres.

 

Développement d'un marché parallèle en Australie

 

En Australie, presque deux ans après le paquet neutre, les deux parties se livrent une bataille de chiffres. Difficile d'y voir clair quand la mesure a été couplée à une hausse progressive des prix –près de 12,5% en décembre 2013. Quoi qu'il en soit, entre fin 2012 et début 2014, le marché a reculé de 100 millions d'euros. Et l'âge de la première cigarette a augmenté. Un bon point pour la santé publique. Mais il s'agirait des cigarettes «officielles», selon les cigarettiers. «Nous estimons que le nombre de fumeurs a augmenté de 0,3%, avec une forte hausse du marché parallèle de 13,5% selon une étude KPMG, quand il était quasi inexistant auparavant», rétorque l'un deux.

Le marché parallèle se distingue en trois catégories: la contrebande, avec de vrais produits achetés en dehors des frontières; la contrefaçon, avec des cigarettes fabriquées dans des conditions inconnues; et les marques illicites, qui sont de vraies marques non autorisées dans un pays donné. La plus importante d'entre elles étant la contrebande. «Or l'Australie est une île, avec une contrebande plus difficile qu'en France», dévoile un cigarettier. En France, le marché parallèle représente une cigarette fumée sur quatre. Mais augmentera-t-il vraiment avec le paquet «neutre»?

 

Des consommateurs de moins en moins fidèles

 

Face à des consommateurs moins fidèles, ou du moins changeant plus facilement, leur intérêt pour les valeurs de marques risquent de se diluer davantage encore avec le temps. Un argument qui relativise d'une part l'efficacité du paquet neutre, mais aussi ses conséquences sur le marché –donc sur les revenus générés par la vente de cigarettes. Et qui permet à la ministre de ne pas s'attirer les foudres du ministère de l'Economie, tout en disant œuvrer pour la santé publique...

Quoi qu'il en soit, les cigarettiers ont promis de riposter. En attaquant le gouvernement pour destruction de marque, ils estiment à plus de 14 milliards d'euros le dédommagement que l'Etat leur devrait. Si en Australie, les procédures n'ont pas abouti, elles continuent désormais auprès de l'Organisation mondiale du commerce.

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