Organisation
L'Adetem organise le 27 novembre une journée «de marketing factory» où des grands groupes livrent leurs expériences de la transformation sous l'influence du digital tout en intégrant leur connaissance du client.

Serait-ce une fatalité? Pour expliquer la différence entre une start-up et une grande entreprise, il est courant de dire que la jeune pousse n'a rien à perdre et tout à gagner: elle peut donc se consacrer entièrement à expérimenter des choses innovantes ou à multiplier les tentatives de rupture. A l'inverse, la grande entreprise sait que le risque, en cas d'insuccès, peut se payer très cher. Elle tendra donc à protéger l'existant et à encadrer le processus d'innovation au détriment d'une certaine capacité d'adaptation et de l'agilité indispensable à l'ère digitale. Rares sont celles qui peuvent se prévaloir, comme Google, de laisser à leurs développeurs 20% de leur temps pour se consacrer à des projets personnels.

Pourtant, selon Laurent Pinsolle, senior manager d'Accenture, et animateur de la table ronde que l'Adetem Marketing Factory consacre à l'innovation et à la transformation organisationnelle, le 27 novembre, «on peut avoir des cultures d'entreprise assez proches des start-up dans de grands groupes, c'est une question d'organisation, de culture, de profils».

Exemple, L'Oréal, qui organise régulièrement un cérémonial où les équipes présentent leurs programmes d'innovation devant un parterre de managers venus du monde entier, à son siège de Clichy. «Il s'agit de proposer des innovations différenciantes et meilleures que la concurrence, cela entretient un esprit start-up», relève Laurent Pinsolle. De même, chez un industriel de la grande consommation, les cadres du marketing sont tenus de proposer deux idées intégrées à leurs objectifs annuels: l'une porte sur l'innovation. «La taille de l'entreprise n'est pas forcément un handicap, poursuit l'expert. On peut garder des équipes à taille suffisamment bien structurée pour dégager de bonnes idées, laisser les initiatives s'exprimer. Mais le chef de projet doit être proche du décisionnaire.»

Les méthodes dans des structures plus souples

Les bonnes idées sont-elles pourtant si déterminantes dans un monde connecté? «Ce qui compte, ce n'est pas tant l'idée que la capacité d'exécution», estimait récemment Nicolas Colin, cofondateur de The Family, structure ayant hébergé 180 start-up en France. Un discours auquel souscrit Thierry Bardy, VP innovation et business development d'Orange Lab: «Il y a dix ans, vous sélectionniez un projet à 70% sur le sujet et à 30% sur l'équipe. Aujourd'hui, c'est l'inverse. L'essentiel est la capacité à créer du pivotement et de la sérendipité [découverte accidentelle]. Twitter s'est créé dans une logique de podcast radio, mais quand Pandora est arrivé, il a pivoté pour faire du SMS sur internet.» Pour cet expert de l'innovation, l'écosystème des start-up n'a pas montré son efficience et relève souvent du dogme: «Evidemment qu'il faut être plus agile, mais il faut jouer avec les actifs qu'on possède. Apple n'a rien d'une start-up, ou alors c'était il y a plus de trente ans.»

Orange préfère donc tabler sur les quelque 7 000 personnes de son département né de la fusion de la R&D et du marketing. S'y côtoient ingénieurs et marketeurs sur les mêmes plateaux et au sein de labos distribués sur toute la planète: Madrid, Pékin, Tokyo, Le Caire, Dakar… Objectif: «Innover au plus proche des clients», sachant qu'une base d'abonnés potentiels de 100 millions d'illettrés ne se conquiert pas de la même façon qu'une clientèle mature. Ce souci de la délocalisation induit néanmoins un fonctionnement agile. «L'explocentre» d'Orange, laboratoire de R&D consacré à l'innovation de rupture, fait ainsi travailler une soixantaine de personnes auxquelles on laisse six mois pour développer des travaux. Orange Vallée ou Pix Orange en sont issus. Le mode d'organisation implique aussi d'être ouvert, à la façon de la plateforme Datavenue, partenaire de Net Atmo (objets connectés) ou de Schneider Electric, et consacrée à la créativité autour de l'exploitation de la donnée.

Nelly Brossard, directrice marketing et distribution de Groupama depuis février, a été longtemps en charge d'une start-up: Amaguiz, une filiale de vente à distance de Groupama bénéficiant d'une distribution et d'un recrutement spécifiques. «La start-up permet d'innover et de penser autrement», rappelle cette inconditionnelle de la culture mutualiste de Groupama, selon laquelle la transformation digitale doit être rattachée à la direction générale pour être soutenue au plus haut niveau. Depuis février, elle s'attache à développer une stratégie multicanal pour une offrir une expérience qualitative au client, «qu'il soit dans une agence, appelle au téléphone ou vienne sur le site». Objectif: faire en sorte que les bases de données communiquent. «Un grand groupe, par définition, n'est pas une start-up, il est moins agile, il a plus de niveaux hiérarchiques et les circuits de décision y sont plus long, détaille-t-elle. La culture de l'innovation en mode projet, transverse, n'y est pas très développée. C'est une faiblesse, mais aussi le signe d'une très grande force de frappe: une fois que c'est parti, ça va très vite et cela dégage un impact important.»

Selon elle, il importe donc d'aller chercher des méthodes dans des structures plus souples. Dans un environnement en mutation, le temps de lancement d'un produit, par exemple, n'est plus le même. A Groupama, des démarches d'innovation collaboratives sont entreprises pour faire remonter, sélectionner, partager et, éventuellement, mettre en œuvre des idées. Des projets de rupture, comme une application mobile, bénéficie d'un budget propre et d'une équipe de dix personnes, dont cinq du marketing. Alors, fini le temps où une nouveauté est accueillie par «de toute façon, ça ne marchera jamais» quand une start-up dit «génial!»? «Il y a un petit réseau de collaborateurs à qui ça correspond, répond Nelly Brossard. Il ne faut pas tout chambouler, mais il faut fluidifier la relation pour que la décision soit plus rapide et plus souple.» Il s'agit notamment de faire évoluer les compétences et d'attirer les bons profils qui vont favoriser l'agilité entrepreneuriale et le travail en commun.

L'innovation, forcément digitale ?

Alain Dufossé, directeur général de BIG (Breakthrough Innovation Group), au sein du groupe Pernod Ricard, a aussi une solide expérience en la matière. Depuis janvier 2012, le groupe s'ouvre à l'innovation de rupture avec notamment un fonds d'amorçage à destination des salariés: «Il faut que ça aille au-delà de l'incrémental, que ce soient de nouveaux services, de nouveaux produits, de nouveaux usages.» Une plateforme d'appel à projets – écrits sur une feuille complétée par un pitch d'une minute vidéo – a déclenché 150 candidatures. Une dizaine a été sélectionnée. Trois projets seront incubés. Au sein de la structure BIG, qui comprend sept personnes, le groupe cherche à «inventer le futur de la convivialité». La compréhension des comportements socio-culturels amène ainsi à voir que les gens reçoivent davantage chez eux, qu'ils sont intéressé par le fooding, la décoration, l'art et l'entertainment. Il en a découlé le projet Gutenberg, qui permet de commander en ligne un objet en forme de livre – passant par la boîte aux lettres –, qui contient un alcool des marques Pernod Ricard. L'expérimentation est prévue fin 2015. Objectif: l'accès direct au consommateur à la façon de Nespresso. «L'innovation de rupture a du mal à croître dans les grandes organisations, estime-t-il, Il faut une équipe qui soit sortie de l'organisation pour être isolée avec un budget protégé.»

Reste une question: l'innovation passe-t-elle nécessairement par le digital? Et ne se coupe-t-on pas d'idées à trop vouloir se la jouer connecté? Laurent Pinsolle, d'Accenture, estime que c'est une composante cruciale qui démultiplie le champ des possibles, y compris pour les produits traditionnels. A Singapour, The French Cellar, par exemple, vend par internet un abonnement mensuel pour recevoir deux bouteilles de vins français sélectionnés par un sommelier. Mais, comme le rappelle aussi Alain Dufossé, notre culture peut être aussi un obstacle: «Les freins à l'innovation? La peur du risque et le fait que c'est un territoire difficile à mettre en algorithme pour des grands groupes qui veulent augmenter les probabilités de réussite.» Ajoutons-y le temps, quand on se souvient que Nespresso a mis vingt ans avant d'être un succès.

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