Luxe
En quelques années, ces start-up ont su fédérer une communauté de fidèles au point de faire de l’ombre aux grands groupes. Qui sont les nouvelles pépites du luxe?

[Cet article est issu du n°1928 de Stratégies, daté du 7 décembre 2017]

 

Apple est né dans un garage. Pour les jeunes pousses des cosmétiques, la naissance se fait souvent sur la paillasse d’un laboratoire. C’est ainsi qu’a commencé Codage, marque créée en 2010 par une sœur et un frère, Amandine et Julien Azencott, qui ont élaboré leurs premières formules dans la pharmacie de leur oncle. Passés par la finance pour l’une, le marketing pour l’autre, ils ont positionné leur marque sur le concept novateur à l’époque de la personnalisation. «À nos débuts, on faisait tout nous-mêmes, on découpait les étiquettes à la main, relate Julien. Aujourd’hui, nous en sommes à la quatrième année de croissance à trois chiffres. Si l’industrie cosmétique a démocratisé la beauté sur la promesse d’un produit unique pour tous, on est convaincu que les consommateurs veulent des offres adaptées à leur style de vie.»

Jeunes diplômés ou transfuges de grands groupes, ils sont nombreux à se lancer dans l’aventure de l’entrepreneuriat. Surtout dans le luxe et l’art de vivre, où la France excelle. Les dispositifs d’aide de la BPI, de Business France ou des collectivités locales les y encouragent, de même que l’existence de business angels et du crowdfunding. Mais les réseaux sociaux leur permettent aussi de se faire connaître et de distribuer à vitesse accélérée. Depuis un an et demi, Instagram a créé des outils spécifiques pour les TPE-PME. «Nous leur donnons la possibilité d’ouvrir un compte entreprise, qui leur fournit gratuitement des statistiques sur l’engagement généré par leurs contenus photo et vidéo, ou le nombre de posts sauvegardés», explique Julie Pellet, responsable du développement de la marque Instagram Europe du Sud. La France est le premier pays à avoir créé un salon des «instapreneurs», dont la première édition a eu lieu en juin dernier, et qui va être dupliqué par d’autres filiales.

Par rapport à des marques patrimoniales comme Guerlain, née en 1828, ou Cartier, 1847, ces nouveaux venus sont-ils les grands de demain, ou des projets éphémères? Les histoires présentées ici parlent toutes d’entrepreneurs passionnés, de souci du détail et de service client. Preuve que les valeurs du luxe n’ont pas d’âge.

Mode

Morgane Sézalory a imposé son univers singulier en commençant par la revente sur eBay de pièces customisées, puis en commercialisant ses propres collections en ligne, rapidement épuisées. La success story Sézane se poursuit désormais dans un lieu physique, L'Appartement, rue Saint-Fiacre, à Paris. Un style «chic sans effort» à la française et un service client attentionné (un petit mot « Fait avec amour » dans les colis) ont contribué à la fidélisation de ses acheteuses. Dans la même veine, la marque américaine Everlane vend des bons basiques, fabriqués de façon éthique dans ses usines à travers le monde. Maison Martin Morel fait revivre les motifs d'une ancienne fabrique textile près de Lyon. Transparence, traçabilité, authenticité caractérisent ces entreprises. «Ce qui les réunit aussi, c'est la collaboration, voire la co-création avec le client, observe Emmanuelle Rigaud-Lacresse, directrice du master Luxury in management de Neoma Business School. Elles travaillent en réseau et mettent vraiment le client au centre de leurs développements produits. Les groupes de luxe, au fonctionement plus classique, sont obligés de se poser des questions.»

Maroquinerie/Accessoires

Lorsque Davy Tessier, PDG de l’agence digitale Disko, cherchait un nouveau sac weekender, il a fureté sur internet, et par un retargeting habile, a découvert la marque Buckle & Seam, qui fabrique des articles en cuir de façon équitable au Pakistan. Lui-même habitué à créer des contenus pour les marques de luxe, il a été sensible à son storytelling sur l’artisanat fait main. Moralité, une remise en question s’impose pour les acteurs historiques de la maroquinerie. «40% de l’économie du luxe est consommée par des millennials, qui n’ont pas l’attachement aux marques traditionnelles de leurs aînés, précise le communicant. La réalité est encore plus brutale en Chine où les nouveaux riches connectés n’ont pas reçu de transmission. La jeune génération cherche avant tout du sens, des histoires humaines, un discours sur l’origine.» En témoignent ces labels qui valorisent leur ancrage local, comme Krewe, lunettes de la Nouvelle-Orléans, ou les gants Atelier Particulier, «faits main en Italie». «Nous travaillons avec les meilleures tanneries de France, mais avec une chaîne de coût moindre que les grandes marques», témoigne Thomas Cerkevic, cofondateur de la société RSVP en 2015. La marque RSVP s'est fait remarquer sur Instagram avec sa communication décalée, qui a facilité son référencement au Bon Marché.

Horlogerie-joaillerie

Gemmyo a cassé les codes du bijou précieux avec sa mascotte, un chaton rose, et ses publicités en 4x3 dans le métro. Pour la fondatrice Pauline Laigneau, qui en a eu l’idée en cherchant sa bague de mariage, c’est une réponse à l’univers intimidant de la haute joaillerie. La marque a débuté sur internet, avec une promesse de personnalisation et une fabrication à la commande pour limiter les stocks. Elle a, depuis, ouvert deux boutiques-salons à Paris et à Lyon. « Les start-up du luxe se lancent rapidement, avec une organisation très flexible, mais elles ne peuvent pas se passer de certains codes, comme l’accueil et le service », souligne Emmanuelle Rigaud-Lacresse, de Neoma Business School. Inversement, les horlogers traditionnels se mettent à l’heure du digital. «Il y a trois ans, il était impensable de parler d’e-commerce aux marques de haute horlogerie, elles craignaient trop la contrefaçon et la réaction des distributeurs. Aujourd’hui, elles ont toutes leur site de vente en ligne, mais elles réinventent leur expérience client, pour justifier un achat à 15000 euros», analyse Davy Tessier, PDG de Disko.

Cosmétiques

La marque qui affole les «beautystas» actuellement, c’est Glossier, fondée par Emily Weiss, du blog Into the gloss. Sa présence chez Colette a créé l’émeute rue Saint-Honoré en septembre dernier, car cette start-up digitale native ne livre pas encore en France. «Glossier conçoit sa communication en pensant à Instagram en premier, détaille Julie Pellet, d’Instagram Europe du Sud. Non seulement dans les visuels mais dans la relation privilégiée avec les clients, avec des équipes dédiées à l’engagement des fans et des ambassadeurs.» D’autres modèles existent. Huygens, créée par deux anciens de L’Oréal et LVMH, s’est pensée dès le début comme une marque-enseigne, avec une belle vitrine dans le Marais. «Un bail bien placé a une valeur marchande, soulignent les entrepreneurs, Daan Sins et Sébastien Guerra. Nous avons passé beaucoup de temps dans la boutique pour écouter les clients. » La démarche est l’inverse de celle des marques digitales qui descendent dans la rue, même si Huygens dispose aussi d’un site e-commerce et a lancé une campagne sur KissKissBankBank pour financer son premier parfum. Mais comme Codage, qui a également ouvert un institut dans le Marais, elle mène sa stratégie d’influence avec prudence, pour garder la maîtrise de ses contenus.

Tourisme-culture

Il y a The Collectionist, le «Airbnb des riches», qui organise des vacances sur mesure dans des propriétés d’exception ; Premium Conciergerie, qui délivre des services très haut de gamme à une clientèle exigeante ; Culture Secrets, une application qui permet de participer à des rencontres privilégiées avec des artistes (un «live painting» avec Jean-Charles de Castelbajac ou un dîner avec David Foenkinos)… Autant de start-up en plein essor (The Collectionist vient de lever 10 millions de dollars auprès du fonds de la famille Pinault, Culture Secrets a effectué un deuxième tour de table au printemps dernier auprès de business angels) qui prospèrent sur la notion d’exclusivité. «Les musées et les galeries sont ravis d’organiser des rencontres privées avec une clientèle captive de vrais amateurs culturels», affirme Krystyna Winckler, fondatrice de Culture Secrets, désormais basée à Hong Kong pour internationaliser son concept. «L’idée de l’entre-soi, du secret, de l’expérience en silence est une vraie tendance du luxe, comme Marc Jacobs qui a organisé un défilé sans musique», souligne Delphine Dauge, directrice de l’agence Brandimage.

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