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Concours ,Colloques ou Calembours, Octosyllabes ou mots d’amour, Au dos des trams, Sur Instagram, En quatre par trois, Ou juste pour soi, En tube, en pub, En fute, en jupe, Le vers a la cote. Qu'est-ce que cela dénote ?

Comme un léger Post-it collé sur un placard de cuisine, griffonné à la hâte, pour dire « je t’aime » en partant. Mais celui-ci s’affiche en 4×3 dans les couloirs du métro : « Quelle heure est-il mon amour ?  […] Amour le jour, Amour la nuit, C’est l’horloge, la montre qui me dit, Que notre Amour est infini. » Ce petit poème vous est offert par Mauboussin, artiste joailler, et rimeur dans le métro. Comme beaucoup de marques, l’horloger a puisé dans la forme poétique pour vanter ses produits. 

Une pratique qui s’ébruite... La marque de mode Proêmes de Paris, elle, vend du Rimbaud au mètre, estampé sur ses pantalons. Les vers, à l’allure de gribouillages pour plus d’authenticité, décorent un tissu blanc, coupé au plus juste. On peut aussi évoquer Levi’s qui, il y a quatre ans, osait manier des vers du sulfureux Charles Bukowski en fond sonore, pour sa campagne « Go forth ». Et l’on pourrait citer Lacoste, Air France et tant d’autres. Pourquoi les marques se piquent-elles de jouer les Verlaine ? « Qu’une marque utilise la forme de la poésie n’est pas exceptionnel, mais ce n’est pas courant pour autant, pondère Adrien Torres, planneur stratégique chez BETC. Les marques ont toujours joué sur ce registre d’écriture. » 

Roland Barthes n’estimait-il pas qu’un bon slogan s’analysait avec les mêmes critères qu’un poème ? Dans les deux cas, il s’agit de « faire monde »et de « dépasser la signification de la première phrase », selon le sémiologue. Par le jeu de la métaphore, la technique littéraire consiste à créer de l’imaginaire. Pub et poésie, même combat ? « Ce qui est nouveau, c’est l’utilisation même de la poésie en tant que poème. Un registre que nous proposons de plus en plus », continue Adrien Torres. Et conformément à la règle générale : si la pub en use, c’est qu’elle répond à un besoin répandu. 

Le 1 hebdo, lancé avec succès en 2014, tient une rubrique régulière avec La voix du poète. De son côté, Mediapart a pris l’habitude de clôturer ses directs vidéo hebdomadaires en poèmes improvisés. Lorsque l’on se met à chercher, le poète n’est jamais loin. Surtout quand on parle de poésie urbaine… Le rap revient sur le devant de la scène. Et malgré tous les clichés négatifs que l’on peut lui attribuer, ce genre musical s’écoute avant tout avec les mots. « J’écris des images comme sur les murs de Lascaux », écrit le rappeur Vald dans sa chanson Trophée. Il s’est d’ailleurs ému, après un entretien avec Thierry Ardisson, d’avoir été interrogé sur son identité de rappeur, plutôt que sur ses dires… Mais n’est-ce pas le lot du poète que d’être incompris ? 

Circonstance d’un concours

 Sur Instagram aussi, les mots prennent vie, taclant les images à coups de cœurs rouges. RM Drake, avec 1,7 million  d’abonnés, a tant gratté la lyre qu’il a sorti un livre de ses poèmes contemporains. Et de nombreux autres s’y sont mis, piqués de la même mouche baudelairienne. « Ce phénomène devenu global semble témoigner d’une quête de sens et d’une volonté de “s’élever”, explique le cabinet Peclers dans ses cahiers Futur(s). Les angoisses qu’inspire l’état du monde nous poussent vers ce nécessaire besoin de prendre du recul. Face à la sensation de ne pas maîtriser le progrès technique, l’accélération du temps, la croissance des inégalités et des déséquilibres écologiques qui menacent la destinée humaine, il devient essentiel de renouer avec le sens. »

De retrouver du temps aussi. Qu’on se le dise, la poésie, c’est la meilleure des pauses-café. Celle qui pèse à peine 1 % des lectures françaises vivrait sa révolution démocratique. À tel point que la RATP en a fait un concours pour habiller ses wagons, à la place des publicités. Concours ouvert à tous et accessibles pour tous : la gagnante, Aya Chaouat, n’a que 8 ans. Un exemple pour tous les citadins. 

Le mot juste

Alors, tendance, la poésie ? « J’aimerais bien vous croire », déplore Augustin Trapenard, président du jury dudit concours. « La réalité, c’est qu’il est toujours aussi difficile d’inviter des poètes sur les médias grand public. » L’animateur-philosophe, qui présente la quotidienne Boomerang tous les matins sur France Inter et une émission télé hebdomadaire [21 centimètres, sur Canal+], doit toujours autant jouer des coudes pour faire entendre les poètes, qu’il affectionne particulièrement. « Quand on en verra chez Ruquier et Ardisson, et qu’on parlera vraiment de leur poésie, on pourra parler de tendance », rétorque-t-il. Mais l’ancien normalien ne met pas de côté le travail de fond effectué par le Printemps des Poètes, avec un succès qui s’étire d’année en année. Et la renaissance des revues littéraires, ou autres mooks spécialisés dans le verbe incandescent, encore confidentiels. Pour ce qui est du grand public, la voix la plus suave de France Inter l’admet : il vogue dans l’air un nouveau goût du verbe. « Le mot juste devient tendance », approuve Adrien Torres. Quoi d’étonnant à ce que le texte fasse son grand retour dans une société gavée d’images ? « Le verbe crée une nouvelle surprise pour le public. En pub, longtemps, l’image devait tout dire, et le texte souligner. Désormais, c’est le texte qui renvoie l’imaginaire » résume Adrien Torres. 

Résistance

Une vogue alimentée par les réseaux sociaux. Twitter et ses contraintes ont exacerbé le désir de parfaire son verbiage. Tout le monde cherche sa « punchline » – avant de la disséminer sur la Toile. « Mais il faut différencier le genre poétique du mode poétique, détaille Augustin Trapenard. La poésie est un médium, pas un genre. Elle dépasse les règles comme le vers ou la rime », argue-t-il. 

Leçon pour les aspirants versificateurs : ce n’est pas la rime qui fait le poète, mais le poète qui joue de la rime. La publicité peut bien s’habiller de poésie. In fine, elle ne s’empare que de ses symboles. « La marque peut jouir du rayonnement du poète, artiste encore protégé dans la société, par rapport aux peintres ou aux cinéastes. Son aura est plus pure », continue Adrien Torres. 

Utiliser la poésie, c’est aussi bénéficier de l’émerveillement premier du lecteur face à un poème. « La sympathie de la lecture est inséparable d’une admiration », disait le philosophe Gaston Bachelard dans La Poétique de l’espace. Ajoutée au jeu du texte, à l’image « chic » et au clin d’œil métaphorique, le cocktail est suffisant pour que les marques fassent de la pub avec des pieds. 

Mais le « mot juste » n’est pas la poésie. Le goût du texte non plus. « La poésie est ce qui ne se donne pas pour poésie », résumait Francis Ponge. Elle porte toujours en elle la couleur de la résistance. La résistance au langage, tout d’abord, puisqu’il s’agit d’en détourner les automatismes. La résistance au récit, ensuite, en laissant le lecteur s’approprier les images. « Lavée de sa notion de genre, la poésie se retrouve partout. Elle réside finalement dans tout acte créatif », philosophe Augustin Trapenard. Adieu, storytelling, le lecteur fait la loi ! 

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