Propriété intellectuelle
Le cas récent de Brioche Pasquier, qui mène la vie dure à certaines start-up quant à l’usage commercial du mot pitch, rappelle que la propriété intellectuelle est un enjeu majeur pour les marques disposant d’une forte notoriété. Au point d’abuser des règles de protection en la matière ?

Une simple brioche, source de discorde entre un groupe agroalimentaire et des start-up. C’est le scénario - un brin ahurissant - médiatisé ces derniers jours autour de l’usage du mot pitch. Cinq lettres ayant le malheur de désigner à la fois la gamme phare de Brioche Pasquier et un anglicisme en vogue dans l’entrepreneuriat et en agence. Résultat : plusieurs actions en justice menées par le groupe Pasquier, qui exaspèrent au plus haut point les entrepreneurs concernés. Au moins six start-up françaises (L’école du pitch, Pitch in the plane…) ont ainsi reçu ces derniers mois des courriers recommandés les enjoignant expressément à renoncer à leur produit ou marque sous peine de poursuites.

« Une marque est un titre de propriété intellectuelle qui confère un monopole commercial. Ce n’est en rien le droit de privatiser un terme, qui peut parfaitement être employé dans le langage de tous les jours », rappelle Laurent Mulatier, responsable du service affaires juridiques et contentieux de l’Institut national de la propriété intellectuelle (INPI). Le problème ne vient donc pas du mot pitch comme le montre l’exemple de Montblanc et Mont Blanc, un nom sous lequel cohabitent sans heurts des stylos de luxe et des crèmes desserts. Alors, comment expliquer ce « pitchgate » ? « En matière de marques, c’est la classification internationale de Nice qui prévaut et qui détermine les différentes classes d’activité, au nombre de 45 », reprend-il. Soit autant de catégories dans lesquelles une marque peut être protégée. Conséquence : une entreprise, même spécialisée, peut choisir de protéger sa marque dans des secteurs situés aux antipodes de son activité. C’est le cas de Pitch, que le groupe protège dans près d’une quarantaine de classes, de la formation... aux armes à feu.

Déchéance

« Ce type de comportement est très limité car il n’a pas de sens économiquement. Par ailleurs, plus on dépose la marque dans un nombre important de classes, plus cela coûte cher », précise Laurent Mulatier. Une notion toute relative, dans la mesure où les droits d’exploitation d’une marque pendant dix ans dans les 45 classes d’activité coûtent… moins de 2 000 euros. Une paille pour des griffes comme Pitch, Velux, Caddie ou encore Post-it, propriété de 3M. « Le droit des marques s’accompagne d’une obligation d’exploiter la marque déposée sous peine de pouvoir être frappée de déchéance à partir de cinq ans », prévient toutefois Laurent Mulatier, qui pointe le danger majeur pour des acteurs aux patronymes en voie de vulgarisation. « Quand une marque est victime de son succès, si rien n’est fait, celle-ci risque la dégénérescence », explique-t-il, en référence au mécanisme par lequel la marque perd le droit d’usage commercial de son appellation. Un cercle vicieux car pour conserver son bien, l’entreprise doit prouver qu’elle a mené les démarches nécessaires, procédures judiciaires incluses. À cela s’ajoute enfin une problématique spécifique aux marques notoires, à qui la jurisprudence reconnaît souvent le droit à une protection supplémentaire au regard du risque de parasitisme (procédé par lequel une marque se sert indûment de la notoriété d’un acteur économique issu d’un autre secteur à son profit).

« Tant qu’un produit est inimitable ou qu’il est protégé par un brevet, ce n’est pas grave si la marque entre dans le langage courant. Le danger survient quand un concurrent arrive. Imaginez que vous demandiez un Coca au bar et que l’on vous serve un Pepsi, alors tous les efforts de Coca-Cola investis dans sa marque sont réduits à néant par cet amalgame qui profite à la concurrence », illustre Marcel Botton, directeur général adjoint de l’agence Nomen, spécialiste du naming.

Lutte des classes

Mais au-delà des concurrents, se pose une question de langage. Quand un produit nouveau apparaît et que la langue ne le décrit pas encore, il paraît légitime que la marque soit utilisée. Et si, vu de loin, entrer dans le dictionnaire apparaît comme le signe ultime d’adoption par le grand public, c’est en fait une rançon de la gloire contre laquelle tous luttent. « Tous les responsables marketing que je connais se battent contre ce que l’on appelle la “lexicalisation” », assure le communicant. La démarche n’est pas spontanément comprise, mais c’est un passage obligé. Ceux qui ont baissé les bras ont connu le sort d’Aspirin, autrefois marque du laboratoire Bayer, Pedalo ou Sopalin.

Stéphane Dedieu, PDG des Ateliers Réunis Caddie, en sait quelque chose : le budget qu’il consacre à la défense de sa marque de chariots de supermarchés ne cesse de grimper. Une défense qui passe par des rappels aux journalistes, et une veille active de l’utilisation de la marque via la protection de plusieurs orthographes (Caddy, Cadi…) et de cinq classes à l’INPI, principalement dans celles du matériel roulant, motorisé et non-motorisé. Ainsi, pour exploiter son utilitaire Caddy, Volkswagen a dû verser des royalties au groupe français, quand Velux prend carrément le parti de protéger sa marque dans l’ensemble des classes d’activité. Quitte à entraver des concurrents tout sauf directs et à brider l’activité économique ? « Il y a la loi et l’esprit de la loi. Les tiers ont toujours la possibilité de motiver une action en justice sur le fondement de l’abus de droit, qui consiste à prouver qu’un texte est détourné de sa philosophie principale », conclut Laurent Mulatier. Une démarche qui s’apparente ni plus ni moins qu’à un rapport de force, et dont le Petit Poucet a très peu de chances de sortir vainqueur.

Comment se protéger ?



Quelques techniques existent pour ne pas précipiter sa marque dans le domaine public. Lorsqu’il s’agit d’un nouveau produit ou service : proposer un terme de substitution. Par exemple, la sortie du Walkman de Sony s’est accompagnée du terme alternatif baladeur. Et ça a marché. Attention à ce que l’alternative donne envie, ce qui n’est pas forcément le cas des notes adhésives repositionnables de Post-it… Autre idée, présenter sa marque comme un adjectif et non un substantif. On ne dit pas un Uber, mais un VTC Uber. Et si la marque entre dans le dictionnaire, veiller à ce que l’éditeur précise qu’il s’agit bien d’un nom déposé.

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