#StrategiesLes15 / Michel-Edouard Leclerc
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, la forte présence de Michel-Édouard Leclerc sur les réseaux sociaux n’est pas une «stratégie» définie. Le patron des centres E. Leclerc explique comment il a appris de manière empirique à les utiliser, et ce qu’ils lui apportent.

Voilà une douzaine d’années déjà, que je m’attèle à la rédaction de billets sur mon blog « de quoi je me mel ». C’est le bloggeur Loïc Le Meur qui m’y avait incité et, à l’instar de quelques personnalités telles le juge Bilger ou Jacques Attali, je prends un certain plaisir à développer mes réflexions, quelques argumentaires sur l’actualité, ou à parler des projets de l’enseigne : la santé, la culture, l’écologie, le digital, la formation... Le blog me permet de compléter les citations, souvent hors contexte, parues dans les médias, de compenser des jugements lapidaires qui tiennent lieu, trop souvent, d’information. 

Au fil du temps, il s’est installé dans le paysage médiatique, et est régulièrement cité par les journalistes. J’essaie aussi de l’adapter au contexte digital de son époque, en laissant plus de place à l’actu chaude, et en tentant (mais j’ai du mal !) de présenter des notes plus courtes, mais plus fréquentes, tout en utilisant les bons mots-clés pour améliorer son référencement ! Mais pour ne pas dépendre de l’opinion de quelques chroniqueurs qui font goulot dans le sablier, il me fallait multiplier les réseaux pour m’assurer une audience large, gage d’indépendance et de liberté, tant à l’égard des autres médias que du pouvoir politique.

De leur côté, les centres E.Leclerc ont professionnellement adapté la communication de l’enseigne aux nouvelles exigences du digital. Les magasins ont leurs pages Facebook, les MDD leurs profils Instagram, et les sites Leclerc d’e-commerce travaillent la relation client. Mais si l’enseigne est reconnue pour ses valeurs, elle se heurte sur le net (comme n’importe quelle marque) à une méfiance du public à l’égard du surinvestissement publicitaire, à son refus d’être envahi, hier par les catalogues, aujourd’hui par la profusion de mails et de sollicitations digitales en tous genres. 

Une expression incarnée

Alors de mon côté, et en accord les centres E.Leclerc, j’ai décidé de développer ma politique éditoriale, sur tous les réseaux, en la dissociant de la communication de l’enseigne. Bien sûr, je la relaie, mais selon mon tempo et mes choix. J’y gagne en liberté d’expression. Et en retour, les centres E.Leclerc peuvent se référer à une expression plus humaine, plus incarnée, et plus distanciée par rapport aux enjeux commerciaux. Je ne suis pas devenu un geek pour autant ! Un an de pratique plus tard, et une centaine de milliers de followers ou de fans, ne font pas de moi l’interlocuteur exclusif des 18 millions de clients de l’enseigne. Mais l’effet de levier est évident. L’audience est réelle, réactive et le public me sait accessible et les échanges vont plus que bon train. Oserais-je le dire : j’y prends du plaisir. 

Comment j’en suis arrivé là ? Tout a commencé sur Instagram. Je prends toujours beaucoup de photos, je stocke. Un collaborateur m’a suggéré de les partager. La surprise est venue de la réaction des salariés, lors d’événements au siège de l’entreprise. J’ai découvert que j’étais présent, sans le savoir, sur bon nombre de comptes de collaborateurs : selfies, photos d’inauguration, au milieu de leur rayon, je figurais entre vie familiale et souvenir de voyages. Très ému, j’ai forcément liké ! Et petit à petit, j’ai découvert une communauté qui disait discrètement, mais joliment, sa fierté de travailler avec nous. Ça renforce le sentiment de responsabilités ! Depuis, j’ai découvert les communautés de bretons, de randonneurs, d’amoureux de la BD, de l’art et des livres. Pendant que certains journalistes s’interrogent sur une stratégie de communication qui leur semble incompréhensible, je tisse avec mes followers des liens voire des complicités. Faire partie du réseau, c’est tout simplement montrer que l’on est capable aussi de prendre un peu de temps pour créer du lien, en dehors de tout le reste.

Facebook, la famille

Pour Facebook ou Linkedin, c’est un peu différent. J’ai imaginé une répartition des rôles. Sur le premier, je relaye l’esprit du blog. L’ambiance est plus familiale. On y parle consommation, vie des magasins. Le public s’intéresse, je lis les commentaires, c’est souvent instructif. Je colle plus aux préoccupations sociétales d’un public que je sais concerné par les enjeux de nutrition, d’écologie, de prix, d’emploi… et même d’un peu de politique ! Sur LinkedIn, je m’adresse à une communauté plus professionnelle  : DRH, consultants, coachs, étudiants, commerciaux… J’essaye donc d’y valoriser des expériences, des projets issus de la rencontre avec des salariés, des entrepreneurs passionnés par leurs métiers.

Cette manière de faire est la mienne, cela ne rentre pas dans une stratégie préconstruite. Tout cela s’est construit en marchant, en fonction aussi des réactions. Et si je peux en dégager quelques conseils pour d’autres grands patrons, ils ne sont avant tout que le fruit de mon expérience, et forcément colorés de la spécificité de mon secteur. Le plus important, c’est de ne pas parler que de sa boîte, ni même faire l’homme- sandwich si l’on veut défendre l’utilité sociale de ce que l’on fait. C’est à cette condition que l’on rassemble. Et c’est un rôle qui me plaît.

Cultiver une liberté de ton

 

J’apprends beaucoup par les critiques. Les échanges m’inspirent. Je crois à ce type de prise de parole comme révélateur d’intentions, comme expression d’une vision sincère, mais cela doit absolument rester personnel et impliquant.

 

Agréger une forte audience

 

Réunir sur plusieurs réseaux différentes audiences, nombreuses mais variées, me permet de gagner en indépendance. De faire passer des messages sans passer par la voix unique de certains chroniqueurs.

 

Travailler avec la marque

 

Si mon utilisation des réseaux permet de créer du lien entre mon audience et l’enseigne, j’évite bien sûr de marcher sur les plates-bandes de la communication officielle. Ce sont deux choses séparées mais qui ne doivent pas se court-circuiter.

 

Ne pas croire que l’on perd du temps

 

Avant, je passais beaucoup de temps à me répéter dans les journaux quotidiens, dans les écoles de commerce, auprès de la vie associative et même dans les réunions internes. Aujourd’hui, poster ce à quoi l’on croit et pouvoir se référer à un site permet parfois de faire l’économie d’une répétition chronophage !

 

Ne pas parler que de soi

 

Au début, certains étaient perplexes. Ils avaient l’impression que j’allais m’éparpiller. En me voyant citer Ikea, Picard autant qu’E.Leclerc, en parlant plus des producteurs ou des salariés que de nous-mêmes, ils ont vite compris que mes réseaux sociaux auraient perdu de leur intérêt si je ne m’étais focalisé que sur nous seuls.

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