Entretien
Jean-Marc Jancovici, président de The Shift Project, revient sur la consommation énergétique du numérique.

[Cet article est issu du n°1951 de Stratégies, daté du 24 mai 2018]

 

Avec votre think tank, le Shift Project, vous venez de publier une première mouture d’un rapport sur l’impact environnementale du numérique. Elle n’est pas bonne ?

Oui ! On a beau se vanter d’être une société technologiquement avancée, nous restons primaires et rustiques. La tech est souvent vue comme une bonne idée, car elle demande de l’intelligence. On met le mot « smart » partout, d’ailleurs. C’est une association qui s’est faite insidieusement : penser que la tech va résoudre tous les problèmes, y compris le problème climatique. Mais on confond performance technique et capacité à résoudre un problème global. En réalité, tout le monde « dématérialisé » est une chimère. Dans le rapport, nous avons tenté d’avoir une approche globale, en regardant l’impact du numérique sur les énergies fossiles et les matériaux. Écrans de télé, smartphones… on a regardé la part de l’énergie totale consommée dans le monde avec ces nouveaux outils. Au total, l’essentiel de la consommation énergétique du numérique se situe dans la fabrication. On parle souvent de l’énergie pour faire tourner les serveurs de Google mais ce n’en est qu’une petite partie. Par exemple, pour un smartphone, 80 % de la consommation énergétique a lieu avant son achat.

Et au total, cela fait beaucoup ?

Au total, on estime que l’empreinte carbone du numérique correspond à 2 % des émissions mondiales. Soit autant que l’émission carbonée des avions ou des bateaux sur la planète. Mais personnellement, j’irais même plus loin : si l'on supprime tout le numérique demain matin, le monde s’effondre. Les banques ne fonctionnent plus, et plus aucun avion ne décolle… Donc, dans le système économique mondial, le numérique est un inducteur d’émission. Il pollue de manière indirecte, et permet tous les autres types de pollution. Tout cela pour dire que la tech est peut-être smart, mais elle n’est sûrement pas verte !

Mais la tech pourra s’améliorer et réduire la consommation énergétique ?

Pour le moment ce n’est pas du tout le chemin qu’elle prend. Le rythme d’amélioration de l’efficacité énergétique sur les 50 dernières années était de 0,8 % par an. Mais sur les 15 dernières années, elle est moins élevée, à 0,5 % par an. Toutes les améliorations sont à la marge, et très faibles. En réalité, on compte beaucoup d’effets rebonds, à chaque avancée. Vous faites des batteries plus performantes, mais qui vous permettent d’utiliser des applications plus énergivores. Donc on les recharge autant qu’avant. Et lorsqu’on regarde la progression attendue du numérique, on ne peut que s’inquiéter pour la suite. On aura beaucoup de mal à conserver cette progression du numérique et les principes des accords de Paris de la Cop21.

 

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