Dossier Ciblage
Alors que les problèmes de brand safety perdurent, les annonceurs du luxe font figure de modèle pour leur capacité à protéger leurs marques dans l’écosystème digital. Karen Pouey, vice-présidente média et digital de Coty Luxury, nous donne le mode d’emploi.

Avec l’acquisition de 41 marques cédées par Procter & Gamble en 2016, votre groupe s’est hissé sans encombre dans le top 3 des leaders du marché mondial de la beauté. Quel regard un acteur de votre taille porte-t-il aujourd’hui sur le ciblage publicitaire?

Karen Pouey. Notre posture est spécifique puisqu’elle repose sur deux approches différentes. Comme beaucoup, nous travaillons la data que nous collectons sur nos sites et plateformes sociales. Néanmoins, beaucoup de nos marques étant sous licence, nous n’avons pour celles-ci qu’un accès restreint aux données consommateurs.

Comment travaillez-vous le ciblage publicitaire sans accès direct à ces données?

Nous entretenons des partenariats forts avec les maisons de mode pour partager notre connaissance du consommateur. Nous testons par exemple des segments jumeaux d’audience à partir de l’étude de leur site ou de ceux des revendeurs. En parallèle, avec l’aide de notre département études, nous investiguons dans le monde entier avec d’autres types d’outils (visites mystères, groupes quali, études des points de vente) pour reconstituer le profil de nos clients.

Le ciblage publicitaire est-il devenu pour vous un incontournable?

Oui, mais pas à n’importe quel prix. Certes, nous avons testé ces approches très tôt et avec succès pour les produits grand public du groupe. Sur Coty Luxury néanmoins, notre approche est plus prudente. Nous sommes toujours en observation sur le programmatique, avec des volumes maîtrisés, sur des places de marché privées et avec deals garantis. Nous avons aussi été parmi les premiers annonceurs à vouloir contractualiser en direct pour utiliser nos propres outils de mesure sur la visibilité, la brand safety ou la fraude et demander aux plateformes un droit d’accès à leurs informations. L’automatisation n’excluant pas les erreurs, le contrôle continu reste un garde-fou.

L’année a été marquée, il est vrai, par plusieurs exemples malheureux en matière de brand safety. Comment une marque de luxe comme la vôtre peut-elle se protéger dans ces nouveaux environnements ?

Nous sommes très exigeants sur les contextes de diffusion et de retargeting, car nous ne sommes pas prêts à cibler un individu, aussi porteur soit-il, n’importe où. Le ciblage part avant tout de l’ADN des marques, pour être travaillé en univers clos et de manière contextuelle. Nous privilégions aussi des inventaires premium et certaines plateformes spécifiques, comme Instagram et Pinterest, mais aussi Facebook pour sa puissance.

Au-delà de ce travail contextuel, vous imposez-vous d’autres exigences?

Nous ne nous satisfaisons pas des normes officielles du marché, qui définissent une impression comme vue dès lors que 50% de l’image est visible pendant deux secondes. Notre définition chez Coty est qu’une image doit être 100 % visible à l’écran pour que l’impression soit prise en compte. Pour éviter également tout phénomène d’intrusion, nous appliquons des ratios de pression publicitaire stricts, avec un nombre d’expositions au même message limité à trois en moyenne. Enfin, nos méthodes de ciblage intègrent de nombreux filtres : critères socio-démo mais aussi centres d’intérêt, sensibilité à certaines marques… Si la somme de toutes ces exigences nous restreint en termes de portée, nous sommes sûrs en revanche de toucher des individus auprès de qui notre communication résonne véritablement.

Beaucoup prônent aujourd’hui la nécessité de personnaliser les messages, sans quoi le ciblage perdrait en pertinence. Vous ne suivez pas forcément cette logique…

Nous sommes convaincus que la création joue un rôle primordial dans l’engagement des consommateurs. Nous adaptons donc nos contenus à l’esprit des plateformes investies, et construisons des scénarios séquencés pour proposer au consommateur des contenus différents selon son avancée dans le parcours de conversion. Néanmoins, en matière de luxe, les consommateurs attendent une histoire très forte, qui doit rester consistante dans le monde entier, ce qui pose un cadre aux possibilités de personnalisation.

Cette affinité ultime offerte par le ciblage peut-elle à terme diminuer l’intérêt du mass media dans les stratégies des annonceurs?

Je ne le crois pas. Les médias traditionnels restent incontournables pour construire une marque et éveiller la curiosité de nouveaux consommateurs. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si nos vagues en télévision, premier budget en termes d’investissement média, comptent parmi les générateurs de pic de search les plus importants.

Autre sujet, l’internalisation des ressources chez les annonceurs, qui est une tendance croissante. Sur ce point, vous semblez suivre le mouvement…

Nous avons effectivement intégré en 2015 Beamly, une agence digitale qui réunit dans nos locaux data scientists, ingénieurs, planners et bien sûr acheteurs. Avec cette proximité nouvelle, nous avons beaucoup appris. Mais nous finalisons également en ce moment toute une série d’appels d’offres pour recruter des partenaires sur différents sujets clés tels que la création de notre DMP ou la gestion de nos achats programmatiques.

Si vous aviez un seul conseil à prodiguer à un annonceur, quel serait-il?

Une autre forme de ciblage reste essentielle, celle du consommateur qui vous choisit, au travers des communautés de vos marques ou de celles des influenceurs. C’est à mes yeux le changement le plus important, car nous passons dès lors d’un statut de marque transactionnelle à celui de marque relationnelle. À la diffusion unilatérale de messages, succède l’instauration d’un dialogue avec le consommateur. Toute stratégie de ciblage doit donc aujourd’hui être envisagée à double sens, en allant chercher de nouveaux individus potentiellement captifs mais en s’appuyant aussi sur ceux qui vous ont choisi et sur lesquels vous résonnez le mieux.

Le ciblage individuel existera-t-il réellement un jour?

Les possibilités sont infinies, et techniquement, nous serons très probablement en mesure de le faire. Mais à trop vouloir personnaliser, on peut aussi y perdre une certaine consistance de marque.

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