Dossier Social media
Théâtre de tous les buzz, bons comme mauvais, les réseaux sociaux obligent aujourd'hui les marques à payer pour être vues. Mais le jeu en vaut souvent la chandelle, même si créativité et audace sont aussi nécessaires pour sortir du lot.

2,9 millions de fans pour la page Facebook d’Oasis et les aventures rigolotes de sa famille acidulée : on pourrait croire la marque de boissons du groupe Orangina Suntory en position confortable. « Nous avons la chance d’avoir une communauté hyper-engagée et encore du reach organique [de l’audience gratuite], avec un record à 85 % lors de notre dernière opération avec le youtubeur Maskey, assure Tanneguy Desmarest, son marketing manager. Pour d’autres, la moyenne de reach sur sa base de fans est de 1 à 3%, autant dire pas grand chose. Mais même nous, nous avons besoin de médiatisation pour toucher la masse critique. » Voilà le changement de paradigme des réseaux sociaux ces derniers mois : en favorisant les contenus des amis et de la famille, Facebook oblige les annonceurs à payer s’ils veulent s’immiscer dans les fils d’actualité. « Cela change toute l’approche du social media, explique Sacha Lacroix, directeur général de l’agence Rosapark. Avant, une marque avait des fans qui attendaient ses contenus. Depuis un an et demi, elle n’a plus de communauté, le monde entier est là mais elle doit payer pour l’atteindre. » Facebook, le réseau leader avec 34 millions d’adeptes en France, et les autres ne sont plus tant des médias sociaux que des médias tout court. « Jusqu’à l’an dernier, on parlait de social media, maintenant on dit “social is media” », résume Sacha Lacroix. En somme, analyse Axel Thomasset, directeur associé d’Havas Paris chargé du social media, « Facebook a fait naître l’idée de réseau social et l’a fait mourir quelques années après. »

Facebook, la régie la plus puissante

Désormais, comme la marque doit payer, elle surveille de près le retour sur investissement. « Les pratiques des annonceurs sont plus ROIstes », admet Axel Thomasset. « Cela devient stratégique, note Julien Scaglione, directeur général adjoint de DDB chargé des stratégies sociales et transfuge de Buzzman. On ne se contente plus d’un simple reporting comme avant. Désormais, la question est “à quel moment cela sert-il le business de la marque ?”, et on essaye d’y répondre de façon de plus en plus précise. » Car voilà le second étage de la fusée marketing des réseaux sociaux. Il faut payer, mais, en retour, Facebook offre le graal du marketing : toucher la bonne personne au bon moment. « Facebook est devenue la régie la plus puissante et la plus précise, reconnaît Thibaut Sebire, directeur social media de Castor & Pollux, qui vient de gagner le budget digital de Justin Bridou. Je peux par exemple aller cibler dans un rayon de dix kilomètres autour d’une ville tous les amateurs de saucisson. Certains de nos clients matures, comme Nestlé, voient Facebook uniquement comme une régie, et quand ils mettent 5 000 à 15 000 euros sur un post, ils préfèrent que l’argent soit bien utilisé. »

Certains agences ont bien intégré cette dimension marketing. « Si une marque poste sur Instagram un visuel produit qui renvoie sur un site, elle peut alors tracker les gens. Ça l’aide à connaître sa cible, ses habitudes de consommation, faire du CRM ou la retargeter, explique Lilith Peper, directrice conseil de l’agence Braaxe. En tant que responsable du marketing, je sais exactement combien rapporte l’euro dépensé en communication, ce qui est impossible en télé ou en affichage. » Pour Gilles Marc, head of socialmedia  d’OMD, les marques peuvent désormais « faire de la dentelle de façon massive », et elles ne s’en privent pas. « Entre 2016 et 2017, nous avons enregistré une progression de 100% des investissements dans le social media », constate-t-il à l’agence média.

Recette magique

En livrant leur profil, en postant régulièrement, les utilisateurs de Facebook donnent ainsi aux annonceurs la possibilité de faire de l’ultra-ciblage. « On peut quasiment aller vous chercher, vous en tant qu’individu, et donc on ne crée plus seulement un contenu unique mais des déclinaisons par rapport aux différentes cibles », souligne Lilith Peper, qui défend la notion de « social first », c'est-à-dire le fait de penser d’abord sa communication en fonction des réseaux sociaux. Pascal Nessim, co-CEO de l’agence Marcel, fait le même constat. « Pour un annonceur comme Renault, on peut imaginer d’avoir une campagne pour les fans de cinéma, une autre pour les rugbymen et une dernière pour les mordus de technologie. Le social permet de vraiment travailler sur des cibles ; c’est aussi pour cela qu’on s’est rapproché d’une agence média comme Blue », indique le publicitaire, pour qui les réseaux sociaux sont un formidable « terrain de jeu ».

« Quand la marque réunit tous les ingr édients et qu’à la fin, avec un peu de média au départ, elle atteint cinq à dix fois le montant initial investi, c’est magique. C'est le cas d'Oasis avec la campagne du youtubeur Maskey, qui a totalisé 4 millions de vues pour 600 000 achetées », ajoute Pascal Nessim. Le contenu reste roi, mais payer oblige aussi à faire moins pour faire mieux. « Les marques veulent souvent être présentes partout, mais ce n’est pas forcément utile. Certaines peuvent par exemple réserver Twitter au B-to-B », note Michaël Borges, head of social de MNSTR. Pour lui, « il y a nécessité de concentrer son énergie, car le community management demande beaucoup de temps en conception et en production, donc autant adresser le contenu au bon réseau. » Dans la dernière campagne Pringles sur la célébration des buts par les footballeurs, l’agence a mélangé les personnalités, de Ramzy à Frank Lebœuf, pour toucher plusieurs communautés, avec des formats courts pour Messenger, d’autres plus longs pour YouTube.

Pour le meilleur et pour le pire

Qui dit contenu ROI dit aussi créativité et audace pour émerger. Une marque comme Skoda n’en a pas manqué lorsqu'elle a envoyé, pour parodier le véhicule stratosphérique de Tesla, une voiture sur Mars… petit village en Ardèche, une opération conçue avec l'agence Rosapark. « Il faut utiliser les bons codes culturels pour être repris, pas forcément asséner un message », note Nicolas Camillini, head of strategy de 84.Paris, qui a imaginé un faux teaser de Game of Thrones, un faux épisode des Simpson ou encore une fausse bande-annonce de blockbuster pour soutenir la cause de Greenpeace. « Mais quand on est présent sur les réseaux sociaux, c’est pour le meilleur et pour le pire », tempère Axel Thomasset chez Havas. De fait, le risque de bad buzz n’est jamais loin. Pour émerger, « il peut être intéressant pour une marque de se situer à la lisière de sujets polémiques », note Eric Maillard, directeur général d’Ogilvy Paris, où il coordonne les équipes social media. « L’enjeu, c’est d’avoir une connexion irréprochable à l’opinion publique et à son expression sur les réseaux sociaux, conseille-t-il. Il y a des sujets incandescents. Si on les aborde, il faut un dispositif d’alerte et anticiper en prévoyant des contenus qu’on n’utilisera peut-être jamais. » Marketing ou pas, les réseaux gardent une part d’imprévu…

Des outils pour être à l'écoute

C’est la nouveauté dans le domaine du social listening : la démocratisation des outils. Le français Linkfluence, l’un des leaders mondiaux de la discipline, propose depuis peu Linkfluence Search, un outil qui se veut aussi simple d’utilisation qu’un moteur de recherche. « Vous entrez un mot ou une association de mots et dans le millième de seconde, ça remonte un an de données, avec une courbe de volumétrie, le nombre de conversations, sur quelles plateformes, dans quels pays, avec quels émojis… », explique Guilhem Fouetillou, cofondateur de Linkfluence. Tous cherchent aujourd’hui à se positionner sur ce créneau, avec un enjeu de taille. La collecte de la donnée via le datamining et son traitement par intelligence artificielle sont cruciaux. La social intelligence, indique Sandrine Plasseraud, fondatrice et présidente de l’agence We are social France, est utilisée « comme outil de veille à l’occasion d’une gestion de crise, pour détecter des signaux faibles », mais aussi en amont pour « identifier des situations de consommation, notamment à partir de la veille visuelle. » Pour Guilhem Fouetillou, « le web est plein d’insights, il n’y a qu’à se baisser pour les ramasser… à condition d’avoir les outils. »

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