Agrochimie
On imagine la taille de la fosse que Bayer devra creuser pour enterrer la marque Monsanto et ses scandales sanitaires. Mais Roundup et compagnie sont gardés. De quoi parler de « brand washing » ?

Quand la mauvaise herbe est la plante elle-même, même l'herbicide Roundup ne peut rien. Mieux vaut tout arracher. C’est ce qu’a décidé Bayer en annonçant le 7 juin la suppression de la marque Monsanto. Depuis 1901, l’entreprise s’était recouverte d’un épais feuillage de scandales. Pour le président de Bayer France, Frank Garnier, «Monsanto avait l’image du diable». Le chimiste allemand a déboursé 66 milliards de dollars le 14 septembre 2017 pour mettre la main sur le leader mondial des semences. D’un point de vue industriel, le groupe pharmaceutique, déjà présent dans l’agrochimie, voulait « rééquilibrer » ses activités, entre santé et agriculture. La lecture du deal est toute trouvée pour les militants, dont Europe Écologie-Les Verts: Bayer vendra «le poison et son antidote». Car ce grand coup de serpe, historique s’il en est, ne sera pas aussi redoutable que le célèbre herbicide. Bayer laisse les racines intactes.

Les vieux cadavres de Bayer

C’est qu’on ne cache pas un Monsanto, comme ça, discrètement, sous le tapis... En digérant sa proie, l’allemand risque l’intoxication alimentaire. Le jour même de l’annonce de l’ablation de la marque honnie, le syndicat L’Abeille de l’Aisne porte plainte contre Monsanto, mais aussi contre Bayer, pour avoir retrouvé du glyphosate dans le miel de ses apiculteurs. Voilà que les tirs initialement orientés vers l’américain sont maintenant fléchés vers l’échelon supérieur. Pire ! En parallèle, médias et internautes inondent les réseaux sociaux de critiques. Ils font remonter à la surface des cadavres que Bayer pensait décomposés. Alors que le laboratoire jouit de la troisième meilleure opinion dans la pharma derrière Roche et Sanofi, selon une enquête Ipsos de 2016, resurgit son rôle dans la Shoah, lorsqu’il formait avec Agfa et BASF le conglomérat IG Farben, dont le produit phare était le Zyklon B. Revoir ces images est une « souffrance pour les salariés », réagit Lise Lemonnier, directrice de la communication. Elle a, par ailleurs, installé une intranet spécifique («One Bayer France») expliquant le rachat de Monsanto. «Une opération qui nous renforce et nous engage», résume l’un des articles.

C’est maintenant que Bayer entre dans le dur. On n’efface pas un si lourd passif d'un coup de gomme, que l’on arrangera après à coups de com. De nos jours, l’image de marque se forge de plus en plus avec des actions concrètes, jugées par le tribunal des réseaux sociaux. Et ses jurés ont la main lourde. Un exemple? Le boycott de Danone au Maroc commandité depuis Facebook, il causera 20% de pertes de chiffre d’affaires selon l’industriel. Dans le cas de Monsanto, il sera plus dur de joindre l’acte à la parole. Bayer joue «la transparence» avec d’intenses relations médias, une lettre ouverte de son président, et veut «mieux expliquer» ce qu’il fait. Mais que faire quand c’est quasiment toute l’activité qui est décriée? Les semences génétiquement modifiées, et pesticides, dont le glyphosate, classé «cancérigène probable» par le Centre international de recherche sur le cancer. Pour la substance active du Roundup, la direction explique qu’elle ne trouvera pas d’alternative accessible «avant huit ou dix ans». D’ici-là, Bayer communiquera sur la hausse de ses investissements, devant donner naissance, notamment, à une agriculture numérique de précision, censée réduire les doses.

Vieilles recettes

Tant que rien n’est fait, la suppression de Monsanto a tout d’une opération de «brand washing» aux yeux de Marie Muzard, directrice de MMC. «Le remède n’est pas nouveau. En 2005, le Crédit Lyonnais, éclaboussé par l’affaire Tapie-Adidas, se renommait en LCL. Début 2018, Areva est devenu Orano pour tourner la page des années Lauvergeon et de l’affaire des mines d’uranium», illustre l’experte ès crises. Les exemples de renommage sont fréquents, mais les suppressions totales, surtout à cette échelle, sont plus rares. Il existe quatre raisons pour lesquelles une marque est effacée, explique Timothée Gaget, directeur de la communication stratégique de Comfluence: «Premier facteur de disparition de marque, lorsque l’activité s’arrête, comme le fabricant auto Saab. Autre cas de figure: lorsqu'on fait émerger la marque ombrelle, à l’image d’Airbus. On peut aussi se trouver dans le cas où la marque ne correspond plus à l’ADN: ainsi France Telecom a choisi Orange pour s’internationaliser. Enfin, dernière possibilité: la marque peut mourir devant le scandale, comme Germanwings devenu Eurowings à la suite du crash aérien de 2015 ayant fait 150 morts car le copilote voulait se suicider.» En politique, Marine Le Pen a changé d’image en renommant le FN. Sa nièce, quant à elle, a lâché le nom Le Pen.

En supprimant le nom Monsanto, la journaliste d’investigation Marie-Monique Robin craint que Bayer ne nettoie les tablettes remplies de plaintes et actions collectives en cours. «Nous n’avons eu aucune réponse», soutient-elle, agitant le spectre de 2002. La firme est alors condamnée à 700 millions de dollars pour avoir pollué «le territoire d'Anniston et le sang de sa population avec les PCB [polychlorobiphényles]». «Une partie devait être payée par la filiale Solutia, mais elle a déclaré faillite», souligne l’auteure – entre autres – du documentaire Le monde selon Monsanto, qui a largement contribué à mettre au jour les pratiques de l’agrochimiste. Ses travaux ont également permis de rappeler la variété du registre de l’influence, composée de «pressions sur les scientifiques indépendants, commandes d’études bidon à base de panels mélangés entre personnes exposées et non-exposées aux produits, revolving doors entre les agences de réglementation et l’entreprise…» Côté Bayer, en surface, on se félicite: «La démarche d’ouverture sur Monsanto est plutôt bien perçue. On le voit avec les journalistes. »

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