Cosmétiques
Adrien Geiger, directeur du développement de L’Occitane, 
mise à la fois sur le digital et un renouvellement de l’expérience 
en boutique pour recruter et fidéliser la clientèle de la marque.

L’Occitane se caractérise notamment par une homogénéité des produits proposés à travers le monde. Est-ce la même chose pour l’expérience client en magasin ?

Adrien Geiger. Ce sont en effet les mêmes produits qui sont vendus partout dans le monde, mais l’appétence pour chacun d’entre eux diffère suivant les régions. Dans l’expérience client, si la colonne vertébrale reste la même, avec les marques, les ingrédients et leurs vertus, l’exécution est décentralisée : il faut privilégier le « glocal » pour donner du sens. Par exemple, le 86 Champs, la boutique que nous avons ouverte en décembre dernier avec Pierre Hermé, alliant le bien-être et la gourmandise, joue la carte parisienne avec son comptoir au centre de la boutique. L’idée était de faire revenir les Parisiens sur les Champs-Élysées, délaissés par la clientèle locale. Nous avons opéré de la même façon sur Regent Street à Londres, avec une boutique qui fait un clin d’œil au pub, un symbole anglais. L’Occitane arrive avec des convictions, mais nous voulons respecter les cultures locales.



Les critères sont-ils les mêmes pour l’ensemble de vos 3 000 points de vente dans le monde, dans la mesure où la moitié sont des boutiques en propre et l’autre moitié en franchise ?

La franchise concerne en fait des zones éloignées. Notre première exigence se situe au niveau du concept. D’ailleurs, nous fournissons les meubles, nous indiquons des fournisseurs agréés. Cette exigence s’exerce sur le merchandising, sur les produits, mais aussi sur l’éclairage par exemple. C’est au franchisé de gérer l’adaptation, pour laquelle nous souhaitons une exécution parfaite. Côté vendeurs, le groupe a développé un outil LMS – Learning Management System –, une plateforme avec un mode d’emploi pour parler de la marque et des produits, acquérir des clients… Parallèlement, une équipe de trainers fait le tour des boutiques, forme les employés et veille au respect de nos critères. Nous nous servons également de clients mystères et de l’évaluation de la satisfaction client, un sur dix répondant à un mail après achat. Il s’agit d’un monitoring permanent. Par ailleurs, nous avons recours à l’intelligence artificielle pour détecter les problèmes, à partir d’outils d’analyse de mots clés comme « accueil », « service », etc. et d’analyse de photos des boutiques.



Sur vos points de vente, que cherchez-vous à privilégier avant tout ?

Nous voulons surprendre, c’est devenu indispensable. Les gens viennent rarement en boutique parce qu’ils en ont besoin, ils sont d’abord là pour passer un bon moment, pour vivre une expérience. On doit proposer quelque chose qui donne envie d’entrer dans un magasin, qui puisse ensuite être partagé. Il est important pour nos clients d’avoir la même sensation qu’en Provence, d’être dans un lieu de bien-être, déstressant, authentique, en opposition au monde digitalisé où règne le virtuel. Il faut que la boutique soit un lieu d’échange réel, de découverte de nos produits et des causes que nous défendons. Le client peut par exemple y voir des vidéos de femmes s’occupant de la récolte des fruits de karité et de leur transformation au Burkina Faso, dans le respect de nos valeurs de durabilité, de traçabilité, d’équité. Nous aimerions que les consommateurs en aient conscience quand ils achètent des produits. N’importe qui aujourd’hui peut proposer des produits de qualité, mais les gens font de moins en moins confiance aux grandes marques. Être présent partout était auparavant un avantage, c’est presque devenu un inconvénient. C’est à nous de montrer que nous avons une raison d’être là, que nous avons une utilité et que les clients peuvent changer les choses à travers leur consommation.



Quelle est la place des nouvelles technologies en boutique ?

Elles tiennent une place importante, bien qu’il ne s’agisse pas de faire du digital pour faire du digital. La technologie est là pour faciliter la vie du vendeur, l’achat ou le partage communautaire, et pour permettre de bénéficier d’une expérience client plus poussée. À Yorkdale, centre commercial de Toronto, au Canada, elle sert à apporter un échantillon de Provence, avec des écrans permettant une immersion pour s’évader. À New York, la boutique dispose d’un écran géant digne d’un cinéma. Mais si la technologie va contre une expérience authentique de partage avec les vendeurs, si elle est utilisée pour choisir ses produits sur écran, elle n’a pas de réelle valeur ajoutée. Elle se révèle seulement pratique en cas d’affluence. 



J’aimerais développer des expériences en réalité augmentée, pour que le client puisse s’amuser, comme avec Pokemon Go, ou réaliser un scan de sa peau afin de trouver le traitement qui lui convient. Où se situe le digital par rapport aux points de vente ?

Cela dépend du contexte et de la maturité du pays. Au lancement de notre site en 2000, il était facile de recruter, car nous étions les premiers. Et nous avions développé des outils pour amener les clients à visiter les boutiques. Mais la situation a changé, le monde digital est devenu fortement concurrentiel. Notre seul avantage sur internet pour conquérir de nouveaux clients réside dans la force de notre marque, pas plus. En revanche, nos 3 000 boutiques doivent servir à attirer les clients une fois qu’ils connaissent la marque, afin qu’ils puissent le plus simplement possible continuer leur parcours, passer du online au offline. Et pour les faire venir en boutique, nous avons par exemple recours aux campagnes géomarketées sur mobile, sans passer par les sites internet. Il existe de nouvelles technologies intéressantes pour le faire. Rien n’empêche ainsi de faire vivre une expérience en pâtisserie en direct depuis la boutique 86 Champs, qui serait diffusée sur des écrans dans le métro pour inciter le public à venir. Par ailleurs, il ne faut pas que les équipes en boutique croient qu’un consommateur parti sur internet est perdu pour elles. Si l’équipe est incentivée par les performances sur notre site, elle n’aura pas peur d’y envoyer le client pour un produit qu’elle n’a pas en magasin.



Sur le site internet de L’Occitane, quelle expérience spécifique est proposée à l’internaute ?

Il s’agit d’abord de lui rendre la vie la plus facile possible. Nous sommes tous devenus impatients, exigeants, on ne revient pas s’il y a un dysfonctionnement. Et il faut s’adapter au marché local. Aux États-Unis, Amazon fixe les standards, c’est-à-dire la livraison en deux heures, le paiement en un clic, le suivi de livraison en temps réel. En Russie, la norme consiste à rappeler immédiatement le client pour valider la commande. Comme pour le off-line, l’expérience doit être « frictionless ». Mais il faut aussi travailler sur l’expérience L’Occitane, mettre une petite touche supplémentaire dans la commande, par exemple un mot du fondateur, un brin de lavande… Le site propose également aux clients une mesure de l’impact environnemental de leur achat.



Est-ce la même chose partout dans le monde, et notamment en Asie où vous faites plus de 40 % de vos ventes ?

L’expérience client en Asie est particulière. Nous avons récemment ouvert un café L’Occitane en Chine, dans le centre commercial Deji Plaza de Nanjing. Il s’agit d’un lieu où le client peut se poser, boire une verveine… mais où il paie via WeChat sans sortir de carte. Dans tous nos points de vente en Chine, on crée surtout de l’expérience sociale. Par exemple, on explique comment faire des cadeaux en montrant l’art du pliage à la japonaise. L’expérience est filmée et partagée, car les gens ont tous besoin de se voir. Les réseaux sociaux sont globalement un outil de bouche-à-oreille fantastique. Avec la boutique 86 Champs, le groupe n’a jamais eu autant d’impact, alors qu’il n’a presque rien fait. Cela revient à ce que je disais précédemment : il faut surprendre, et le digital sert à amplifier l’expérience. L’homme est un animal social.



Comment fidélisez-vous votre clientèle ?

Nous avons créé un programme pilote en Espagne, dans lequel nous ne voulons pas fidéliser à travers un système basique où plus le client achète, plus il accumule des points. Nous donnons des points si le consommateur commente, s’il parle de nous à son entourage ou s’il participe à des événements en boutique. Il s’agit de récompenser l’engagement dans la marque, de créer du lien. Et nous lui offrirons des cadeaux, des services (spa, livraison gratuite, conciergerie pour un client VIP) qui doivent être à la hauteur de la qualité de sa fidélité. 



Qu’en est-il du recrutement ? Passe-t-il par une multiplication des points de vente ?

Bien sûr. Cependant, tout dépend des régions. Aux États-Unis par exemple, où il y a trois fois plus de mètres carrés de commerces par habitant, ce n’est pas un levier efficace. Mais nous avons encore de la marge dans de nombreux pays. Et cela dépend de la stratégie. Aujourd’hui, nous disposons de différents types de magasins : des boutiques images, des « flagships » pour installer la marque, comme 86 Champs ; des boutiques de recrutement, installées généralement dans des lieux commerciaux, dans les malls en Asie, dans les aéroports ; et de petites boutiques de quartier, avec un vendeur développant des relations de proximité avec la clientèle proche.

Cette approche va se poursuivre, mais cela n’empêchera pas de la rationaliser. Par exemple, en France, les centres-villes des communes de taille moyenne se vident de leurs commerces au profit des centres commerciaux, ce qui n’est pas sans poser problème. Notre métier est difficile et il souffre. C’est pour cela que, si on ne surprend pas, si on ne propose plus d’expérience, on ne sert plus à rien. Cela signifie qu’il faut se réinventer en permanence et savoir prendre des risques.

Suivez dans Mon Stratégies les thématiques associées.

Vous pouvez sélectionner un tag en cliquant sur le drapeau.