Technologie
Qui a peur de l'eye-tracking ? Cette technologie ancienne connaît actuellement un renouveau avec des applications diverses et innovantes. Focus sur trois initiatives émergentes.

Facebook pourrait observer le mouvement de nos yeux... Cette information, rendue publique en juin dernier, n’a pas manqué d’effrayer les médias et le grand public. Lors de son audition par le Congrès américain dans le cadre de l’enquête autour du scandale Cambridge Analytica, Mark Zuckerberg a en effet reconnu qu’il n’excluait pas de développer des outils de suivi et d’analyse des pupilles des utilisateurs. Le réseau social détient d’ailleurs au moins deux brevets relatifs à l’eye-tracking et a fait l’acquisition en 2016 d’une start-up nommée The Eye Tribe dont la technologie permet de contrôler un écran avec les yeux... Mais concrètement, l’eye-tracking, qu'est-ce que c'est ?

Cette technologie ancienne connaît ces dernières années un regain d’intérêt. Issue de l'ophtalmologie et des sciences cognitives, la pratique trouve ses origines dans les années 1800, où des chercheurs ont commencé à s’y intéresser pour mieux comprendre les modes de lecture et rendre compte des zones d'intérêt fixées par le cerveau. Plus tard, la technique s'est popularisée dans le domaine des études marketing afin de pré-tester les annonces publicitaires (presse, digital, vidéo...) et même la création de packaging. Aujourd’hui, l’« oculométrie » (son nom français), couplée à d’autres technologies, donne lieu à différentes applications dans le domaine du marketing digital.

  • EyeSee, shopping virtuel

Qui ? EyeSee est une société d’étude marketing spécialisée dans l’eye-tracking créée en 2013 en Belgique.

Quoi ? Ses méthodes permettent de couvrir l'intégralité du parcours consommateur : campagnes publicitaires off-line (affichage, presse...) et on-line, (display, vidéo, social media...), identité visuelle et packaging, mais également expérience shopping. « Nous mesurons et comparons les comportements des shoppers face à deux versions de merchandising différentes en proposant aux volontaires de faire leurs courses de façon virtuelle», révèle Jean-François Sonder, directeur du bureau parisien d'EyeSee.

Comment ? EyeSee compose deux cellules de testeurs à l’identique sur une cible prédéfinie selon les critères du client (âge, sexe, niveaux de revenus, centres d'intérêt, etc.) et confronte deux programmes promotionnels afin de déterminer la solution qui a le plus d'impact. « Nous construisons virtuellement, comme pour un jeu vidéo, un environnement de vente (boutique, supermarché, pharmacie...) au sein duquel les participants circulent à leur guise, stimulés par des communications (tête de gondole, stop rayon, bar à beauté, visuels de marques...) », détaille Jean-François Sonder. EyeSee observe alors les mouvements oculaires afin de mesurer la visibilité, l’impact et l’attention : comment les consommateurs lisent-ils la communication sur le point de vente ? En commençant par le visuel ou le logo ? Quel est le temps passé sur chaque élément ? « Nous sommes capable de capter simultanément sept attitudes émotionnelles durant l’achat (plaisir, interrogation, rejet, etc.) », ajoute le directeur.

  • Madvertise, créativité et mesure

Qui ? Madvertise est une régie spécialisée dans la publicité mobile, fondée en France en 2011.

Quoi ? Depuis un an, elle propose à ses clients éditeurs d’intégrer la technologie de l’eye-tracking, avec deux objectifs distincts : d’un côté, la mesure d’audience et l’analyse du comportement des consommateurs (s’ils regardent les publicités, combien de temps, les zones chaudes et les zones froides...), et de l'autre, une utilisation créative pour imaginer des formats publicitaires interactifs et immersifs. « Selon le mouvement des yeux de l’utilisateur, s’il regarde l’écran ou pas, une action se déclenche dans la vidéo publicitaire, explique Paul Amsellem, PDG de Madvertise. À l’instar d’une campagne opérée pour une marque d’ampoule : lorsque l’utilisateur regarde la pub, l’ampoule s’allume, quand il détourne le regard, l’ampoule s’éteint. »

Comment ? Lorsque l’utilisateur lance une application, il est invité à accorder son consentement via un message du type « Souhaitez-vous voir des publicités utilisant des technologies d’eye-tracking ? ». À noter que l'opt-in est requis à chaque campagne, et non pas une fois pour toutes. Le système est alors activé pour exposer le mobinaute à des contenus créatifs ou des contenus qui permettent d’être mesurés via l’eye-tracking, capté par la caméra frontale du smartphone.

  • Accenture Interactive, le troisième œil

Qui ? Accenture Interactive est le réseau mondial d’agences digitales du groupe Accenture créé en 2013.

Quoi ? Le département développe actuellement une technologie d’eye-tracking basée sur des algorithmes d’intelligence artificielle qui permettent de se substituer au regard humain. Cette méthode permet d’automatiser les pré-tests publicitaires sans recrutements de testeurs. « Notre intelligence artificielle est capable de reproduire la façon dont l’humain consomme un contenu visuel », indique Christian Souche, directeur au sein du centre de R&D d’Accenture Interactive à Sophia Antipolis. Et les avantages sont nombreux : mise en place moins coûteuse (aucun coût matériel ou humain), résultats instantanés (moins d’une seconde) et bonne performance. « Nous pouvons prédire non pas la façon dont un utilisateur va consommer un contenu visuel, mais comment un groupe de 50 personnes ou plus va réagir », se targue le spécialiste.

Comment ? L’eye-tracking prédictif consiste à soumettre une création marketing (visuel, packaging, page web, vidéo, etc.) à une solution experte reproduisant le comportement habituel de la pupille humaine. Pour ce faire, les chercheurs ont exhumé et analysé des bases de données déjà générées en situation réelle d’eye-tracking pour entraîner les algorithmes. « Là où l’eye-tracking traditionnel intervient pour valider une phase presque finale d’un design, notre solution est capable d’intervenir durant tout le processus de création, assure Christian Souche. C’est le troisième œil qui permet à l'humain d’avoir une information complémentaire à ce qu'il voit. »

« L’eye-tracking est tout à fait légal »

Comme lors de l'avènement des assistants vocaux, l’eye-tracking excite la peur d’être espionné en permanence, à son insu. L’œil est une partie précieuse, fragile et éminemment intime de l’homme. La méthode peut alors apparaître comme très intrusive et peut soulever des problèmes d'éthique. « Tant qu’on ne collecte pas et que l’on ne traite pas de données à caractère personnel, on est hors champ du RGPD*, estime Eric Barbry, avocat spécialisé dans les nouvelles technologies au sein du cabinet Racine. Ce n’est pas être intrusif que d’être malin. S’il n’y a pas vol de données personnelles, ni irruption dans la vie privée, l’eye-tracking est tout à fait légal. » Il s’agit avant tout d’une question de consentement explicite. « La plupart des expérimentations technologiques actuelles sont basées sur l’accord de l’utilisateur. Les applis demandent un opt-in pour accéder à la position, aux contacts ou aux photos du mobinaute ; les assistants vocaux ont besoin d’écouter et d’enregistrer... L’eye-tracking n’échappe pas à cette même logique d’information préliminaire et de consentement. »

*Règlement général sur la protection des données.

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