Internet
Le géant s'est mis à dos une partie de ses employés pour avoir travaillé sur un projet de moteur de recherche respectant la censure chinoise.

C’est la deuxième grande fronde des employés de Google contre leurs dirigeants depuis le début de l’année. Après le scandale du projet Maven, en partenariat avec le Pentagone, les employés sont de nouveau montés au créneau début août, dans une lettre signée par plus de 1400 personnes. En cause ? Le projet Dragonfly. Un moteur de recherche édulcoré, blacklistant des résultats et allant même jusqu’à ne rien afficher du tout lorsque l’utilisateur tape certains mots clés. Un projet réalisé dans le plus grand secret, révélé par le média The Intercept, et qui pourrait être spécialement conçu pour respecter la logique de censure chinoise. Un comble quand on sait que Google s’est retiré du pays en 2010, pour protester contre ces mêmes pratiques « totalitaristes » selon les dires de l’ancien patron de l’époque, Sergey Brin. Autre temps, autre moeurs ? Pas sûr. Dragonfly est une hérésie pour certains employés, contraire à l’histoire et à l’éthique de Google. Désireux de protéger les valeurs de leurs groupe, ils ont demandé des explications à son PDG, Sundar Pichai. Deux semaines plus tard, le patron a pris la parole publiquement et qualifié le projet « d’exploratoire », pour le moment, mais sans évoquer son arrêt... Car s’il veut devenir le géant qu’il prétend être, Google peut-il tourner le dos à 20 % de la population mondiale, quitte à se mettre à dos ses employés ou à ternir son image ? 

 

 

Laure de Carayon, fondatrice et PDG du cabinet China Connect

« Un nouvel arrivant obligerait les acteurs chinois à améliorer leurs produits »

L’internet chinois est de plus en plus contrôlé, et l’enjeu dépasse le cadre du business. Il est aussi politique, éthique, moral... Depuis que Google a quitté la Chine (le Mainland) pour Hong Kong en Mars 2010, le contexte a beaucoup changé : le pays est passé de 450 à 800 millions d’internautes... C’est tentant, d'autant que le système Android domine. Mais est-ce que le marché est inévitable ? Peut-être pas, mais le manque à gagner est énorme, et la Chine porte le marché incontournable de l’Asie Pacifique. Le leader du search, Baidu, possède aujourd’hui 85 % du marché sur mobile - un peu moins sur PC. L’arrivée d'un nouvel acteur obligerait Baidu (mais aussi Shenma et Sogou) à améliorer leurs produits - au bénéfice des internautes chinois. Mais quelle offre tellement différentiante Google apporterait-il ? Il est trop tard pour concurrencer significativement les acteurs locaux tellement dominants. 

 

Manuel Lagny, cofondateur et président d’Epoka

« Cette fronde et ses conséquences donnent à Google une image démocratique »

Le plus intéressant dans cette question c’est la tension. Google a une vision messianique du monde avec la mission « d’organiser l’information du monde ». C’est fou, mais c’est finalement une vision très américaine sur la scène internationale. Mais de l’autre côté, Google est une entreprise, dont le but ultime est de faire du profit. Il existe donc une tension entre la vision messianique partagée par les employés et la réalité d’une société qui a besoin de vivre. Cependant, il faut relativiser : 1400 personnes ont signé la lettre, sur 88 000 employés. C’est assez peu. Mais cela servira les intérêts de Google. Car cette fronde et ses conséquences lui donnent une image très démocratique, où les patrons écoutent les employés, même minoritaires. J’irais même jusqu’à dire que cela peut devenir un argument pour négocier avec l’Etat chinois, et calmer leurs desiderata. Sans dire que tout a été pensé en amont, je crois réellement que ce scandale peut se tourner à leur avantage.

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