Dossier Automobile
En plus des rendez-vous incontournables comme le Mondial de l'Auto, qui ouvre ses portes à Paris le 4 octobre, les constructeurs automobiles se tournent vers des points de contact plus inattendus. Objectif : réinventer la relation avec le client au-delà de la simple visite en concession.

Une ancienne usine de peinture désaffectée à Shanghai va bientôt connaître une seconde vie. Son bâtiment de 8 000 mètres carrés va être transformé en espace de co-living, avec une cinquantaine d’appartements, une majorité de la superficie réservée aux espaces partagés et un jardin sur le toit. Derrière ce projet, qui n’a rien à envier à l’habitat alternatif des grandes capitales européennes, la marque Mini du groupe BMW. Celui-ci illustre les nouveaux modes de communication d’un secteur - celui des constructeurs automobiles - qui, s’il bénéficie d’une croissance sans faille depuis une décennie, cherche à résoudre un casse-tête : comment aller à la rencontre de clients qui se documentent de plus en plus sur internet et rechignent à venir dans des concessions reléguées en périphérie par les prix de l’immobilier ?

Pour Mini, lancé dans un programme mondial baptisé « Beyond the car », le co-living version asiatique n’est qu’un des aspects d’une démarche qui vise à conquérir de nouveaux publics. Au niveau international, la marque britannique relancée en 2001 est présente à Brooklyn, où elle dispose d’un « hub collaboratif » hébergeant des start-up incubées à hauteur de 100 000 dollars chacune. « Le lieu est la propriété de Mini, mais la marque n’apparaît qu’au second plan », précise Carole Guilbert, présente dans le groupe BMW depuis dix-sept ans et à la tête du marketing de Mini en France depuis le début de l’année. Dans l’Hexagone, Mini s’est positionnée sur le design et parraine l’opération menée par le pavillon de l’Arsenal et la mairie de Paris pour repenser l’espace public, « Faire 2018 design urbain ». « Nous avons reçu un super accueil, notre présence n’a pas été perçue comme trop commerciale et nous avons réussi à positionner la marque sur des cibles nouvelles », se félicite Carole Guilbert au sujet de ce partenariat qui a vocation à être pérennisé. « Il est important pour nous d’être aux côtés des concepteurs et entrepreneurs qui façonnent la ville de demain », ajoute la directrice marketing, qui soutient aussi des jeunes designers à travers le programme de mode urbaine « Mini Fashion ».

À la rencontre des clients

Le discours est le même chez Mercedes, où Stéphane Boutier dresse un constat lucide. « Aujourd’hui, tout le monde a l’impression de courir tout le temps et on se dit que plutôt que d’attendre tranquillement dans nos concessions que nos clients trouvent cinq minutes pour venir nous voir, on va plutôt aller à leur rencontre, en essayant de déclencher des réactions et, éventuellement, un acte d’achat », note le directeur marketing de Mercedes et de Smart en France. Illustration avec l’organisation récente à Stockholm d’une convention Mercedes où différents intervenants étaient conviés pour évoquer, au-delà de l’automobile, plusieurs sujets de société. La marque à l’étoile en a profité pour présenter opportunément, en avant-première, le premier modèle de sa gamme électrique EQ. « Nous sommes convaincus que rien ne remplacera jamais la rencontre physique avec une voiture, le fait de pouvoir s’asseoir dedans, de tester les technologies, estime Stéphane Boutier. Alors bien sûr, nous travaillons les applicatifs et internet, parce que le digital aide le client dans sa décision, mais nous cherchons aussi, et avant tout, à aller à la rencontre des gens. C’est toute la partie événementielle de notre stratégie. »

Et quoi de mieux, pour rencontrer au même endroit un maximum de passionnés, que les salons automobiles ? Digital ou pas, ces événements physiques, pour la majorité des constructeurs, gardent toute leur pertinence. Jean-Claude Girot, le commissaire du Mondial de l’Auto, qui se tiendra porte de Versailles, à Paris, du 4 au 14 octobre, reconnaît que certains d’entre eux, comme Ford et Volvo, ont décidé de faire l’impasse sur Paris et son million de visiteurs. Volkswagen aussi sera absent, mais il s’agit d’une décision « ponctuelle », assure Timothée Gazeau, chef du service communication de la marque en France. La voilure du Mondial a certes été réduite, « après des groupes de travail avec les exposants », admet Jean-Claude Girot. De seize jours et trois week-ends, le salon passe à onze jours et deux week-ends. La tendance est aussi à des stands plus petits et moins coûteux.

Des salons « voués à disparaître »

À l’heure de la voiture connectée, la concurrence du CES de Las Vegas, le grand show mondial de l’électronique, est rude. Gilles Mabire, PDG de Continental Automotive France et responsable de toutes les activités Continental en France, estime même que « le CES est devenu le plus grand salon automobile du monde ». Malin, Paris a invité cette année en vedette américaine Gary Shapiro, son patron, et signé avec lui un accord pour présenter en avant-première quelques nouveautés du prochain CES au sein d’un « Mondial Tech » réservé aux professionnels. Le Mondial de l’Auto a aussi, désormais, un hall dédié à la mobilité. « L’idée est bonne, cela peut permettre à des gens comme nous d’expliquer au public, même si ce n’est plus notre cible directe, l’intérêt de nos produits », reconnaît Sébastien Brame, senior manager de Clarion Europe, un fournisseur de systèmes embarqués. Celui-ci a pourtant signé récemment une tribune dans laquelle il se demandait si, face au CES de Las Vegas ou au Mobile World Congress de Barcelone, les salons traditionnels n’étaient tout simplement pas « voués à disparaître ».

Digital, salons spécialisés, salons traditionnels… « En fait, tous ces éléments sont complémentaires, remarque Stéphane Boutier chez Mercedes. Quelques minutes avant l’ouverture du Mondial, nous allons faire un Facebook Live sur nos dernières nouveautés présentes au salon, mais ça ne va pas empêcher les gens de venir, au contraire. L’idée, c’est de combiner la force de ces univers plutôt que de les opposer. Quant au CES, nous y sommes présents, mais l’un ne remplace pas l’autre. »

Trouver un angle d'attaque

Reste l’épineuse question des concessions et autres show-rooms. « On le sait, il y a de moins en moins de gens qui y viennent », remarque Stéphane Boutier. Certains pensent avoir trouvé la parade en repensant totalement leurs flagships. C’est le cas de deux marques françaises, Alpine et Peugeot. Elles ont fait appel à l’agence W pour revoir l’architecture et, au-delà, la vocation de leurs espaces de vente. « Faire venir les gens en banlieue dans une concession qui tient plus du parking, ce n’est pas une expérience client », expliquent Sonja König, directrice de création, et Eloïse Mounier, directrice conseil, à l’agence W. Selon elles, « le vécu d’Alpine, grande marque historique, est différent de celui de Peugeot, mais finalement la problématique est la même. Chacune doit trouver un angle d’attaque pour créer des lieux qui répondent aux attentes de ses clients. Ces flagships ressemblent plus à une boutique où l’on peut entrer spontanément en passant devant. Ce sont des lieux qui cherchent à venir à la rencontre des clients, et non l’inverse, pour leur faire vivre une expérience, de la même façon que pourraient le faire des pop-up stores ou d’autres formats nomades et agiles. »

Pour Alpine, cela prend la forme d’un club-house à Boulogne-Billancourt, où les fans se retrouvent, avec des artistes qui viennent s’exprimer, dans un lieu de 400 m2 où tous les vendeurs sont aussi des passionnés. Pour le Peugeot Store de la rue Saint-Didier, dans le XVIe arrondissement de Paris, la configuration du véhicule se fait à 100% sur des écrans géants avec un vendeur qui tient plus du « genius », explique-t-on chez W. « L’expérience du vendeur d’automobiles, on a tous horreur de ça, expliquent Sonja König et Eloïse Mounier. Mais ce n’est pas qu’une question de formation, c’est aussi une question de lieu. Pour Peugeot, l’accueil est premium, et, dans les bureaux, les tables ont été dessinées spécialement pour l'occasion. Et avec l’expérience client en 3D et en temps réel, on peut même entendre le son que fait le coffre quand il se ferme ou sentir l’odeur du cuir. » Le « phygital » permet ainsi aux constructeurs de réinvestir les centres-villes. À condition de créer l’événement…

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