Tourisme
C’est une opération de communication sans précédent pour le pionnier du gîte en France. Aidé par l’agence Change, Gîtes de France déploie une campagne à laquelle il associe ses 42 000 hôtes…

Parmi les trois propositions créatives présentées par les équipes de Patrick Mercier, il y en avait une un peu folle. Si elle était choisie par le client, à vrai dire, le patron de Change ne savait pas vraiment comment il allait faire. En interne, on parle de « campagne impossible ». « Vous avez 42 000 hôtes, alors tournons 42 000 spots différents ! » On imagine l’envolée du communicant pendant le pitch, et les yeux de Jacques Masson, directeur général de Gîtes de France, se mettant à briller. Recruté en octobre 2017 pour dépoussiérer la marque, il ne pouvait faire un autre choix.

In fine, le pari est réussi. Un tel coup était important pour la fédération, à l'image vieillotte. Brian Chesky, l’inventeur d’Airbnb, n’était pas né quand Gîtes de France accueillait ses premiers touristes. Mais être pionnier ne suffit plus sans un marketing léché, une histoire à raconter et une expérience digitale au cordeau. L'heure est donc au grand « rattrapage ». Vaste plan com' mais aussi, refonte du site web. Le mot d'ordre : « Faire simple et fluide ». Le budget est « très conséquent » : 1,2 million d’euros pour le site –mis en ligne mi-novembre– et 2,4 millions pour l’ensemble de la campagne sur deux ans –comparé à 250 000 euros au total en 2017. C’est encore loin d’Airbnb et ses 18,9 millions d’euros d’achat médias en France (+68,4 % sur un an) mesurés par Kantar Media l’an passé, dont plus de la moitié en télévision [TV]. Mais Jacques Masson tient à rappeler un chiffre, au regard du succès de la plateforme américaine : 66 %, soit le taux de notoriété spontané de Gîtes de France. C'est, d'après lui, le même taux que celui de la plateforme californienne.

96 % d'avis positifs

En fait, ce bon score ne dit pas grand-chose de l'état de la marque Gîtes de France en 2018, installée dans le paysage depuis 1963. « En réalité, aucun élément ne se raccroche à ce qu’est réellement la marque » pose Jacques Masson. Une chose est sûre, la satisfaction client est au rendez-vous, avec 96% d’avis positifs et un taux de recommandation (NPS) à 69%. Ça, c'est pour ceux qui ont testé les Gîtes de France. Pour les autres, tout reste à faire. Cela passera par la création de contenu, afin de redonner de la chair à la marque. Qu’est-ce que Gîtes de France ? Qui sont les hôtes ? Quelle différence avec Airbnb ? Alors que le contenu est généralement dissocié des campagnes, et ne peut pas avoir la même puissance, Change a réussi à concilier les deux. L’agence aurait pu produire quatre films et les diffuser en TV et digital. Et, par ailleurs, inviter quelques hôtes à venir témoigner de leur offre sur les réseaux sociaux. En fait, et pour la première fois, Change a donné la possibilité à Gîtes de France de créer autant de films qu’il recense d’hôtes. Du « user generated content » (UGC, ou contenu généré par les utilisateurs) industrialisé et encadré par un process bien huilé. Tout cela grâce à une application mobile, et une bonne maison de production : Anonymous, auteur en 2014 du clip de 24 heures sur fond de Happy de Pharrell Williams.

Spots touristiques

Chaque film démarre ainsi. Un plan large de 2 secondes montre le gîte et son hôte. Un ancien corps de ferme. Un chalet à la montagne. Une yourte mongole. Puis, trois photos sur l’intérieur du lieu ou les activités possibles. Poterie. Poney. Balades en forêt. Voilà pour les six premières secondes, entièrement captées par les hôtes eux-mêmes. Mieux : ils ont posé leur voix off ! Autant dire que pour garantir un niveau de qualité égal, il a fallu ruser. Pour la captation sonore ? Les hôtes sont invités à s’enregistrer dans une voiture, soit l’endroit qui ressemblerait le plus à un studio amateur. Pour bien cadrer les plans ? L’application développée ad hoc affiche une grille afin que les réalisateurs en herbe respectent quelques principes élémentaires. Une fois les « rushes » tournés, ils sont envoyés à l’agence qui se charge de la post-production. Après cette première séquence entièrement inédite, le film enchaîne sur onze secondes sur le discours de marque. Histoire que le propos ne détonne pas trop avec ce qui précède, quatre thèmes ont été retenus : mer, montagne, ville et campagne. Astuce de montage : la voix-off du début continue pendant deux secondes sur les plans tournés par l’agence. À première vue, on n’y voit que du feu. Pour l’instant, 600 films différents ont été tournés et sont diffusés sur les réseaux sociaux de Gîtes de France à partir du 26 novembre. Mais l’agence a repoussé encore d’un cran la prouesse en obtenant une diffusion, dès janvier 2019, de 100 spots personnalisés en TV. Pour Patrick Mercier, cette opération « démontre que la TV peut être souple et créative en matière de diffusion ».

Bouche-à-oreille

Côté agence, Jacques Masson y voit « un bon cas d’école de décloisonnement entre la stratégie média digitale et TV, et de l'innovation sur la production, qui intègre de l'UGC au process de création ». Le deuxième effet devrait se déployer sur les réseaux sociaux. « Si nous atteignons ne serait-ce que 5 000 vidéos d'hôtes, qui la partagent ensuite sur leurs réseaux, nous atteindrons une puissance sociale très conséquente ». Voilà pour le mesurable. Le reste consistera en du bouche-à-oreille. Si Airbnb est une plateforme centrale, Gîtes de France est une fédération de 94 associations départementales. Sur 550 salariés, à peine 15 sont à Paris. Les indicateurs sont plutôt au vert. En 2017, avant ce grand plan de reconquête, l’activité des Gîtes avait progressé de 3,4 %, à près de 300 millions d’euros, avec une croissance de 13 % sur internet. « Nous avons reçu un reflux d’hôtes Airbnb déçus », se rassure Jacques Masson. Face au roi de la sous-location, Gîtes de France oppose la qualité d’accueil et le partage.

Chiffres clés :

2,4 millions d'euros. Budget média sur deux ans.

3,4%. Croissance du volume d'affaires en 2017.

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