Mode
Même si elle n’est plus la seule marque de jeans sur le marché, Levi’s a su, par ses publicités décadentes et par ses créations, conserver sa place d’objet trendy. Un univers que la marque souhaite faire connaître sur des marchés émergents.

Adieu le blues du jean, rebonjour le blue jean. Après 33 ans d’absence, Levi’s est revenu en Bourse le 21 mars. Sous le code « Levi », la marque la plus célèbre de jeans lève 623,3 millions de dollars en seulement 24 heures, clouant aux passage tous ses détracteurs, puisque son prix d’introduction était de 17 dollars par action - contre habituellement une fourchette de 14 à 16 dollars. Une mise au placard qui a duré trop longtemps selon Chip Bergh, ancien de Procter&Gamble et actuel directeur général de Levi’s depuis 2011. Cette réintroduction s’inscrit dans une nouvelle stratégie pour la marque : rayonner à nouveau dans l’imaginaire des consommateurs mais surtout, retrouver un chiffre d'affaires en hausse. 

Chercheur d'or

Le jean reste sans doute l’un des vêtements les plus portés au monde. Un phénomène de mode à lui seul. Qu’il soit bleu, noir, élastique, troué ou slim, le denim s’adapte à toutes les envies et surtout, à toutes les classes sociales. Pourtant, à l’origine, Levi Strauss crée le modèle du jean pour répondre à un besoin. Installé depuis peu à San Francisco, Levi Stauss observe les chercheurs d’or, nombreux sur ce territoire, et se rend compte de la faible qualité de leurs habits. Pour y remédier, Levi Strauss se met à chercher une matière indestructible. Il faudra attendre 1873 afin de voir apparaître le fameux jean Levi’s. Après avoir songé à la toile de tente, trop rêche au toucher, Levi Strauss fait la découverte du denim. Pour l'anecdote, le logo Levi’s, apposé sur l’étiquette à l’arrière du jean, représente deux chevaux tentant d’écarteler le fameux jean de la marque, afin de vanter sa solidité. Le fondateur avait par ailleurs nommé son tout premier patron « XX », pour son « extra extra puissance ».

Dans les années 30, le jean passe du vêtement utilitaire à celui de produit cool au moyen d'une stratégie de communication bien menée. Le vêtement s’impose chez les étudiants, les artistes, et même dans la garde-robe des femmes. À noter que Vogue publie en 1935 la première réclame Levi Strauss en couverture. Et la conquête ne s’arrête pas là. Le jean, symbole de l'« american way of life », séduit les Européens. En 1945, les GI habillés en jeans débarquent sur le Vieux continent et contribuent à la renommée internationale du produit. Sans oublier les stars du grand écran comme Marilyn Monroe, James Dean ou encore John Wayne, qui apporteront le côté sexy à l'habit. Dans les années 50-60, la nature du produit est détournée pour devenir un emblème de contestation, symbole de la jeunesse anti-establishment. Porté à Woodstock, par des mouvements féministes, le jean Levi’s est au sommet de sa gloire. « L’histoire du jean s’est réinventé au fil des époques. Après avoir incarné le mythe du cow-boy, il est devenu l’allié du baba cool anti-vietnam pour ensuite être porté par toutes les communautés et rangs sociaux », analyse Olivier Altmann, directeur de la création chez Altmann+Pacreau. Un vêtement qui met d’accord tout le monde.  

Triptyque 

S’ensuivent des années de saga publicitaire. En Europe dans les années 80, après une compétition de grande ampleur, l’agence BBH (Bartle, Bogle, Hegarty) remporte le budget Levi’s. Une aubaine pour la marque puisque l’agence britannique frappe là où le public ne l’attend pas. À l'occasion de leur première campagne, « Laundrette » met en scène un jeune homme aux allures de GI des années 70 qui débarque dans un lavomatique. Il se déshabille pour laver son jean et son t-shirt. Auxquels il ajoute des pierres dans le tambour et tente de créer l’effet usé du jean. Le tout sur fond de notes soul de Marvin Gaye donnant ce côté vintage à la campagne. « Les campagnes de BBH et Levi’s s’appuient toujours sur ce tryptique : une vérité sur le produit, une bande-son qui fait mouche, sans oublier la petite touche sexy », énumère Olivier Altmann. « Drugstore », « Odyssey », « Creek », « Flat Eric », la formule prend dans chacune de ces campagnes. Elle marche tellement que le public en oublie parfois le produit. En 2007, lorsque Levi’s sort sa campagne « Flat Eric », la bande son de Mr Oizo fera plus de ventes de disques que de jeans. « La musique aide à s’amorcer dans l’époque », explique Olivier Altmann.

Ce n’est donc pas un hasard si la marque se rapproche en 2016 du festival Coachella, l’un des plus connus dans le monde et surtout l’un des plus instagrammables. Un événement de choix pour scruter les futures tendances. Invitant des influenceurs internationaux, Levi’s observe leurs looks, regarde comment ils customisent leurs pièces… Un laboratoire grandeur nature. « Non pas que la marque veuille être à la mode, elle préfère observer de loin », rapporte le Hollywood Reporter. Cependant, la marque fait face à une concurrence accrue. Le mythe américain s’essouffle et laisse place aux étrangers. Diesel, Guess, Wrangler, Lois… des marques venues d’ailleurs qui proposent des pièces de luxe à défaut du low-cost Levi’s. Il faudra attendre le second millénaire pour que la marque américaine revoie sa ligne éditoriale et sorte « sa couture tournante ». Un succès qui sera de courte durée. « Si tout le monde possède un jean ; le nouvel uniforme c’est le survêtement. Le jean ne représente plus l’incarnation du cool », selon Olivier Altmann et selon la nouvelle génération, plus friande des marques streetwear comme Nike, Off-White ou encore Yeezy.  

Comeback des Nineties

En 2018, Levi’s se tourne vers l'agence FCB West qui choisit elle aussi de mettre la musique au centre de la campagne « Circles » avec l’une des artistes les plus en vogue, Jain. « Levi’s est une marque patrimoniale qui a su se relever des années 90. Il faut de nouveau des stars actuelles, des communautés qui se réapproprient le fameux blue jean », indique Olivier Altmann. Shorts taille haute à la limite des fesses, salopettes, combinaisons, crop tops, mom jeans… Les looks total denim reviennent dans les dressings. « La marque connaît un regain d’intérêt car elle est revenue sur le devant de la scène grâce à un comeback des codes 80-90's. Toutes les marques street/sportswear iconiques qui sont distribuées chez Urban Outfitters par exemple surfent là-dessus et le jean iconique authentique Levi’s fait partie de ce look global. Ils se sont de nouveau concentrés sur leur ADN historique avec des codes bien définis et identifiables au lieu de s’éparpiller et vouloir faire du prêt-à-porter quotidien », sonde Nathalie Rozborski, directrice du cabinet de tendance NellyRodi. Une stratégie que Levi's tente bien faire découvrir à des marchés émergents dont la Chine, le Brésil ou encore l’Inde. 

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