Aéronautique
Quelle communication de crise adopter sur un sujet sensible impliquant des pertes humaines ? Retour sur le cas Boeing, confronté le 10 mars à un accident mortel au retentissement mondial.

Le 10 mars 2019, un Boeing 737 MAX 8 d'Ethiopian Airlines s’écrase en Ethiopie, faisant 157 morts. Ce drame serait dû à une défaillance du système anti-décrochage de l’avion, le MCAS. Des enquêtes sont en cours pour mieux comprendre cet accident, précédé d’un autre, quelques mois plus tôt, fin octobre 2018, du même appareil, qui avait fait 189 victimes.

L’avionneur tarde à réagir. Il n’immobilise pas immédiatement les modèles d’avion incriminés, ou ne les interdit pas de vol. Mais la décision est prise rapidement du côté des États : Indonésie, Chine, Europe…, puis en décalé aux États-Unis, précisément le 13 mars, alors qu’un coup de téléphone a eu lieu la veille entre le patron de Boeing, Dennis Muilenburg, et Donald Trump, qui finit par annoncer l’immobilisation des avions au sol.

Une gestion de crise critiquée

En parallèle, l’avionneur avait publié, le 11 mars, un premier communiqué de presse, qui permettait d’adresser des condoléances aux proches des victimes, de rappeler que la sécurité est une valeur-clé ou d’affirmer que l’appareil est sûr. Un communiqué actualisé le lendemain puis le surlendemain. Le 4 avril, une vidéo du PDG fait à son tour le point.

Une gestion de crise critiquée de la part de l’avionneur, dont l’action chute en Bourse après le crash. L’une des questions est, par ailleurs, de savoir si l’avion a été correctement certifié par la FAA, l’autorité américaine du secteur. De son côté, Chesley « Sully » Sullenberger, le pilote connu pour avoir, en 2009, réalisé un amerrissage en urgence sur le fleuve Hudson, souligne dans MarketWatch que le cas entame la crédibilité des États-Unis comme leader de l’aviation. Boeing aurait-il dû réagir autrement ?

Reco n° 1 

«Boeing a mal géré l’innovation»

Francis Temman, PDG de Bridge Communication

« Sa réaction se résume en une formule : trop peu, trop tard. Il a commis quatre erreurs : une absence de perception des signaux faibles (des pilotes avaient fait état d’une défaillance du MCAS six fois depuis juin 2018), le déni et l’accès d’arrogance (dans les communiqués : “l’avion est sûr”), l’auto-victimisation (quand le PDG dit que les accidents sont dus à une “chaîne d’événements”), la précipitation (fin mars, ils annoncent que le logiciel est corrigé et que l’avion pourra revoler, avant de voir que cela prendra plus de temps). À cela s’ajoute une gestion défaillante de l’innovation, reposant sur une erreur de conception du logiciel, sur le fait que des équipements de sécurité étaient en option, et une formation des pilotes insuffisante. Boeing a ainsi laissé planer la suspicion que les profits étaient plus importants que les humains. »

Reco n° 2 

«Pas de crise de confiance»

Stéphane Albernhe, Managing Partner d’Archery Strategy Consulting

«L’immobilisation d’un appareil résulte d’un arbitrage complexe. Boeing étant un acteur mondial, une telle décision implique une mobilisation de toutes les parties prenantes. Il s’agit aussi de faire la part des choses entre les responsabilités techniques et humaines. En outre, la FAA [Federal Aviation Administration] s’engage sur la safety des avions : la question touche à la réputation de cette autorité. S’agissant des communiqués, notamment sur le timing, les processus d’enquête sont généralement longs et au fur et à mesure que les éléments se précisent, Boeing adapte sa communication. La com’ telle qu’elle a été cadencée vise à traiter aussi le sujet réputationnel. Boeing va payer très cher cet accident dramatique, mais, non, la crise de confiance n’est pas là. C’est un acteur historique, ses autres appareils sont sûrs…»

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