Data
De la même manière que tout le monde vend de l’IA avec plus ou moins d’honnêteté, voilà que la connaissance ultime de ses clients passerait par l’analyse de leur ADN.

Pour qui n’a pas le nez dedans, ça ne se voit pas vraiment que les marques s’intéressent à notre ADN. Quelques initiatives émergent çà et là. Exemple : cette campagne de la compagnie aérienne AeroMexico. Pour attirer des Américains à venir découvrir son beau pays – que Donald Trump a tendance à cacher derrière un mur –, l’agence Ogilvy Mexico a proposé à quelques voisins du Nord de faire un test ADN… Le séquençage pour découvrir ses origines était, de toute façon, LE cadeau de Noël aux États-Unis l’année dernière. Si le test révélait 5 % de gènes mexicains, cela donnait lieu à une ristourne de 5 % sur le billet d’avion direction le Mexique. Vous aviez tout intérêt à avoir un peu de Mexique en vous ! Malheureusement, l’opération DNA Discount fit quelques déçus…

Au Japon, à Tokyo, le restaurant Sushi Singularity se proposera en 2020 d’imprimer des sushis en 3D dont la recette sera conçue sur la base de l’ADN de ses clients afin de garantir le degré de compatibilité maximal – évidemment, votre plat vous sera servi par un robot… Il aura fallu auparavant réceptionner un kit spécial, puis renvoyer des tests de salive, d’urine et de selles. Le marketing de l’ADN n’est pas si fluide. Au-delà de ces expériences, peut-on imaginer demain que notre patrimoine devienne une data comme une autre, et nourrisse les algorithmes de ciblage ?

Mouchard

« À 150 euros, le séquençage ADN est désormais accessible et devient une donnée personnelle comme la taille, le sexe… Mais pour l’instant, c’est plus une curiosité qu’un effet de mode », pointe Jean Allary, associé chez Artefact. S’il n’existe pas de bénéfice concret pour l’utilisateur, il n’y aura évidemment pas d’adoption. Mais il y a une façon d’amener les choses. Certaines assurances proposent de récompenser les automobilistes qui se comportent bien sur la route en réduisant le montant de leur police. Pour y parvenir ? Elles fichent un mouchard dans leur auto. On peut imaginer que l’ADN donne accès à notre « vraie » personne et parle à notre place, ouvrant la voie à un ciblage si précis qu’il tapera toujours dans le mille.

Un avenir qu’a du mal à imaginer Jean Allary, spécialiste en data : « Théoriquement, on peut déjà personnaliser le message à l’extrême. Mais aucun marketeur ne fera un message par individu pour des raisons économiques – sauf si vous êtes Van Cleef & Arpels et que votre panier moyen est de 35 000 euros… Pour des raisons de véracité statistique dans l’achat média, on ne descend jamais sous le seuil de 10 000 individus. » Pour ce qui est de confier la tâche du ciblage individuel à une IA, Jean Allary nous renvoie au prix Nobel d’économie Robert Solow et à son célèbre paradoxe selon lequel « vous pouvez voir l’informatique partout, sauf dans les statistiques de la productivité ». Son explication tient au décalage dans le temps entre l’investissement en connaissances, et son impact, dû au temps de formation et aux effets d’obsolescence. « Google est le plus puissant du monde en matière d’IA mais le calibrage d’une campagne Adwords, illustre Jean Allary, se fait à la main car ce n’est pas automatisable. »

Pull vs push

Il y aurait aussi une distorsion provoquée par la hype autour des start-up, dont les médias aiment relayer les promesses. Des promesses souvent liées à leur vision plus qu’à des résultats opérationnels… Pour autant, sur le marketing, les Gafa donnent le la car ils captent 90 % du marché. « On se retrouve obligés de croire en l’IA, en la voix, à l’ultra granularité des ciblages sociaux, alors que c’est parfois à rebours du sens commun, mais si vous dites à un client de ne pas aller chez Google, ce n’est plus votre client dans la journée », dénonce Jean Allary. Quand on parle de personnalisation, fût-ce avec de l’ADN (Google s’y emploie avec 23andMe), c’est la personnalisation sur les Gafa. Et là s’opposent les deux mondes du marketing : le pull et le push. Alors que les marques classiques ont construit leur puissance sur l’interruption (« push »), les Gafa misent tout sur leur découvrabilité (« pull »)… À ce jeu, il faut bien connaître sa cible.

« En philosophie, recadre Assaël Adary, président d’Occurrence, il y a la question de l’ontologie : lorsque l’on fait du ciblage, quels sont les déterminants de l’individu ? Ce qu’il déclare, ou ce qu’il laisse comme traces ? » Vouloir recréer une identité à partir de son comportement peut générer d’incroyables faux positifs. Quid des errements de ces savants fous imaginant pouvoir dépister les gens malades du cancer selon leur façon de taper sur un clavier ? Comme s’en amusait Le Monde dans un article autour de la confusion trop répandue entre corrélation et causalité, « en France, 57 % des morts ont lieu à l’hôpital : la probabilité de mourir dans les établissements de santé est supérieure à celle de passer l’arme à gauche chez soi. Alors, dangereux l’hôpital ? Non, c’est parce qu’on s’y rend lorsqu’on est malade, et que c’est quand on est malade qu’on risque le plus de mourir. » À cette rétro-ingénierie d’apprentis-sorciers, est-ce que l’ADN sera une réponse plus fiable ?

Devant l’importance de ces données, Assaël Adary imagine, comme le romancier Marc Dugain dans son ouvrage Transparence (Gallimard), que l’on soit rémunéré pour partager notre ADN. L’expert en data, qui dit conseiller à ses étudiants la série Black Mirror, imagine un marché à deux vitesses, avec des profils plus ou moins valorisés selon la rareté et la qualité de leur patrimoine génétique. D’ici à ce que nous entrions – ou pas – à Gattaca, prudence reste de mise sur la myriade de sociétés qui promettent n’importe quoi aux annonceurs à coups de buzzwords.

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