Un mois après la double prise d'otages de la Porte de Vincennes et de l'imprimerie de Dammartin-en-Goële, le nouveau directeur de La Croix, Guillaume Goubert, revient sur les grands enseignements de son baromètre TNS-La Croix sur la confiance des Français dans les médias, réalisé quelques jours après la tuerie de Charlie Hebdo.

Un mois après la prise d'otages sanglante dans l'hypermarché cacher de la porte de Vincennes, le 9 janvier, que reste-t-il de la couverture médiatique des attentats de Paris? Comment les Français jugent-ils le travail des médias pendant ces quelques jours qui ont ensanglanté la capitale?

Avant que le Conseil supérieur de l'audiovisuel ne se prononce mercredi 11 février sur des «manquements» éventuels, le baromètre TNS-Sofres/La Croix sur la confiance des Français dans les médias, réalisé au lendemain des attentats de Charlie Hebdo a fait apparaître un rebond significatif en faveur des rédactions. 76% s'intéressent aux nouvelles dans les médias, soit une hausse de 7 points par rapport à l’an dernier. Sur les attentats eux-mêmes, huit sondés sur dix estiment que les différents canaux d'information ont permis de «comprendre les événements». Les Français s’informent d’abord par la télévision (à 55%), et 71% d’entre eux n’ont pas confiance dans les informations qui circulent sur les réseaux sociaux, ce qui relativise l'influence des théories du complot sur l'opinion publique.

 

Il faut toutefois noter qu'une petite moitié des interviewés considère que les médias ont contribué à «aggraver les tensions entre les différentes catégories de population» (44%), «ont mis en danger la vie des otages» (47%) ou «ont compliqué le travail de la police» (48%). Retour avec Guillaume Goubert, nouveau directeur de La Croix sur ce sondage paru le 29 janvier dans le quotidien catholique.

 

A quoi attribuez-vous ce regain de confiance dans les médias?

Guillaume Goubert. Le terrain du sondage a été réalisé du 8 au 12 janvier. Les événements de Charlie Hebdo représentent un moment où les citoyens ont pris conscience que la liberté d’expression et que l’existence de médias libres et indépendants étaient une composante essentielle de la démocratie. Ce regain touche toutes les catégories, mais il faut quand même noter que la confiance n’est pas la même chez les jeunes. Notre profession a un très gros travail à faire en direction de la jeunesse. Ce peut être à l’occasion de la semaine de la presse à l’école. Le métier de journaliste a, selon moi, quelque chose à voir avec l’instruction publique: il permet de faire comprendre le monde qui nous entoure.

Que vous inspirent les théories du complot qu'on a vu fleurir sur les réseaux sociaux?

G.G. L’idée d’une défiance généralisée à l’idée d’une vérité... Il y a une propension à tout mettre au même niveau. Il faut faire valoir l’exactitude de faits en disant: «Ça s’est passé comme ça». Notre fonction est d’être entre ceux qui savent et ceux qui ne savent pas. Il est vrai qu’en étant en permanence à la recherche de quelqu’un qui dit l’inverse, les médias ont laissé parfois s’affronter des thèses de manière assez destructrice. Il s’agit alors de détruire ou de disqualifier le point de vue de l’autre.

Avez-vous publié la couverture de Charlie Hebdo?

G.G. Nous avons eu un débat. J'étais pour en faire une illustration plein pot  à l’intérieur du journal. Dominique Quinio - l'ancienne directrice de La Croix, ndlr - a estimé que la photo de la conférence de presse avec Luz tenant le journal à la main était suffisante car, pour beaucoup de musulmans, c'était une offense. Elle avait raison. On a donc publiée la photo à l'intérieur du journal, mais on n'a pas brandie la couverture en étendard. Si cela est source de violences, il faut être prudent. Ce qui ne m'empêche pas d'être choqué par l'interprétation de l'université d'Al Azar, au Caire, qui a dit que cette Une allait susciter la haine contre les musulmans. C'est exactement l'inverse.

 

Les journaux doivent-ils avoir le droit au blasphème?

G.G. Il y a une différence entre le droit et l'injonction au blasphème. Mais la répression contre les discours jugés blasphématoires nous paraît dangereuse, comme on le voit au Pakistan. Ce que certains chrétiens subissent au nom du blasphème est une très bonne raison pour ne pas appeler à reconnaître un délit de blasphème. C'est pourquoi nous avons eu une position très claire dans le passé en considérant comme inacceptable de vouloir interdire la pièce de Castelucci, en 2011, comme le réclamaient certains catholiques intégristes.

 

I-Télé a décidé de se séparer d’Eric Zemmour, qu'elle employait dans son émission Ça se dispute. Comprenez-vous cette décision?

G.G. Ceux qui lui ont donné la parole ont eu le sentiment d’être débordés. Entre le provocateur utile et celui qui est en train de dépasser les limites, il est difficile de trouver le bon réglage.

 

Et pour Dieudonné, poursuivi pour avoir déclaré: «Je suis Charlie Coulibaly»? Glenn Greenwald, à l’origine de la révélation des écoutes de la NSA avec Edward Snowden, a parlé d’atteinte à la liberté d’expression...

G.G. Je peux comprendre que certains disent cela. Il me semble qu’en droit, il n’y a pas de doute.

 

«On se vend sur notre différence»

 

Où en êtes-vous du renouvellement du lectorat de La Croix?

G.G. Nous avons un lectorat assez haut de gamme qui se disait, au moment où il s’arrêtait de travailler, quel journal il avait envie de lire. On le gardait alors pendant plusieurs dizaines d’années, avec un taux de renouvellement supérieur à 90%. Aujourd’hui, la moyenne d’âge de nos lecteurs augmente et il faut que nous réinventions de nouveaux points de contact avec notre marque et nos clients. D’où le fil Urbi et Orbi, qui compte pour l’heure un millier d’abonnés. D’où aussi l’hebdomadaire pour tablettes Parents & enfants, proposé pour 25 euros par an en coproduction avec Bayard Presse Jeunes, ou le supplément éducation. Sur le plan de la diffusion, après une année en hausse, 2014 a été une année de consolidation [93 149 exemplaires en diffusion payée en France, soit -1,6% par rapport à 2013]

 

 

Avez-vous pensé à changer de nom de marque?

 

G.G. On s’est beaucoup posé la question. La Croix s’est rebaptisé La Croix L’Evénement [en 1972] puis a renoncé à ce nouveau nom, car nous nous sommes dit que nous serions trop catholiques pour les non-cathos et pas assez catholiques pour les cathos. Mais il est exact que c’est une marque qui induit des idées fausses. Les gens qui ne nous connaissent pas pensent que c’est un journal paroissial pour catholiques pratiquants. Quand ils l’ont en main, ils se rendent compte que c’est un quotidien qui parle de tout, de culture, des religions, d’information internationale, et notamment de l’Afrique. Dans le monde qui est en train d’évoluer, avec sa réflexion sur la laïcité, nous pouvons apporter quelque chose de très précieux sur la place des religions.

Sur quel contrat de lecture vous vendez-vous?

G.G. On se vend sur notre différence et non sur notre ressemblance. S’appeler La Croix est une manière d’affirmer une spécificité. On sait se démarquer de la hiérarchie globale de l’information et faire un pas en arrière pour proposer des choses différentes. Comme dit Dominique Quinio, qui m’a précédé à la direction de La Croix, c’est un pont où l’on circule dans les deux sens: il s’agit d’aider les catholiques à mieux comprendre le monde qui les entoure et d’aider le monde à mieux comprendre comment sont les croyants.

 

«Souvenons-nous que La Croix s'est fourvoyé»

 

A titre personnel, êtes-vous hostile à la loi Taubira sur le mariage pour tous?

G.G. Le mariage pour tous n’était pas nécessaire par rapport au Pacs. Et je ne pense pas qu’il fallait utiliser le mot mariage, ne serait-ce que pour la question de la filiation. Un contrat d’union civile aurait été préférable. Pour autant, nous n’avons pas appelé à manifester et nous ne sommes pas là pour prendre la tête d’une croisade. Tout ce qui évoque l'idée d'un emballement au nom de grands principes peut amener à de tragiques erreurs. Souvenons-nous que La Croix s’est complètement fourvoyé au moment de l’affaire Dreyfus.

Comment La Croix parle-t-il de l’islam? Favorisez-vous le dialogue islamo-chrétien?

G.G. Oui, nous favorisons ce dialogue mais il ne va pas de soi. Il y a une méconnaissance réciproque très grande. Chez les catholiques, y compris parmi nos lecteurs, on trouve de l’islamophobie. L’islam est une religion très diverse, et il importe de donner la parole aux uns et aux autres. Il faut aussi pouvoir poser aux musulmans des questions inconfortables. Pourquoi cette religion est-elle associée à des crimes barbares? Il ne suffit pas de dire que cela n’a rien à voir avec l’islam. Nous avons quelques raisons de penser qu’il s’agit d’une pure perversion de cette foi, comme nous en avons aussi connu dans l’histoire.

Quelle est selon vous l'image de La Croix auprès des autres médias?

G.G. Nous sommes vus comme un journal sérieux, utile et qui reflète bien la diversité du monde catholique. Nous sommes lus pour nos articles de fond, sur la fin de vie par exemple. Nous rencontrons donc un succès d'estime qui nous vaut beaucoup de respect. Médiatiquement, c'est toutefois difficile à exploiter: on ne nous invite pas beaucoup, car ce n'est pas nous qui allons provoquer des incidents. La Croix est un journal catholique qui entend dialoguer avec le monde.

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