Télévision
TF1, M6 et Canal+ ont écrit au CSA pour dénoncer «une opération de spéculation sur les fréquences qui font partie du domaine public», après la revente annoncée de Numéro 23 par Pascal Houzelot. Alain Weill, PDG de Next RadioTV, défend pied à pied son projet d'acquisition de cette chaîne. Il revient aussi sur la couverture éditoriale des attentats de Paris et son échec à La Tribune.

«On peut s'interroger sur les ventes rapides d'un bien qui appartient au domaine public». Contestez-vous cette phrase?

Alain Weill. Juridiquement oui. Il s'agit de la vente d'une société détenant une autorisation d'émettre. C'est quelque chose qui se pratique depuis 1981. C'est comme cela que se constituent les groupes de radio. Il en va de même dans la télévision depuis dix ans à travers des mouvements de concentration.

 

L'auteur de cette phrase, c'était vous-même il y a un an, après l'instauration d'une taxe de 5% sur les plus-values liées à des reventes de fréquences…

A.W. Je n'ai pas changé d'avis. Nous ne sommes pas concernés par des ventes rapides de sociétés titulaires d'autorisations d'émettre. Voir qu’on peut s’enrichir en étant de passage, c’est quelque chose qui me trouble aussi. Mais nous devons nous développer et, comme les grands groupes, on est amené à racheter ces sociétés.

 

Ce que fustigent certains, c'est la rapidité de la revente de Numéro 23 entre l'appel à candidatures et l'acquisition...

A.W. C'est un débat qui m'est extérieur: je n'ai rien vendu et rien à vendre. Je me développe. Je n'ai pas l'impression de m'enrichir indûment. La société de Pascal Houzelot a investi 35 millions d’euros, elle va en toucher 50 au closing. Le reste, ce sont des obligations convertibles. Ce qui veut dire qu’elle nous prête l’argent pendant sept ans. Ce n’est pas «take the money and run»: elle finance l’avenir de Numéro 23. Si l’action de Next Radio TV progresse de 60% d'ici à sept ans, cette société pourra peut-être être payée en actions et prendre un peu plus [5,4% du capital du groupe]. 

 

Êtes-vous choqué que TF1, M6 et Canal+ aient envoyé une lettre au CSA parlant de «fraude» à la loi sur l'audiovisuel, sachant que Pascal Houzelot a bénéficié d'un délai de deux ans et demi plutôt que de cinq pour la revente de Numéro 23?
A.W. Cela ne me concerne pas. Mais ce courrier n'est pas crédible: c'est le fait d'un cartel de chaînes historiques qui veut protéger son pré carré. TF1 a racheté deux fréquences, Canal+ aussi. Quant a Bolloré, il a revendu D17 pour 130 millions d’euros alors qu'il l'avait acheté la moitié du prix un an et demi avant. Ces groupes ne veulent pas voir arriver un nouvel entrant avec 4% de part d'audience. Nous avons besoin de grandir et je ne peux pas, pour des questions morales, laisser un opérateur historique racheter cette chaîne. 

 

Souhaitez-vous un changement de convention pour Numéro 23? BFM TV devait être au départ à dominante économique et vous avez changé de trajectoire...
A.W. D17 a demandé une modification de sa convention au moment de sa cession. Ce sont des choses qui se sont faites couramment ces dernières années. Quant à BFM TV, nous avons demandé à signer une convention plus large que dans le projet initial dans l'intérêt des téléspectateurs: il était préférable qu'il y ait deux chaînes d'information généralistes plutôt qu'une. Pour Numéro 23, nous avons simplement sollicité l'agrément du CSA sur le nouvel actionnariat. J’espère que la chaîne sera à l’équilibre en 2017 avec un budget qui va rattraper rapidement celui de RMC Découverte: 30 millions d’euros pour atteindre 70 millions d’euros d’ici à cinq ans.

 

Est-ce que ce sera une mini-généraliste? Pourrait-elle s'appeler RMC?

A.W. Nous verrons dans le temps s'il y a des changements à faire. Nous n'avons pas demandé de changement de nom. Une mini-généraliste? Ce serait se tirer une balle dans le pied. On voit plutôt les choses en maxi dans le cadre d’une convention assez large avec un format qui soit facilement identifiable, innovant et des programmes inédits.

 

Pourrait-elle reprendre des émissions de RMC?
A.W. Ce n’est pas la base de notre réflexion. On s’adaptera aux tendances de l’audiovisuel entre le digital, la télé et la radio. Entre l’image et le son, il y a de plus en plus d’interférences.

 

Vous avez déposé plainte pour abus de position dominante contre TF1 auprès de l'autorité de la concurrence. Numéro 23 modifie-t-il votre poids sur le marché ?
A.W. Soyons sérieux. Numéro 23 représente 0,5% sur le marché publicitaire et ne changera aucun équilibre. Cela ne rentre même pas dans le radar de l'Autorité de la concurrence. 

 

Est-ce que l'acquisition d'une nouvelle chaîne nationale pour NextradioTV n'obère pas le développement national de BFM Business Télévision?
A.W. Cela n'a rien à voir. Nous aimerions bien que BFM Business Télévision puisse devenir un jour une chaîne nationale.

 

BFM TV est-elle selon vous arrivée à son étiage en audience ?
A.W. Nous avons plutôt atteint un plafond en part d'audience autour de 2%. Nous employons 400 personnes, dont 250 journalistes. La croissance du chiffre d'affaires va se faire maintenant par l'accroissement de la valeur de la chaîne. Le potentiel est là très important, comme on le voit aux États-Unis où les chaînes d'infos se vendent plus chers que les chaînes historiques sur le marché publicitaire. Aujourd’hui, le point d’audience vaut 1,8 chez TF1 quand il vaut 1,3 chez nous. Nous n’atteindrons peut-être pas un ratio de deux points mais nous devons dépasser 1,5. 

 

On vous reproche parfois de chercher à combler le vide sur BFM TV…

A.W. Quand on dit que l’on est capable de faire des heures entières pour ne rien dire, c’est ceux qui regardent la chaîne non stop qui disent cela. Le téléspectateur lambda, quand il en a marre, il change de chaîne. Quand il y a un crash d’avion, il ne supporterait pas qu’on lui parle du réchauffement de la planète. Les gens veulent que la chaîne devienne alors celle de la crise. Même si l’on n’a pas beaucoup d’infos, on doit se mettre en édition spéciale en commençant à échanger avec des journalistes et des experts en totale transparence.

 

Avez-vous compris les mises en demeure et les mises en garde du CSA qui ont touché les médias audiovisuels d’information, notamment BFM TV et RMC?

A.W. L’ensemble du secteur a été assez solidaire. Comme dit Catherine Nayl, de TF1, les médias audiovisuels ont été aussi un rempart contre le flot d’informations non contrôlées et parfois fausses qui se déversaient sur internet, y compris sur les grandes marques d’information des grands journaux. On s’interroge pour savoir si reprocher de couvrir l’assaut de Dammartin entre vraiment dans la mission du CSA et si l’on ne touche pas au droit à l’information.

Le CSA doit aussi montrer que les sociétés audiovisuelles font des efforts, ont une qualité de travail que d’autres médias digitaux n’ont pas. Si les chaînes perdent en crédibilité auprès des jeunes parce qu’ils ne trouveraient pas à la télévision des informations qu’ils trouvent sur le web, c’est assez grave. Mais on peut aussi se demander quelle a été la contribution des chaînes d’infos à la vie politique et démocratique de ce pays, comment étaient les 20 heures, comment ils sont aujourd’hui. Un récent sondage du Figaro montre que les chaînes TNT qui ont le plus apporté aux Français depuis dix ans sont BFM TV en première position et RMC Découverte en quatrième.

 

Concernant l’Hyper Cacher, considérez-vous qu’il y a eu un défaut de maîtrise de l’antenne quand votre consultant Dominique Rizet a annoncé qu’une personne se cachait dans la chambre froide? Il y a une plainte des victimes…

A.W. Cette plainte aurait pu s’adresser à France 24 qui a donné la même information. Le process chez nous a bien fonctionné: immédiatement, le rédacteur en chef a dit que cette information n’était pas opportune, il n’y a pas eu de citations dans les bandeaux. Dans 70 heures de direct, un journaliste reconnu a dit une phrase qu’il n’aurait pas dû citer, c’est dommage, peut-être regrettable mais on a entendu sur d’autres antennes des erreurs tout aussi graves. On pense que Dominique Rizet s’est fait manipuler, ce qui n’est pas mieux. Le Raid voulait que Coulibaly bouge car s’il bougeait, il le descendait. On met aujourd’hui en place un process pour que tout journaliste qui a une info la transmette à son rédacteur en chef pour qu’on en vérifie les conséquences. Il ne s’agit plus seulement d’en vérifier sa véracité, car les terroristes regardent les chaînes d’info.

 

Quel est le potentiel de RMC Découverte ?

A.W. Nous allons sans doute battre un nouveau record en avril. D’ici deux ou trois ans, j’espère que nous serons au-dessus de deux points.

 

Vous avez une baisse de chiffre d’affaires de 11% de de votre division digitale au premier trimestre sous l’effet de Google qui aurait affecté 01 Net. Pouvez-vous nous en dire un peu plus?

A.W. Google, qui a un pouvoir important, n’est pas satisfait de certaines opérations commerciales que nous pouvons organiser avec leurs concurrents et a fait en sorte que certaines pratiques s’interrompent. Je n’en dirai pas plus. Cela ne remet pas en cause notre stratégie digitale. On veut faire de BFMTV.com l’un des premiers acteurs de l’information en France. Nous sommes le leader sur la vidéo d’actualité, avec 30% de part d’audience. Nous en sommes à 3,5 millions de visiteurs uniques et j’espère que nous dépasserons les 6 millions à la fin de l’année. Avec le rachat de Moneyweb,  nous nous renforçons avec un site boursier et un site immobilier. Nous accélérons beaucoup sur nos audiences. En 2015, nous ferons une vingtaine de millions d’euros sur le digital. Du côté de 01 Net, qui voit baisser les téléchargements, on le réoriente sur l’information sur les nouvelles technologies et les innovations produits.

 
Vos relations avec le pouvoir sont-elles moins crispées depuis l’affaire Leonarda?
A.W. Je n’ai jamais remarqué de crispation particulière. Nous avons beaucoup modifié la couverture de l’actualité politique. Cela a un peu déstabilisé les hommes politiques conservateurs, à droite comme à gauche. Il a fallu que de nouvelles équipes à l’Élysée et à Matignon arrivent et s’adaptent à un monde qui avait changé. Valls le comprend mieux qu’Ayrault. Michel Sapin, lui, aurait voulu qu’il n’y ait ni Facebook ni Twitter. Les chaînes d’infos sont très observées. Mais nos relations avec les hommes politiques sont tout à fait normales.

 

 

Vous n’avez pas réussi à redresser La Tribune que vous avez racheté fin 2007. Le titre n’est plus un quotidien papier mais il est aujourd’hui à l’équilibre. Un regret?

A.W. Personne ne dit que Next Radio TV est un groupe très rentable parti de 100 personnes et qui compte 1000 salariés. Je revendique le droit à l’erreur. À La Tribune, les conditions d’acquisition étaient exceptionnelles. Je n’avais rien à perdre. La crise financière arrive en 2008. Il n’y a plus une introduction en Bourse pendant cinq ans. Steve Jobs n’avait pas lancé de tablettes et l’enjeu était plutôt autour du portage à domicile, un modèle qui apparait aujourd’hui condamné compte-tenu du coût délirant que cela représente.

Il fallait inventer un nouveau modèle économique pour la presse. Je me suis dit que ce n’était pas mon job et qu’il y en avait pour dix ans. Moi, ce n’est pas mon enjeu d’être à l’équilibre dix ans après. Ca n’a rien coûté au groupe, rien coûté à moi. Il y avait 47 millions d’euros de Bernard Arnault et quand j’ai recédé, il y en avait 15. La seule possibilité en France de redresser rapidement une entreprise, c’est de reprendre le fonds de commerce dans le cadre d’un plan de cession. C’est ce qu’on a fait avec BFM Business. Avec RMC, on aurait aussi échoué si la reprise s’était faite en 2007.

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