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Un projet de directive européenne doit être voté sur le secret des affaires en commission des affaires juridiques du Parlement européen. De nombreux journalistes et plus de 270 000 personnes s'y opposent.

Luc Hermann et Elise Lucet, producteur et présentateur de Cash Investigation sur France 2, Fabrice Arfi de Médiapart, Pascal Henry de Pièces à conviction sur France 3... Quelques journalistes étaient réunis lundi 15 juin devant la représentation française du Parlement européen, à la sortie du métro Solférino, à Paris, pour protester contre le projet de directive sur le secret des affaires qui doit être voté, ce mardi 16 juin, en commission Juri (affaires juridiques) du Parlement de Strasbourg.

Arborant une pancarte témoignant de 270 000 soutiens sur Change.org à ce projet de directive qui ne devrait être adopté qu'à la rentrée, les divers représentants du journalisme d'investigation ont fait valoir leur point de vue face à une directive qui peut se traduire par des «dommages-intérêts colossaux» pour les journalistes et leurs employeurs.

Il reviendrait en effet à ces derniers de prouver qu'il est légitime de violer le secret des affaires d'un plaignant au risque de «dommages-intérêts correspondant au préjudice que celui-ci a réellement subi».

Renversement de la charge de la preuve

«Cette directive inverse la charge de la preuve, avant c'était à l'entreprise de prouver qu'une information lui portait préjudice et non au journaliste de démontrer le bien-fondé de son enquête», observe Elise Lucet. «C'est une arme de dissuasion, renchérit Virginie Marquet, avocate du collectif Informer n’est pas un délit. Le secret des affaires devient la norme et la liberté de l'information, l'exception

Selon Luc Hermann, «cette directive permet d'étouffer tout lanceur d'alerte ainsi que le journaliste et sa source.» Un journaliste de Cash Investigation, Edouard Perrin, a d'ailleurs été récemment mis en examen après la révélation du scandale Lux Leaks. Il a été inculpé en avril au Luxembourg, pour «vol domestique» et «blanchiment», et non pour recel, pour avoir dévoilé des documents de PWC avec l'aide d'anciens collaborateurs de la société d'audit. Le signe d'une tension croissante après les dernières révélations sur les grands scandales financiers.

«Ce qui m'inquiète, c'est l'autocensure»

«On risque de compter sur les doigts d'une main les lanceurs d'alerte, poursuit Elise Lucet. Nombre d'affaires comme celle du Médiator auraient-elles eu lieu? Est-ce que Philipp Morris peut considérer qu'il y a atteinte au secret des affaires quand nous révélons un document de 650 pages sur le secret du tabac? Je pense que oui. Et tout ce qui sera fourni pour évaluer le montant des dommages-intérêts le sera par l'entreprise elle-même [...]. Ce qui m'inquiète, c'est l'autocensure. Quand on risque plusieurs centaines de milliers voire de millions d'euros sur une seule enquête, c'est très dissuasif. Je peux comprendre que cela effraie un patron de chaîne ou de rédaction. C'est pourtant dans l'intérêt du public.»

La présentatrice s'insurge contre l'argument de la protection du secret industriel: «C'est un postulat faux, car nous n'avons jamais rien révélé qui permette à un concurrent chinois ou autre de s'emparer d'un secret industriel.» Elle voit dans ce projet de directive la marque des lobbies qui s'activent à Bruxelles pour «nous empêcher d'enquêter sur des dérives économiques», citant notamment Air Liquide et Dassault.

Si le retrait d'un amendement à la loi Macron sur ce sujet, en début d'année, sous la pression des ONG et des syndicats de journalistes, rend peu probable une transposition du texte en droit français par le gouvernement, cela ne rassure pas pour autant Elise Lucet: «Qui vous dit que nous ne serons pas poursuivi dans d'autres Etats?» L'Allemagne commence, selon elle, à se mobiliser également sur cette directive.

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