Audiovisuel
La ministre de la Culture et de la Communication avoue sa «déprime»: elle ne parvient pas à trouver le moyen de taxer les plateformes du net afin de les soumettre à la contribution à la création audiovisuelle. La survie de l'exception culturelle en dépend.

Invitée de l’Association des journalistes médias, mercredi 8 juillet, Fleur Pellerin a qualifié de «cauchemar» son projet de faire contribuer les plateformes OTT à la création audiovisuelle. La ministre de la culture et de la communication, qui avait eu l’idée d’une taxe sur la bande passante, se heurte à la logique conventionnelle et européenne à propos des Gafa. «Ce sont des entreprises qui jouent sur l’exploitation massives de données et qui ont des vrais sujets d’implantation juridiques, a-t-elle déclaré. Pour essayer de les fiscaliser, il faut à la fois très bien connaître l’économie des réseaux, de la data, bien connaître la fiscalité et avoir l’esprit créatif – ce qui parfois ne va pas avec –, et bien connaître le droit européen, les conventions fiscales bilatérales qui empêchent la double imposition des entreprises multinationales. Tout cela fait que c’est très compliqué d’avancer…»

«L’argent de notre système d’exception culturelle est de moins en moins important et il est dérivé par ces plateformes OTT qui ne payent pas d’impôts», a-t-elle fait observer. Le système actuel de taxation est en effet assis sur les revenus publicitaires prélevés sur les médias audiovisuels. Les fournisseurs d’accès à internet ont ensuite été mis à contribution via la TSTD ou «taxe distributeur». «La dernière marche qu’il nous reste à monter et qu’on n’arrive pas du tout à monter, parce qu’elle est haute, c’est de faire contribuer les plateformes “over the top”», a-t-elle lâché.

«Tout le monde a bien conscience qu’il y a un problème mais on n’arrive pas à le résoudre parce qu’il y a trop de complexité», a-t-elle ajouté. «Ça me déprime beaucoup.» Réviser toutes les conventions fiscales bilatérales prendrait, selon elle, cinquante ans, créer une convention fiscale chapeau implique d’avoir l’accord de tous les pays, y compris des Etats-Unis. «Et du côté européen, on n’est pas tous d’accord, alors que les décisions fiscales se prennent à l’unanimité, les pays scandinaves, par exemple, ne considérant pas urgent de taxer les plateformes du Net…»

Le commissaire européen à l’économie Pierre Moscovici a de son côté lancé l’idée d’un impôt collecté en commun au niveau européen. Mais la ministre estime difficile de se mettre d’accord sur les clés de répartition, même si ce pourrait être au pro rata du chiffre d’affaires réalisé par pays. A la demande d'Emmanuel Macron, ministre de l'Economie, et d'elle-même, des expertises sont réalisées avec l’Arcep pour voir si un volume métrique peut être taxable, ce qui permettrait d’appréhender les gros consommateurs de vidéos qui profitent de fortes rentrées publicitaires. Le droit européen et les conventions bilatérales interdisent en effet de taxer le chiffre d’affaires et les bénéfices.

«Delphine Ernotte, je l'aime bien»

Interrogée sur la nouvelle présidente de France Télévisions, Delphine Ernotte, la ministre a déclaré qu'elle avait eu l'occasion d'apprécier ses qualités à Orange lorsqu'elle était secrétaire d'Etat au numérique. «C'est quelqu'un qui a de très bonnes qualités de management et une habitude du dialogue social [...] je l'aime bien

Par ailleurs, elle a estimé que si son prédécesseur Rémy Pflimlin avait eu le mérite d'installer l'entreprise unique, France Télévisions avait une marge de progression dans les séries, produit d’appel des nouvelles générations. «J’aimerais bien qu’il y ait un peu plus d’audace et de prise de risque dans la fiction», a-t-elle déclaré. 

Elle a ajouté que le temps était sans doute venu de s’interroger sur ce que doit être le service public en matière d’information. Elle a laissé ouvert un projet de chaîne d’information continue que pourrait lui présenter Delphine Ernotte et n’a pas exclu qu’il puisse trouver sa place sur la TNT gratuite. Sur la parité, la diversité, la représentation de la banlieue, «il y a encore de progrès à faire», a-t-elle aussi déclaré.

Elle a en outre confirmé s'être engagée à réduire la part étatique du budget du groupe public tout en garantissant «l’indépendance du financement» par l’adossement du budget à la contribution à l’audiovisuel public et des ressources propres.

Choquée par la revente de Numéro 23

Concernant la chaîne Numéro 23, que Pascal Houzelot souhaite revendre à Next Radio TV, elle a trouvé «choquant qu’on puisse s’attribuer une partie du domaine public et ensuite spéculer sur quelque chose qui ne vous appartient pas; c’est un peu comme je vous donnais un bout de château de Versailles et que vous puissiez le revendre sans avoir investi.» Une taxe sur les reventes de fréquences a été créée dans ce sens, at-elle rappelé, et le CSA doit donner son agrément à la vente. «Cela envoie un signal très clair à l’avenir», a-t-elle estimé. Fleur Pellerin s’est bien gardée de personnaliser le débat autour Pascal Houzelot, mais elle a souligné que l'instance de régulation avait mis en demeure sa chaîne sur des éléments de l’actionnariat et sur les quotas de diffusion à l’antenne: «S’il n’a pas respecté les quotas, il y a un vrai sujet

Enfin, à propos du scandale des notes de frais de taxis d'Agnès Saal, l'ex-PDG de l'Institut national de l'audiovisuel qu'elle avait contraint à démissionner, la ministre a annoncé qu'une procédure disciplinaire avait été engagée à son encontre. Quid de sa réintégration au ministère de la culture? «Elle est aujourd'hui chargée de mission, c'est-à-dire sans affectation», a-t-elle précisé.

Suivez dans Mon Stratégies les thématiques associées.

Vous pouvez sélectionner un tag en cliquant sur le drapeau.