Radio
Particulièrement prisé en ces temps de crise, l’humour occupe une place de choix dans les grilles des radios. Derrière ces carrefours d’audience se cache un enjeu d’image.

C’est l’histoire d’un mec, l’humoriste le plus écouté de France à la radio. Chaque matin, Laurent Gerra rassemble sur RTL 1,796 million d’auditeurs, soit 13,7% des Français qui écoutent la radio entre 8h45 et 9 heures. Face à lui, sur Europe 1, Nicolas Canteloup et ses 1,475 million de fidèles. En un an, le premier imitateur a conquis 148 000 nouveaux auditeurs, le second, 38 000, selon les derniers chiffres d’audience publiés par Médiamétrie pour la période avril-juin. L’époque est à la rigolade.

«Aujourd’hui, nous rions de tout, plus rien n’est sérieux. Ce n’est pas un rire de défoulement, ni un rire constructif ou revendicatif. C’est un rire d’acceptation spécifique à notre époque», estime Jawad Mejjad, sociologue au sein du laboratoire de recherche CEAQ-La Sorbonne et auteur du livre Le Rire en entreprise (éd. L’Harmattan).

Rares sont les radios à ne pas intégrer dans leur grille des cases consacrées à l’humour, y compris au sein de la tranche la plus sérieuse et la plus prisée des auditeurs, la matinale. Sur France inter, quatre humoristes – Sophia Aram, François Rollin, Nicole Ferroni et François Morel – se partagent le billet de 8h55, dont l’audience talonne celle d’Europe 1 sur le quart d'heure, avec 1,465 million d’auditeurs pour la station publique (+13 000 en un an).

«Ce type de chroniques assure la transition entre la tranche d’information du matin et les émissions de divertissement qui suivent, au moment où les audiences sont au plus haut», souligne Jean-Pierre Cassaing, directeur du département radio chez Havas Media.

En rentrant du boulot

L'autre tranche privilégiée pour l’humour est la fin de journée, lorsque les Français rentrent du travail. Aux commandes des Grosses Têtes sur RTL depuis la rentrée dernière, Laurent Ruquier a plus que réussi son pari. En un an, il a permis à la station de la rue Bayard de gagner 222 000 auditeurs au quart d'heure moyen sur la tranche 16 heures-18 heures, à 1,279 million. «Il a surtout gagné des auditeurs auprès de 13-59 ans et des femmes», précise Gwendolyne Aubert, chargée d’études plurimedia chez Dentsu Aegis Network France.

Dans son ancienne maison Europe 1, son successeur, Cyril Hanouna, cherche lui encore la martingale. En un an, l’animateur des Pieds dans le plat a fait perdre au 16 heures-18h30 quelque 312 000 auditeurs au quart d'heure moyen, à 438 000 fidèles. «Il ne suffit pas de dire qu’on va faire une émission d’humour pour être drôle», tacle Jacques Expert, directeur des programmes et de l’antenne de RTL. Cyril Hanouna est même battu par Charline Vanhoenacker, l’une des grandes gagnantes de cette saison radio, avec 509 000 auditeurs au quart d'heure entre 17 heures et 18 heures sur France inter, une tranche en progression de 166 000 personnes sur un an.

«Je ne suis pas convaincu que l’humour soit indispensable pour faire de l’audience mais c’est un élément important pour renforcer la proximité, la connivence avec l’auditeur», analyse Jean-Pierre Cassaing, de Havas Media. Car si le rire fédère, c’est aussi et peut-être surtout un enjeu d’image pour les stations. «Dans la veine d’un Francis Blanche, d’un Maurice Biraud ou d’un Coluche, l’humour s’inscrit dans l’esprit frondeur, l’irrévérence typique d’Europe 1. C’est une promesse née ici», insiste Bruno Gaston, directeur délégué de la station.

«C’est un des piliers de l’identité de France Inter. C’est même dans notre cahier des charges de porter un regard amusé, distancié sur le monde réel, de Pierre Desproges à Charline Vanhoenacker aujourd’hui, en passant par François Morel», revendique de son côté Emmanuel Perreau, directeur des programmes et de l'antenne de la station publique.

Portes ouvertes

Mais pour le sociologue Jawad Mejjad, les humoristes d’aujourd’hui sont bien loin d’un Pierre Desproges ou d’un Francis Blanche. «On a l’impression que des gens comme Stéphane Guillon [qui revient à la rentrée sur Canal+ dans Salut les Terriens] ou Sophia Aram disent des choses dérangeantes alors qu’ils ne remettent rien en cause; ils enfoncent des portes ouvertes quand des gens comme Guy Bedos ou Pierre Desproges voulaient changer la société. Le rire est devenu une fin en soi et c’est un humour obligatoire, qui s’installe tout au long de la journée dans les émissions», estime le sociologue.

Sur le plan publicitaire, les annonceurs sont en tout cas friands de ces chroniques et autres pastilles humoristiques. «Ils sont attirés par ces carrefours d’audience qui bénéficient d’une forte notoriété, portés par des animateurs très populaires», estime Gwendolyne Aubert, de Dentsu Aegis Network France. Quant aux podcasts humoristiques, qui sont les plus téléchargés, ils sont les plus prisés des annonceurs, assure Jean-Pierre Cassaing. Pour Europe 1, La Revue de presque de Nicolas Canteloup est le podcast le plus téléchargé de la station, avec près de 2,8 millions de téléchargements par mois en moyenne sur la saison. De quoi donner une seconde jeunesse aux programmes d’humour.

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