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La tendance de la personnalisation des pages d’accueil des sites de presse émerge, non sans poser des questions d’ordre éthique, culturel ou économique.

L’algorithme peut-il remplacer le rédacteur en chef? Les médias ont longtemps rechigné à personnaliser la page d’accueil de leur site. Pourtant, les réseaux sociaux et les acteurs du e-commerce ont établi leur succès en adaptant leurs contenus à partir de l’analyse du comportement de l’internaute: fil d’actualité individuel chez Facebook, profil personnalisé chez Netflix, compte unique pour chaque visiteur chez Amazon, etc.

Comment expliquer qu'il n'en aille pas de même avec les médias? «Ce retard a plusieurs raisons: l’algorithmique peut paraître incompatible avec le concept de ligne éditoriale inhérente à l’activité de journalisme. Le frein économique a aussi joué, les entreprise de presse manquent souvent de fonds pour développer ce type de technologie en interne. Enfin, c’est une pratique qui suppose de la collecte de données, qui reste encore floue au niveau juridique», décrypte Julien Kostrèche, cofondateur du cluster Ouest Médialab, à l’origine d’une étude sur la recommandation d’information personnalisée (1).

Certes, la page d'accueil n’est plus la source principale de trafic aujourd’hui. Mais elle demeure toujours une vitrine importante pour les éditeurs, même si elle est vampirisée par les moteurs de recherche et les réseaux sociaux. Du reste, elle continue de mobiliser les médias les plus connectés. Cet été, Melty annonçait ainsi la refonte totale de ses homepages, hiérarchisées par l’algorithme «maison» Edita, issu de Shape, la plateforme propriétaire de Melty. «On analyse le comportement de nos lecteurs-membres en fonction de près de trente paramètres: le temps passé sur un article, s’il revient plusieurs fois, s’il le lit jusqu’au bout, les interactions (partages, commentaires…), etc. Puis nous classons les articles. Chacune de nos homepages est unique selon le visiteur», commente Alexandre Malsch, PDG fondateur.

Infobésité

Le groupe de médias en ligne assume pleinement d’adapter ses contenus à l’intérêt de l’internaute. Mais pour Isabelle André, directrice des activités numériques du groupe Le Monde, l’enjeu est très différent selon le support éditorial. «Nous publions 300 sujets par jour et effectivement l’algorithme peut nous permettre de faire un tri pour éviter de noyer nos lecteurs». Le Monde externalise actuellement différents services pour tester la personnalisation de certaines zones de sa page d’accueil. La «plateforme de découverte de contenus» Outbrain fournit aux équipes éditoriales des outils d'analyse en temps réel qui évaluent la performance des articles afin d'optimiser la home. «Notre back office parallèle indique aux éditeurs les articles à fort potentiel de popularité, qui mériteraient d’être placés plus haut, et ceux qui au contraire sous-performent à leur place actuelle», explique Franck Monsauret, directeur du bureau français d'Outbrain.

Liens profonds

Autre exemple, la start-up Ownpage, qui a développé une technologie de recommandation d’articles en se fondant sur l’analyse des lectures de l’internaute à l'intérieur du site. Le Monde a réservé ce service aux abonnés, il se traduit par un bloc de sélection de titre sur la homepage. «Notre algorithme est capable de repérer des liens profonds, c’est-à-dire qu’il ne se contente pas de faire remonter les contenus les plus populaires, voire racoleurs. En outre, il prend en compte la typologie des contenus de presse, qui ont un rythme d’obsolescence variable (sujets d'actualité chaude ou sujet de type magazine)», indique Stéphane Cambon, directeur de la start-up. «10% des articles génèrent 90% du trafic. L’intérêt de notre système, c’est de faire remonter l’audience de ces contenus-là.»

Pour les éditeurs, la personnalisation peut nourrir deux modèles économiques distincts: soit en proposant ce service supplémentaire à une audience payante, soit en profitant de l'augmentation du nombre d’impressions et de la meilleure précision de ciblage pour monétiser les articles avec de la publicité. «Les taux de clics sont beaucoup plus élevés sur le bloc personnalisé que sur d’autres blocs comme “Les plus partagés” ou “L'actu en direct”», confirme Isabelle André. 

Sérendipité

La tendance est enclenchée, mais la personnalisation est-elle sans risque? «Le système de recommandation idéal sur un site de presse est mixte, prévient Stéphane Cambon, il ne faut pas enfermer le lecteur dans une bulle. C’est pourquoi nous déconseillons de donner 100% de la home à l’algorithme. Le lecteur vient aussi chercher des choix éditoriaux… et le plaisir de la sérendipité.» Ou plus simplement une information généraliste.

«Nous avons besoin de l’expertise des rédacteurs “humains” qui ont la possibilité d’épingler certains articles sur la page d’accueil, estime pour sa part Alexandre Malsch. D’ailleurs, les sujets proposés dans le slider [carrousel de tête] sont toujours décidés par la rédaction, il n’y aucun algorithme derrière.»

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