Dossier Digital
Pour lutter contre l'ad-blocking, les groupes médias privilégient une publicité de plus en plus adaptée à l’internaute. Et cherchent à valoriser leurs inventaires en se montrant sélectifs.

«Avoir des sites ressemblant à un sapin de Noël ne présente aucun intérêt!», martèle Estelle Decré-Ravez. Arrivée fin mars dans la régie nationale de la PQR (presse quotidienne régionale), la nouvelle directrice de la stratégie digitale de 366 prend fait et cause pour la logique qualitative défendue par l’IAB (Interactive Advertising Bureau) et de nombreux groupes médias. Ceux-ci semblent en effet décidés à éviter ces sites qui ouvrent simultanément plusieurs fenêtres publicitaires, clignotent de partout ou diffusent du son de manière intempestive.
Cette multiplication des formats sur le web a favorisé l’explosion des ad-blockers: 38% des personnes interrogées en février dernier par Harris Interactive pour l’Udecam reconnaissaient ainsi avoir installé un bloqueur de publicité, un taux qui grimpe à 67% chez les 15-24 ans et à 44% pour les 25-34 ans.

Période d'ajustement

Les groupes médias se voient d'abord comme des victimes collatérales d'une situation de rejet vis-à-vis des publicités intempestives qui fleurissent ailleurs (pop-up…). «L’installation des ad-blockers est lié surtout aux sites de streaming», pointe Philipp Schmidt, directeur exécutif de Prisma Media Solutions. Son homologue de Mondadori Publicité, Valérie Camy, avance quant à elle la responsabilité des sites de jeux, sauf que «les ad-blocks se posent sur les ordinateurs, pas sur les sites», relève-t-elle.

Jean-François Ruhlmann, le directeur gélégué digital de TF1 Publicité, estime toutefois que «beaucoup de sites paient également pour leurs stratégies avec les ad-network, avec les fournisseurs de vidéos…, qui ont multiplié les emplacements publicitaires pour vendre beaucoup mais à peu cher». Un constat confirmé par Aurore Domont, présidente de Media Figaro, qui explique qu’«investir dans les contenus et les technologies a obligé à une commercialisation avec des sous-régies dans la vidéo, le mobile, etc.» Au Groupe Figaro, une de ses premières mesures a été de rapatrier au maximum en interne la commercialisation, pour maîtriser au mieux son territoire. «Il y a eu une overdose de formats, un emballement sur le taux de clics, constate Béatrice Lhopitallier, directrice data du Groupe Les Echos. Mais on arrive à un moment d’ajustement.»

D’ailleurs, les sites des médias estiment leur taux d’ad-blocking à «seulement» 15 ou 20%. Et ils réagissent. La semaine du 21 mars , sous l’égide de leur groupement, le Geste (Les éditeurs de contenus et services en ligne), ils ont lancé une campagne de pédagogie auprès des internautes, les incitant soit à payer soit à accepter la publicité pour naviguer sur leurs sites. Une action collective qui succédait à des opérations individuelles, comme les tests menés par Les Echos en février. Ou ceux de Prisma, en particulier sur le site de Voici: «Un ad-filter propose de remplacer le logiciel de blocage pour avoir une seule publicité par page en exclusivité, détaille Philipp Schmidt. En une semaine, 50% des internautes ont accepté de nous suivre.»

Des normes?

Selon Harris Interactive, près d’un sondé sur deux considère la publicité comme le moyen le plus adapté pour accéder à des contenus. A la condition que le message soit court, clair, agréable à regarder… et surtout pas envahissant. Un sentiment souvent liée à la quantité et à la répétition. «Il faut caper la publicité, limiter le nombre de diffusion, avance Valérie Camy, de Mondadori Publicité. Il ne s’agit pas de sursaturer l’audience.» Pour ce faire, Media Figaro a pris la solution App Nexus Full Start, qui permet de contrôler le nombre d’expositions au message publicitaire. Et notamment dans les dispositifs multiécrans (ordinateur, tablette et smartphone), de plus en plus commercialisés. Se pose également, en vidéo, la question de la durée de la publicité. «C’est un problème compliqué à régler, car toute la chaîne est concernée et il faut adopter des normes, analyse Corinne Denis, directrice du numérique et du développement des revenus de Lagardère Active. Tout l’écosystème: SRI, IAB, Udecam, etc., y travaille.»

Parfois, la longueur peut être un atout. TF1 Publicité a inauguré cette année une offre «storytelling» pour l’IP TV: une bande annonce de 2 minutes pour le divertissement et le luxe, et diffusée en «mid-roll». «Cela marche bien pour la publicité cinéma, comme avec The Revenant, relate Philippe Boscher, le responsable marketing digital. Il va falloir être de plus en plus créatif, éditeurs comme agences.» Car la difficulté est moins de toucher l’internaute que de l’intéresser. Et «avec une publicité acceptée, intégrée, et pas forcément via une création disruptive avec un effet “waouh” qui gênerait l’internaute, prédit Corinne Denis. La publicité ne doit pas nuire au contrat de lecture.»

Favoriser l'intégration publicitaire

L’expérience de l’utilisateur est placée au cœur des préoccupations. Chez Lagardère Publicité, elle s’est traduite par la mise en place, depuis la rentrée, d’une charte limitant le nombre de formats événementiels exposés chaque jour. De son côté, TF1 Publicité a «réduit les espaces display. Les seuls qui sont présents sont en lien avec le spot publicitaire diffusé et il n’y a pas de bannières sur le player vidéo», explique Jean-François Ruhlmann, le directeur commercial digital. Pour son collègue Philippe Boscher, «l’annonceur a ainsi la satisfaction de ne pas voir son message cohabiter avec d’autres».
«Sur internet, le produit principal est la catch-up, et le spot en pré-roll est le mieux accepté, avec 95% de visibilité, explique Guillaume Charles, directeur général adjoint marketing et digital de M6 Publicité. Les autres formats ont été revus et uniformisés pour être moins intrusifs. Si l’éditeur investit énormément dans le player, ce n’est pas pour le polluer avec des pop-up.»

Au Groupe Les Echos, être moins intrusif signifie aussi privilégier le brand content. Celui-ci a racheté, en janvier dernier, 60% de la société Pelham, spécialisée dans les contenus digitaux de marques pour les entreprises, où 120 personnes travaillent sur le publishing et peuvent proposer des dispositifs pour les annonceurs. De son côté, le Groupe Le Monde a lancé le même mois Mad Lab, un studio créatif pour produire des contenus innovants. Avec l’objectif de «favoriser l’intégration publicitaire pour que ces contenus aient du sens», annonce Corinne Mrejen, la présidente de M Publicité et Régie Obs. En février, ces dernières ont organisé un hackaton, qui réunissait des équipes pluridisciplinaires autour du thème «Demain la pub». L’idée consistait à inventer, via des ateliers, de nouveaux formats publicitaires en faisant collaborer des personnes de tous horizons (commerciaux, journalistes, développeurs, UX designers, etc.). Quatre des cinq projets de plate-forme élaborés ont servi aux commerciaux qui sont allés les vendre à des marques. De son côté, Media Figaro prépare pour juin une «creative battle» intégrant tous les supports à destination des agences.

L'engagement plus que la diffusion

Comment favoriser une meilleure acceptation de la publicité? A Next Régie, où l'on prévoit la mise en place d'une DMP (Data Management Platform, soit plateforme de gestion des données), on continue de miser sur la proximité avec des centres d'intérêt. Bfmtv.com lancera ainsi en juin une verticale sur la santé. «La data est l’enjeu clé pour piloter l’interaction entre l’internaute et l’annonceur, assure de son côté Alain Lévy, le PDG de Weborama, qui a travaillé sur la data des Echos. Mais l’entreprise doit avoir une approche transversale. La data sera encore plus performante si les services de la publicité, des abonnements et éditoriaux travaillent ensemble.» Car «la finalité ce n’est pas la diffusion, c’est l’engagement», clame Cécile Colomb, directrice générale de la régie Les Echos Médias. Faut-il aller jusqu'à la personnalisation des messages? «Il ne faut pas proposer que des contenus et de la publicité personnalisés, en faire l’unique stratégie, nuance Béatrice Lhopitallier, la directrice data du Groupe Les Echos. N’oublions pas que le web est né avec les liens hypertextes, qui font que l’on vient chercher quelque chose et que l’on tombe sur d’autres choses. La publicité suit le même principe.»

Publicité à forte personnalité dans la PQR

La régie de la presse quotidienne régionale 366 a poussé sa réflexion jusqu’à s’intéresser à la personnalité des internautes et à créer, avec la collaboration des sociétés Nugg.ad et Makafriend, des segments psychométriques. «Cette innovation s’inspire des sciences sociales aux Etats-Unis et d’une méthode développée par le FBI pour cerner la psychologie de l’individu», explique Estelle Decré-Ravez, directrice de la stratégie digitale. L’approche a permis de créer de nouvelles catégories, fondées notamment sur l’acceptation ou non de la nouveauté. La régie 366 peut ainsi créer, avec et pour l’annonceur, des segments de personnalité sur mesure. «Le degré ultime sera d’adapter le message publicitaire à la cible», précise-t-elle. Pour ce faire, 366 commence à travailler avec Adventory, dont la spécificité consiste à personnaliser le contenu des messages en fonction des données.

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