Le lab
Monique Dagnaud, directrice de recherche au CNRS, vient de publier « Le Modèle californien », où elle explique comment l’esprit collaboratif change le monde. Elle s’intéresse aux nouvelles formes de travail.

« Je suis toujours à l’affut de ce qui émerge comme pratiques sociales: Génération Y, les jeunes et les réseaux sociaux a été publié en 2011, mon premier article sur Facebook en 2009, et je travaille aujourd’hui sur Airbnb. Je me définis comme une sociologue du changement dont le rôle est de rendre compte de la complexité, loin de toute posture morale. Dans Le Modèle californien (Odile Jacob, mai 2016), je me suis intéressée à l’économie collaborative, qui apparaît comme une riposte à la crise de 2008. Elle est portée par une génération fascinante qui, dans une approche écologique, apporte une réponse aux difficultés de l’emploi par l’utilisation du capital existant. On y retrouve l’ubérisation qui est à la fois une déresponsabilisation contestable de l’employeur mais aussi un vecteur d’insertion sociale.
Certes, cette nouvelle économie collaborative détruit des emplois sous l’influence de la robotisation et de l’intelligence artificielle. Mais comme le montre Airbnb, elle fournit aussi du travail, ou tout au moins des compléments de revenus, qui compensent ce phénomène. Cela permet de colmater si on est au chômage, ou en temps partiel. Je m’intéresse aux nouvelles formes d’emplois dans cette économie-là.

Le temps des slashers

Au sein de l’association Oui Share, j’ai observé la présence de consultants capables de faire des conférences gratuites comme hyper bien payées. Il y a les travailleurs Uber qui sont les nouveaux prolétaires mais aussi les slashers, ces gens qui réunissent différentes sources de revenus, y compris en louant une chambre: on est étudiant/conférencier/hébergeur. Le monde d’aujourd’hui est celui de la juxtaposition. C’est à la fois l’enfer capitalistique et des tas d’expériences conviviales et humaines. Cela implique une transformation du travail, à la fois des statuts (l’indépendance), des modes de travail –avec une porosité entre les univers privé et professionnel– et enfin des modes de vie. 

Au cœur de cette mouvance, on constate une grande hybridation, avec à chaque extrémité des croisés humanistes et de purs businessmen. On la retrouve dans Oui Share où coexistent une critique de la société de profit ou de la frénésie consommatoire... et du consulting pour des grandes entreprises. Il y a une grande ambivalence qui s’articule sur une réalité hybride et complexe.

Ce nouveau modèle économique est fondé sur l’usage et moins sur la promotion des marques, lesquelles adaptent d’ailleurs leur communication en investissant dans le collaboratif. On va entrer dans un modèle de consommation où le narcissisme de la petite différence liée à la marque deviendra moins fort. Mais le capitalisme s’est toujours réadapté…»

La prof

Directrice de recherche au CNRS et à l’institut Marcel-Mauss, Monique Dagnaud enseigne à l’École des hautes études en sciences sociales. Spécialiste de la communication et des médias, elle s’est ensuite intéressée aux adolescents et jeunes adultes, dont elle a observé les pratiques festives, avant de s’attacher à explorer la mutation anthropologique de la société en réseaux. Ex-conseillère du CSA, elle a été également membre du conseil de surveillance du Monde de 2005 à 2010.

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