Affichant un succès sans faille, l’entreprise française est au centre des rivalités du marché, et des reproches faits au retargeting. Pour ses détracteurs, elle incarne notamment le manque de transparence du programmatique.

Criteo est incontestablement une star française du programmatique. C'est aussi l'une des rares licornes françaises à avoir connu un vrai succès à l'international. Si le succès de Jean-Baptiste Rudelle à la tête de l’entreprise est incontestable, Criteo cristallise néanmoins les critiques visant le retargeting. Synonyme de publicité intrusive et répétitive, symbole même de la big data traquant l'internaute dans le moindre de ses gestes, cette technologie est souvent très mal vue des internautes. Dans une étude menée par l'université et l'école de management de Strasbourg, 36% des répondants se disent mécontents vis-à-vis du marketing one-to-one, une proportion qui passe à 48% pour le retargeting. Alors que le retargeting s'est généralisé, les ad blockers sont montés en puissance, preuve du ras-le-bol des internautes face à ce tracking publicitaire trop visible.

Si les sites de e-commerce discount sont prêts à endosser ce mécontentement en contrepartie du chiffre d'affaires généré, d'autres marques plus soucieuses de leur image, à l'instar d'Air France, limitent l'usage du programmatique à leurs opérations de branding. «Nous menons en majorité des campagnes de prospection en ciblant des internautes qui ne sont pas encore venus sur notre site, identifier des prospects», explique Julien Lechat, directeur e-acquisitions chez Air France. «Des acteurs comme Criteo se concentrent exclusivement sur le retargeting. Ces gens sont naturellement plus chaud et avec le modèle de rétribution actuel au "last clic", c'est souvent Criteo ou Google Adwords qui se voient attribuer le mérite de la vente.»

Criteo trop visible, trop français?

Si Criteo focalise les critiques des internautes, c'est aussi l'un des rares acteurs du programmatique à être connu de tous. Ces dernières années, Jean-Baptiste Rudelle a beaucoup communiqué afin de réussir l'introduction de Criteo au Nasdaq. Sa réussite suscite pas mal de jalousies, en France comme aux États-Unis. Outre-Atlantique, Criteo est confronté à son concurrent Steel House, qu'il accuse d'avoir mis en place un outil de vol de clics à son encontre. D'après l'entreprise française, un code logiciel permettrait d'attribuer à son rival américain des ventes ayant été amenées par Criteo. SteelHouse a contre-attaqué en déposant une plainte, Mark Douglas, son PDG estimant que 52% des clics revendiqués par Criteo auprès des annonceurs seraient frauduleux! Quelle que soit l'issue du bras de fer judiciaire engagé par Criteo aux États-Unis, de telles affaires sèment clairement la suspicion sur le retargeting. Les allégations de manipulation de clics sont-elles fondées? La justice tranchera.

Criteo, une boîte noire ?

Ces allégations pointent néanmoins un élément qui revient dans la bouche d’annonceurs ayant affaire au Français: son opacité. «Criteo s'est construite en tant qu'entreprise sur le modèle de la «boîte noire». Elle ne donne aucune visibilité aux annonceurs sur la façon dont leurs budgets sont dépensés», assène Mark Douglas.

Un manque de transparence confirmé par de nombreux acteurs. «Dans ce monde de la data, on vous dit que c'est une "black box", qu'il s'agit d'algorithmes que personne ne comprend, souligne Pierre Berendes, le directeur général de Gamned Suisse. C'est dommage, car nous faisons du marketing, et ces algorithmes, aussi puissants qu'ils soient, ne sont pas forcément plus pertinents que si l'on réfléchit un peu à ses cibles. Les meilleures optimisations, on les obtient en se creusant la tête avec le client. Le premier algorithme, c'est le marketeur!»

Face à ces critiques, Criteo défend son approche. «Je vois deux aspects au reproche de boîte noire fait à l'encontre des acteurs du RTB, rétorque Nicolas Le Roux, chercheur chez Criteo. D’une part, le manque d'information, et d'autre part, le manque de contrôle.» Et l'expert de détailler: «Pour le manque d'information délivrée à l'annonceur, des refontes sont régulièrement menées sur notre outil de reporting. Pour le manque de contrôle, Criteo est dans une approche où plus nous avons le contrôle, plus nous pouvons maximiser la performance. Nous n'avons pas les ressources pour réaliser des systèmes customisés pour chacun de nos clients.» Historiquement Criteo pousse et a toujours poussé vers un système unique pour tous nos clients afin de maximiser la performance, rappelle Nicolas Le Roux. Je pense que c'est véritablement la bonne direction mais c'est vrai que cela implique de notre part une transparence sur pourquoi nous faisons cela et montrer à nos clients que c'est dans leur intérêt que nous le faisons."

Le modèle économique de la programmatique pose problème

Des grincements de dents se font entendre chez les gros annonceurs et certains acteurs de la programmatique ont préféré assouplir cette position 100% algorithmique en adaptant leurs offres aux clients. «Criteo a des algorithmes très puissants, mais l'annonceur ne dispose que de peu d'informations sur la façon dont ils optimisent le retour sur investissement», détaille Emmanuel Niclot, cofondateur d'Azameo, une plateforme programmatique française. «Ils n'expliquent pas au client comment ils parviennent à ce que les bannières soient plus cliquées par les internautes. C'est ce qui nous a poussé à choisir un positionnement plus tourné vers l'annonceur, avec des campagnes optimisées pour les segments d'audience qu'il vise plus particulièrement.»

Si les critiques pleuvent, la mécanique Criteo tourne à plein régime. L’entreprise affiche un taux de fidélité de ses clients supérieur à 90% et sa croissance reste extrêmement élevée avec un chiffre d'affaires, en hausse de 36%, à 401 millions de dollars (soit 349,1 millions d'euros) au premier trimestre 2016. Des résultats financiers peut-être trop brillants, alors que les éditeurs internet peinent à valoriser leurs contenus et à dégager des marges. Au-delà de la santé financière éclatante de Criteo, annonceurs et éditeurs de sites grondent plus globalement contre la chaîne des intermédiaires, qui absorbent entre 60 et 70% du montant des campagnes.

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