Dossier Affichage
Les afficheurs ont su gérer leur transition vers le digital. Ils préparent désormais une nouvelle révolution: celle de la data. Ou comment renseigner au mieux l'annonceur pour lui proposer un réseau d'audience utile, adapté et performant.

L'affichage est l’un des rares médias à observer, au 1er semestre 2016, une franche croissance de ses recettes nettes, de 4,2%, pour 571 millions d’euros, selon l’Irep, beaucoup mieux que le marché (+0,3%). L’affichage digital, lui, connaît une progression à deux chiffres (+11,3%) mais reste encore limité, à 47 millions d’euros, soit 8,5% des revenus de la communication extérieure en France. Pour Philippe Baudillon, PDG de Clear Channel France, et Caroline Mériaux, directrice marketing, ces bons chiffres sont liés à l’augmentation des déplacements hors du domicile, à une image de marque qui évolue avec le digital, à l’utilisation de 37 millions de téléphones mobiles qui convergent vers l’endroit où le média opère, et surtout à une mutation qui préserve les équilibres sans destruction de valeur. Rien à voir avec la cannibalisation à l’œuvre au Royaume-Uni, où le digital s’est emparé de la rue au point d’être à l’origine de la majorité des investissements en OOH (Out of home) et de ringardiser le papier.

Qualification de l'audience

«Pour nous, la bonne nouvelle, c’est que le grand format ne décline plus», observe le patron. Mais cette santé est aussi le fruit de gros efforts pour renseigner les agences médias et les annonceurs sur l’impact du média et sur ses capacités à faire du sur-mesure. Depuis cinq ans, Clear Channel a ainsi développé Cast (Consumer Audience Smart Tracking), qui permet de travailler sur les données socio-démographiques d’Affimétrie complétées par Experian et Kantar World Panel (20 000 personnes). Au total, 2 000 critères sociaux-comportementaux en mobilité et 200 millions de données. «Il s’agit d’une approche de qualification de l’audience pour s'occuper non plus des volumes, mais du profilage des gens suivant les desiderata de la marque», reprend Philippe Baudillon. On arrête de dire qu’on est dans le XVIe arrondissement parisien et qu'il y a des CSP++. On dit que tant de gens viennent de Colombes pour aller à Vincennes.» Des données, pour l’heure froides, qui permettent en amont – dans une phase dite de «casting» – d’identifier les consommateurs d'un produit sur une carte Affimétrie, puis, en aval, d’assurer le tracking, avec Kantar, de l’efficacité sur les achats suivant que l’on est ou non exposé à la campagne d’affichage. «L’incrémental est de 12 à 15% sur les ventes», assure Caroline Mériaux. La prochaine étape? Des données chaudes et en temps réel.

Cast est une réponse à la problématique de l’audience utile, à laquelle chaque marque est sensible. Pour Microsoft Surface, dans des centres commerciaux, sont sélectionnés les écrans près des magasins Darty ou Fnac ayant ce produit en référence. Un annonceur d’eau minéral peut aussi se constituer un réseau qui vienne défier la marque d’un concurrent d’eau pétillante. «On sélectionne panneau par panneau et on vend un réseau qui correspond à la problématique de l'annonceur. On arrête de vendre des réseaux tout faits», résume Philippe Baudillon. Avec le digital, l’afficheur peut sophistiquer son offre en déclenchant une campagne sur des lieux précis avec des critères supplémentaires liés à la météo, aux remises ou au déstockage des produits de l’annonceur. Depuis juin, son offre Performance assure même des campagnes au rendement: il perçoit une rémunération supplémentaire s’il dépasse, comme pour le Parc Asterix, l’objectif de ventes qu’il s’est fixé avec son client.

Contenus dynamiques en temps réel

Chez JC Decaux, on dispose aussi d’une offre «taillée en fonction des besoins du client et s’exonérant des réseaux pré-packagés», indique Isabelle Schlumberger, directrice générale commerce et développement France. Inaugurée avec Planning Lab fin 2015, un dispositif de campagnes clés en mains qui se différencie de Power Store par le fait qu’il ne propose pas de réseaux ciblés et pré-marketés, mais un véritable travail de découpage dans les territoires. C’est par exemple un joaillier qui souhaite communiquer dans des villes de la Côte d’Azur, à Paris et Deauville. Ou un annonceur d’un véhicule utilitaire qui veut être vu autour de Rungis. En 2015, le leader mondial de la communication extérieure a lancé un vaste programme, Smarter, avec une douzaine d’instituts d’études. Selon Albert Asseraf, directeur général stratégie, études et marketing, Smarter permet grâce à la data de répondre à des questions sur l’efficacité des ventes, l’incitation à l’achat, la notoriété de la marque et, depuis peu, l’influence du média. A l’arrivée, «des données par milliards» qui permettent d’affiner la connaissance des réseaux et de réunir des informations utiles. «On peut qualifier les individus, les territoires, les actifs et croiser ces données à l’infini avec la consommation et la mobilité. On peut faire des miracles en termes de configuration de campagne», assure-t-il. Une deuxième étude Global Shoppers menée dans douze pays avec Mindset, spécialiste du travel retail, renseignera les marques sur les habitudes de consommation suivant les nationalités et par typologie de produits.

JC Decaux dispose aussi d’un outil propriétaire, Smartbrics, qui permet de construire des plans à la façon des briques de Lego (brief, période, durée…). L’utilisateur entre ce qu’il recherche, par exemple «les fashionistas à Londres dans les lieux de sortie le soir» et le confronte à des habitudes socio-comportementales. Pour l’heure uniquement dans les aéroports en France, le dispositif devrait être généralisé l’été prochain. Comme le montre les opérations pour Hello Bank et Boucheron, le digital permet de communiquer à des moments et dans des lieux précis, dans des langues adéquates. «On sent que c’est parti avec la personnalisation et l’automatisation, dans un séquencement différent suivant le jour de la semaine. On entre dans une nouvelle ère avec les contenus dynamiques en temps réel», estime Isabelle Schlumberger. De là à parier sur une évolution vers un affichage qui s’adapte à chaque personne comme dans le film Minority Report, il y a encore un grand pas: «Nous restons un média de masse, un “one-to-many” qui devient “one-to-few” mais pas “one-to-one”, on laisse cela au web», synthétise Albert Asseraf.

Associer data et programmatique

Cette révolution du sur-mesure ne chamboule pas toutes les habitudes. Si Planning Lab est en croissance rapide et appelé à prendre une place de plus en plus importante, il reste pour l’heure très minoritaire. De plus, les afficheurs grand format n’ont pas attendu la data automatique pour pratiquer le sur-mesure: «90% de ce qu’on vend n’est pas exactement ce qu’il y a sur l’étagère, on peut enlever une ville si une boutique n’a pas encore été ouverte…», rappelle Isabelle Schlumberger. En attendant, l'afficheur commence à décrocher des contrats de mobiliers urbains digitaux, comme à Neuilly-sur-Seine et Levallois-Perret, qui se prête particulièrement bien à une communication spécifique en fonction des flux, des CSP et des habitudes comportementales.

«Le sur-mesure et la data, cela fait trois ans qu’on en parle, relève Benoît Régent, directeur général du département prospectives de Denstu Aegis Network France. On annonçait même la fin des gros réseaux pour les annonceurs nationaux, mais ce n’est pas le cas.» Pour une raison évidente: faire du sur-mesure consiste à travailler panneau par panneau. Or, «l’annonceur ne va prendre que ceux qui ont la meilleure audience et tous voudront les mêmes, estime-t-il. Et l’audience ne suffit pas, il faut savoir quels sont les panneaux fonctionnant le mieux sur une problématique pour un annonceur donné.» Et ce n’est pas encore toujours le cas.  

D’où l’importance d’associer à la data l’automatisation à travers une solution programmatique. Exterion Media prévoit d’adapter en France sa plateforme britannique OOHptimizer, qui lui a permis de remporter le métro de Londres en s’appuyant sur un partenariat avec l’opérateur Telefonica. Un test sera réalisé début janvier avec une marque du groupe Mulliez. «Nous proposerons une souplesse d’achat avec la possibilité pour un annonceur de construire sa propre solution, de personnaliser une solution globale», dévoile Jean-François Curtil, président d’Exterion Media France, qui estime avoir une «capacité d’adaptation très importante pour orienter les actifs là où il y a de la demande».  Motif: à la différence de ses concurrents, il détient 90% de contrats courts et à l’unité. «Nous faisons de la dentelle. Si le Havre est en perte de vitesse, nous démontons cent panneaux pour investir ailleurs», illustre Jean-François Curtil. Frédéric Herbreteau, directeur général France de l’afficheur, attend une meilleure valorisation des actifs en entrant dans la plateforme les données territoriales, l’audience globale d’Affimétrie et un enrichissement avec de la data interne. «Nous travaillons sur des solutions qui permettrait une donnée plus précise et plus saisonnière», complète-t-il. Il est aussi envisagé de proposer un comparateur d’offres globales, avec un trading desk comme Adwanted, via la plateforme OOHptimizer.

Pour Exterion Media, il s’agit de créer avec le programmatique les conditions d’une transition par la data. D’après Benoît Régent, d'Aegis Network France, la demande en couverture nationale diminue. Les annonceurs ayant toujours fait de l’affichage «sont confrontés à une pression sur leur budget et se posent des questions d’optimisation. A l’instar des secteurs boissons alcoolisées et cinéma, qui utilisaient le mobilier urbain et le grand format, et prennent dorénavant l’un ou l’autre, en demandant d’aller chercher de la data pour choisir des univers en complément, comme les gares.» Quant aux annonceurs qui font de l’affichage en complément d’un autre média, notamment la télévision, «ils essaient de ne retenir que les univers les plus pertinents». Il ne suffit plus de prendre des réseaux dans les zones de chalandise, qui sont souvent mis en avant par les afficheurs.

La donnée via la connexion mobile

Avec son équipe de 70 personnes pour le digital, gérée par un ancien de Yahoo, Clear Channel se prépare à une adaptation permanente pour l’ensemble de son offre. «Ce n'est pas parce qu'on a des rigidités plus fortes dans le papier qu'on ne peut pas avoir le même raisonnement en termes de fabrication des réseaux, qui seront paramétrés en fonction de critères que donnera l'annonceur, estime Philippe Baudillon. Au delà du package de 3 000 ou 5 000 faces, qui restera, notre évolution sera la même que le digital, où l'on fait beaucoup plus de sur-mesure. Il y aura une demande croissante de réseau adaptés, fabriqués en fonction de la donnée dont nous disposons.» Reste à savoir si cela ne s’accompagnera pas d’une perte de valeur et d’un nettoyage des panneaux les moins demandés. Le patron ne le croit pas: «Plus d'efficacité, plus d'insights signifie plus de valeur. Pour des annonceurs nationaux, on ne va pas aller au plus granulaire. On est dans quelque chose qui correspond à la réalité de l'activité. Cela ne veut pas dire que nous allons passer de 5 000 à 3 panneaux, mais de 5 000 à 4 200 pertinents. Les 800, à nous de savoir les vendre.»

La prochaine étape? La donnée véhiculée par la connexion mobile. Clear Channel dispose de 115 000 balises urbaines en France et d'un partenariat avec la start-up Gov pour la qualification de l'audience de la rue. JC Decaux recueille des données anonymisées à partir du wifi installé sur les Champs-Elysées. «Nous développons des partenariats avec des start-up, précise de son côté Valérie Decamp, Mediatransports/Metrobus. C’est le cas avec Retency, une entreprise qui nous permet de faire du tracking. Les capteurs d'écrans aux caisses des magasins reconnaissent un individu à partir de l’identifiant de son mobile et Retency parvient à repérer son trajet avant le magasin. Des données utiles pour savoir comment l’usager est arrivé dans le métro. A partir de 300 000 déplacements dans les gares et le métro, nous avons modélisé l’audience. C’est déjà la base de la data.» Attention, prévient toutefois Jean-François Curtil, d’Exterion Media, à ne pas croiser trop de données: «On peut sortir du champ de la réglementation.»

Le changement par le comportemental

Les afficheurs vont devoir également dépasser l’approche socio-démographique pour aller davantage dans le comportemental. Jusqu’à maintenant, les réponses diffèrent de l’une à l’autre. Et que les offres se nomment Cast chez Clear Channel ou Smarter chez JCDecaux, Benoît Régent estime qu’elles ont encore leurs limites, «avec des réseaux organisés d’abord pour de l’audience ou des critères que seule une entreprise est capable de délivrer, comme le GRP affinitaire de JC Decaux». Le changement passera également par Affimétrie, le fournisseur reconnu de l’audience de la communication extérieure qui ne peut faire que du socio-démographique, pas du comportemental. «Le média va dans le sur-mesure, les données existent, et les afficheurs s’y mettent. Mais ils sont encore dans une logique d’optimisation de leur offre, il leur faut les outils», conclut Benoît Régent. Des outils communs à tous. 

Le contrat de Paris taillé sur mesure pour JC Decaux?

«Cela m’étonnerait beaucoup qu’il n’y ait qu’une seule offre pour une ville comme Paris.» Isabelle Schlumberger, directrice générale commerce et développement de JC Decaux France, s’inscrit en faux après les propos de Jean-François Curtil, président d’Exterion Media France, qui table sur une proposition unique, celle de JC Decaux, après l’appel d’offres de mobilier urbain de la municipalité pour une exploitation à partir de janvier 2018. Motif: les multiples contraintes imposées par la mairie. «Soit cet appel est fait sur mesure pour celui qui répond, soit il est mal calibré car il n'oppose pas les concurrents entre eux», avance-t-il. Selon lui, le contrat prévoirait 20 millions d’euros de redevance et une durée de cinq ans, tout en impliquant 25 millions de charges et de loyers. «C’est économiquement un non-sens au regard du montant de l’investissement, alors qu’il peut y avoir une cession à terme au bout de cinq ans.» Rien à voir avec la «redevance de l’ordre de 10 millions d’euros avec le Vélib», en vigueur jusqu’à présent. Selon Jean-François Curtil, une telle somme ne peut être amortie que par un groupe comme JC Decaux, qui valorise ses actifs par l’attractivité de la capitale. «Il y a de fortes chances que nous ne puissions pas y aller, indique de son côté le PDG de Clear Channel France, Philippe Baudillon. La ville s’est mise dans un cul-de-sac.» Il estime qu'avec l’extension du Vélib à la banlieue, aucun acteur autre que JC Decaux ne peut concourir, sauf à démonter les stations de vélos. «Et seul JC Decaux est prêt à payer pour conserver une position ultra-hégémonique», ajoute-t-il.

 

Les promesses du mobile

Le géomarketing de l’affichage doit se réinventer, en utilisant des sources de données de toute nature, notamment du mobile, estime Benoît Régent, directeur du département prospectives de Dentsu Aegis Network France. «Le groupe a un partenariat avec Ad Square, qui permet de suivre des gens qui sont allés dans des magasins, explique-t-il. Une information essentielle que l’on utilise pas seulement pour l’affichage. Et une approche qui intéresse aussi Affimétrie, à qui cela coûterait des millions d’euros d’intégrer un panel important.» Autre source data, les données CRM des annonceurs. Avec ce type de base, les profils clients sont géocodés et croisés avec des jumeaux, pour affiner la connaissance de l‘audience.

Pour Benoît Régent, le search mobile constitue une troisième source non négligeable, comme son groupe a pu s’en rendre compte au Royaume-Uni en travaillant avec la société EE. «Les requêtes sur les mobiles sont souvent “thématisées” en fonction du quartier où l’utilisateur se trouve, relate-il. Un critère utile pour travailler la répétition et qui améliore l’impact des campagnes, comme l’ont indiqué les premières recherches menées en ce sens.» Sauf que «la France a pris du retard dans le search, du fait de la réglementation», déplore-t-il.

Il voit dans les réseaux sociaux une autre source non négligeable, car elle permet de géolocaliser le mobinaute: «Pour une marque, je peux ainsi me demander où trouver un maximum de jeunes de moins de 25 ans heureux dans Paris le samedi après-midi. Une approche que Dentsu Aegis travaille pour voir comment l’intégrer dans du médiaplanning.»

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