L'année vue par
Xavier Couture, directeur général délégué en charge de la stratégie et des programmes de France Télévisions, revient sur les faits marquants de l'année 2016 dans les médias.

L’accord de Vincent Bolloré avec Mediaset qui se transforme en raid.

Xavier Couture. Que ce soit avec Canal ou du côté italien, Vincent Bolloré est un entrepreneur extraordinairement avisé qui est dans une stratégie de conquête. Il a compris que son groupe devait s’internationaliser à travers l’intégration verticale. Il remonte dans la chaîne de valeur et étend son activité dans sa branche de contenus. Maintenant, il fait le constat qu’il y a des acteurs qui ne sont pas aussi simples à manœuvrer.



La grève des journalistes à I-Télé pendant 31 jours.

X.C. Le raider a fait preuve de raideur. Bolloré est un industriel auquel on ne raconte pas de blagues. Comme tous ceux qui débarquent, il pense savoir. Mais tous les métiers qui vont au-devant du public ne s’improvisent pas. Ce n’est pas parce qu’on sait lire l’heure qu’on est horloger ou qu’on est compositeur parce qu’on est mélomane. Dans l’affaire I-Télé, même s’il s’est débarrassé des emmerdeurs, il a divisé son audience par deux. Et ce sera difficile à reconstruire, sauf à changer de modèle pour en faire moins une télévision d’information qu’une télé de divertissement. 94 départs, cela ne s’est pas vu souvent dans l’histoire de la télé !



Cyril Hanouna dans le collimateur du CSA.

X.C. Il est confronté à la nécessité de trouver sa cible sur un public jeune dont on sait qu’il déserte la télévision au profit d’internet. Il prend donc tous les codes, aujourd’hui sur Internet, qui séduisent les plus jeunes. Il transgresse et casse le langage, les habitudes et les conventions qui règnent sur le petit écran. Il fait une sorte de programme du Web à la télé qui s’en trouve désorientée. Mais cette logique de la transgression importée d’Internet est parfois choquante quant elle touche au respect que l’on doit aux femmes ou aux plus fragiles. C’est difficilement acceptable sur une antenne de télévision.

 

 

L’élection de Donald Trump et le débat sur les fake news.

X.C. Trump et Hanouna, même combat ! On est dans l’utilisation opportuniste des nouvelles règles imposées par le Web. Internet fait qu’une bêtise validée par une communauté à laquelle j’appartiens devient une vérité et une vérité sanctionnée par cette même communauté un mensonge. On est dans l’ordre de la manipulation. La subtilité avec laquelle Trump a utilisé le Web – ou a été utilisé sur le Web - ne pouvait que déboucher que sur des fake news ou sur une déformation des faits objectifs au profit d’une manipulation de l’opinion. Paul Horner, créateur de faux sites d’informations considère qu’il a aidé à la victoire de Trump. Le web, c’est l’immédiateté et vous pouvez vous affranchir de toute validation pour créer de l’information. Aujourd’hui, Mc Luhan est dépassé : le medium, c’est le messager. L’individu et son message ne font qu’un grâce au web.



Le web américain manipulé par les services russes.

X.C. Il faut faire très attention à la liberté d’expression que représente le Web. On vit dans un système de plus en plus communautarisé.  Il y a une sorte d’illusion à considérer qu’on n'est totalement libre que dans ce monde du Web qui crée les conditions d’un communautarisme libertaire. Seulement, ce dont les membres de ces communautés ne se rendent pas compte, c’est qu’ils ne font que vivre entre eux. Dès lors qu’une communauté a été identifiée, il est très facile à des esprits malins de la manipuler en introduisant à l’intérieur des discours parasites qui peuvent peser sur le destin du monde avec des conséquences dont on ne connaît pas les retentissements aujourd’hui. Nous sommes dans une relation mélangée entre liberté et manipulation. On peut se sentir libre alors qu’on est manipulé. Dans ces univers communautarisés, ce sont d’ailleurs les plus violents, les plus braillards qui se font le mieux écouter. D’une certaine façon, c’est aussi ce que montre Cyril Hanouna: il est plus facile de se faire entendre et d’occuper le devant de la scène quand on est un peu choquant, quand on braille un peu plus fort que les autres, quand on a des éléments d’attraction qui utilisent un peu la méthode du phare dans les yeux du lapin. Face à tout cela, il faut donner suffisamment d’éléments au téléspectateur pour qu’il conserve et se forge un esprit critique. 

 



Les arrivées de Yann Barthès sur TMC et du Zapping sur France 2.

X.C. Rares sont les animateurs qui partent d’une chaîne avec leur public et parviennent à se réimplanter sur une autre chaîne, avec quasiment la même audience. Yann Barthès est un phénomène. Il a, avec son producteur Laurent Bon, beaucoup de talent et est exemplaire de ce que l’on peut faire pour innover et s’ancrer dans la modernité. Quant à Vu, je suis très heureux que France 2 reprenne les codes qui ont fait les beaux jours du Zapping. Il y aura à la fois la créativité, l’insolence, l’imagination et c’est en même temps un moyen de donner un coup de chapeau à l’ensemble de télévision. Il faut qu’on trouve le moyen de faire revenir le public plus jeune.



Le lancement de France Info et LCI en gratuit.

X.C. C’est la démonstration que la télé publique a des ressources pour créer un outil totalement neuf. Et  c’est la première antenne qui mêle à ce point le monde d’Internet et celui de la TV. Cela montre que l’antenne peut nourrir le web et inversement. C’est un mouvement dans lequel je souhaite inscrire l’ensemble des antennes de France Télévisions. LCi, qui est sur un format plus traditionnel, a profité de la grève à iTélé pour récupérer une partie de son public. Mais la vie est longue. L’ensemble France Info n’est qu’à l’aube d’un mouvement qui devrait augmenter sa portance et son importance sur le marché de l’information.

 

Les débats des primaires et la séquence où Nicolas Sarkozy reproche à David Pujadas de reprendre les accusations de Takieddine sur le financement de sa campagne en 2007.

X.C. Qu’aurait-on dit si David Pujadas n’avait pas posé la question ? On aurait parlé de complaisance. Nicolas Sarkozy, la main sur le cœur, fait un grand numéro d’acteur pour expliquer qu’il est scandaleux que la télévision publique se fasse le relais de Ziad Takieddine. C’est un moyen de banaliser la question et de ne pas répondre. Je ne crois pas du tout que ce sont ces accusations, reprises par la presse entière, qui ont fait que Nicolas Sarkozy a été battu. Il l’a été parce que nous vivons dans une démocratie qui, systématiquement, demande à sortir les sortants. En dehors des périodes d’alternance, un président et une majorité se trouvent dans l’impossibilité de se faire reconduire sauf à être en rupture absolue. La démocratie vit dans une sorte d’accélération, à l’heure d’internet, qui fait que c’est absolument impossible pour un président qui a occupé la fonction de pouvoir la retrouver. France 2 essaye de faire son travail et on ne peut protéger personne. Il faut être fier d’avoir une télévision qui n’a été ni gentille ni agréable avec aucun des acteurs de la vie publique dès lors qu’ils ont des difficultés avec la justice.

 

L’accord avorté entre Bouygues Télécom et Orange.

X.C. C’est un paradoxe, dans le téléphone, quand on ne s’entend pas. Mais y a aujourd’hui la volonté de créer quelque chose d’un peu puissant face aux gros acteurs du Net. Il va y avoir une bagarre entres les propriétaires des réseaux et ceux qui les utilisent. De nouveaux équilibres devront être trouvés. On est dans un monde qui va dans le sens du renforcement de la consolidation des groupes. Les contenus et les contenants ayant besoin les uns les autres, la consolidation se fera dans les deux sens.  Reste à savoir qui sera le plus puissant. Vivendi est entré dans Telecom Italia et AT&T a racheté Time Warner. Partout, les grands acteurs se rapprochent. L’un des plus grands commerçants du monde, Amazon, s’intéresse au contenu. Il faut être à la fois malin, puissant et stratège.

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