Dans un monde complexe, le consommateur médias est à la recherche d'idées qui donnent du sens à sa vie et favorise la compréhension de son environnement. Dix paris réussis de décryptage du réel.

Et si on pariait sur l'intelligence ? Dans l'univers des médias, la suggestion est moins iconoclaste qu'il n'y paraît. Car il n'y a pas que les grosses machineries abrutissantes qui captent de l'audience ou même, simplement, l'intérêt d'un public : dans un univers de choix où la sélection et les contenus à la demande prennent de plus en plus de poids, le consommateur médias est plus actif que passif. Ce ne sont pas nécessairement les contenus les plus faciles qui l'intéressent, mais plutôt ceux qui confèrent du sens à un monde secoué par la crise économique, les menaces sur la planète ou les inégalités. Sans prétendre bien sûr à l'exhaustivité, Stratégies vous propose cette semaine dix exemples de contenus qui font le pari de l'intelligence et réussissent dans leur domaine. Un pari gagnant à tous les sens du terme.

 

Alternatives économiques, +50% en six ans

«Nous n'avons aucune prétention à faire un journal spécialement intelligent, mais nous essayons de faire notre travail avec une réelle exigence intellectuelle», explique Philippe Frémeaux, le directeur d'Alternatives économiques.On a aussi parfois des jugements un peu rapides et il nous arrive de nous tromper. Mais notre parti pris est de faire un journal sérieux qui ne dit pas toujours ce que ses lecteurs ont envie d'entendre. A long terme, ça paie.» Avec une diffusion payée de 110 000 exemplaires, le mensuel progresse depuis 2007, essentiellement dans les ventes en kiosques (+50% en six ans) auprès de cadres payants à plein tarif. «Nous sommes des profiteurs de la crise, s'amuse Philippe Frémeaux. Lehman Brothers a fait découvrir Alternatives économiques à des gens qui cherchent à comprendre ce qu'il se passe sur le plan économique et apprécient les marges de manœuvre.» Il constate qu'il est aussi davantage invité sur les plateaux de France Info ou de France 5 : «La parole de l'économiste de banque standard s'est un peu dévalorisée.» Le journal (une coopérative) a réalisé près de 200 000 euros de bénéfice en 2009, pour 7 millions de chiffres d'affaires. Quant au site, il a rassemblé en décembre dernier 400 000 visiteurs uniques.


C'est pas sorcier, un succès international

Une émission scientifique de vulgarisation accessible aux petits comme aux grands… Au début des années 1990, Frédéric Courant et Jamy Gourmaud, jeunes journalistes chez Canal Santé, ont eu cette idée géniale… à laquelle personne ne croyait. Sans la persévérance du duo et l'audace de France 3, C'est pas sorcier n'aurait jamais vu le jour. Depuis novembre 1994, l'émission n'a pas dévié de son but : montrer que la science est partout et que ce n'est pas forcément barbant. Sur le terrain, Fred et son acolyte Sabine Quindou mènent des observations grandeur nature, avec l'aide de chercheurs, aventuriers, sportifs, passionnés… A bord du camion-laboratoire, conduit par l'invisible «Marcel», Jamy reproduit les expériences, à grands renforts de maquettes. Le tout est enrobé par la «petite voix» qui distille ses commentaires. Pari tenu. Quatre cent soixante émissions plus tard, C'est pas sorcier a même reçu des prix : deux Sept d'or de la meilleure émission éducative en 1999 et le prix Descartes de l'Union européenne en 2004. Le programme désormais produit par MFP est plébiscité par les enfants et leurs parents, et même recommandé par l'Education nationale. Il attire chaque jour 800 000 téléspectateurs en moyenne (21% de part d'audience sur les 4-10 ans) et près de 980 000 le dimanche. Succès identique dans une vingtaine de pays et avec les produits dérivés : plus d'un million de DVD vendus, 500 000 jeux de société, 180 000 jeux vidéos… Au printemps prochain, C'est pas sorcier sera pour la première fois diffusée en prime time pour un numéro consacré à la biodiversité. A l'été, des colonies de vacances «C'est pas sorcier» seront ouvertes.

 

Ce soir ou jamais, 700 000 téléspectateurs chaque soir

Le magazine L'Optimum l'a surnommé «Le QI du PAF». A quarante-neuf ans, Frédéric Taddeï, l'animateur au look de dandy branché est devenu le porte-drapeau de la caution «intelligente» de la télévision publique. Les élites intellectuelles, politiques ou artistiques se pressent désormais à Ce soir ou jamais, sur France 3. «Je veux donner à mes invités la liberté d'aller au bout de leur raisonnement, la liberté de déplaire aussi», explique l'animateur. Avec en moyenne 700 000 téléspectateurs chaque soir depuis la rentrée 2009, son émission atteint même des pics d'audience, jusqu'à 1,6 million de personnes. Liberté de ton, intérêt pour ses invités et mélange des genres sont les principaux ingrédients du cocktail «Taddeï». Sans diplôme universitaire, le journaliste a pourtant été à bonne école. Ce profil atypique s'est d'abord nourri de livres, de musées et de cinéma. Puis de rencontres, comme Jean-François Bizot et Thierry Ardisson. Ce dernier pensait d'ailleurs Taddeï «trop cultivé pour la télé». Mais de Paris Première à France 3, l'animateur a réussi à transformer l'essai. Il a donné naissance à une émission intellectuelle, mais pas élitiste, dont beaucoup ont rêvé de découvrir la recette.


2 000 ans d'histoire, l'émission de radio la plus podcastée

Un pari de l'intelligence, 2 000 ans d'histoire ? Son producteur et animateur sur France Inter, Patrice Gélinet, dériverait volontiers l'attention vers Jérôme Garcin, du Masque et la Plume, ou vers Frédéric Lodéon, pour son Carrefour d'initiation à la musique classique. Pourtant, avec 925 000 téléchargements par mois, 2 000 ans d'histoire est bien la championne des émissions podcastées, devant la chronique de l'humoriste Stéphane Guillon. Son secret ? Une très grande diversité dans le choix des sujets. Début février, on retrouve ainsi parmi les dernières émissions les routes du commerce depuis l'Antiquité, l'intégration des jeunes depuis 1945, le diable, la mesure du temps, l'Amiral Darlan, le retour des déportés ou Alexandre 1er. A chaque fois, pas plus de deux thématiques par semaine tirées du XXe siècle et une volonté de plonger l'auditeur dans les enjeux d'une époque en lui donnant une magistrale leçon d'histoire… sans l'ennuyer. Eclectisme et pédagogie sont les maîtres mots de cette émission travaillée en profondeur et astucieusement mise en ondes. Patrice Gélinet est, suivant les saisons, la première ou la deuxième émission la plus écoutée entre 13h30 et 14heures, avec 800 000 à 900 000 auditeurs.

 

XXI, plus de 200 000 euros de profits

Le trimestriel, qui vient de fêter ses deux ans, a été fondé par le grand reporter Patrick de Saint Exupéry et l'éditeur Laurent Beccaria. Une double empreinte qui lui a permis d'être à la fois une revue de journalisme au long cours, titulaire du prestigieux prix Albert Londres 2009, pour l'article «Bienvenue chez Mugabé», de Sophie Bouillon, et une expérience inédite de diffusion dans le réseau des librairies. «Mieux vaut être le premier du livre que le 3 000e de la presse», explique Laurent Beccaria, qui souligne que son titre est souvent bien placé dans les Relay - près des caisses - en raison de ses performances dans l'édition : 44 000 exemplaires pour le dernier numéro, avec un point mort à 25 000 ex. Vendu 15 euros, comptant 220 pages sans publicité, la revue mélange reportage, enquête, photographie et bande dessinée. «Nous avons parié sur l'intelligence du lecteur, mais aussi du journaliste», insite son cofondateur, qui refuse la mort d'une école française du grand reportage. «Nous ne décidons pas dans notre bulle des sujets, on ouvre les portes et les fenêtres, ajoute-t-il. On fait confiance à des free lance, il en ressort des thématiques mais aussi une fraicheur, une richesse, une justesse très fortes. Les gens retrouvent dans XXI le plaisir d'être surpris. Si les journaux faisaient confiance aux journalistes en leur donnant de la liberté, ils auraient de meilleurs contenus.» XXI, qui est lu aussi bien par des étudiants que par des retraités en campagne et dans les petites villes - «des gens qui ont le temps de lire» - attire aussi des journalistes en postes qui ne trouvent pas asile dans leur rédaction. Laurent Beccaria table sur 200 000 à 300 000 euros de bénéfice pour 2009-2010.

 

C dans l'air, 10% de part d'audience

Nathalie Darrigrand, responsable des magazines de société de France Télévisions, démonte l'alchimie qui aboutit chaque jour à la fabrication de C dans l'air, l'émission d'actualité animée par Yves Calvi sur France 5, entre 17h30 et 19heures, et produite par Jérôme Bellay. «Notre force est dans la pertinence des choix sur les sujets d'actualité. Ils sont choisis dans l'objectif de mieux les comprendre, de les décrypter. Et le questionnement d'Yves Calvi fait la différence.» Grâce à  son flair légendaire, Jérôme Bellay repère donc les sujets qui font l'actualité «chaude» que l'animateur s'ingénie ensuite à éclairer sous toutes les facettes en interrogeant ses experts invités. Sans oublier trois reportages par jour qui apportent une illustration parlante. Et l'interactivité, qui s'est révélée une heureuse surprise : «On a eu très vite des questions de très haut niveau alors qu'on pensait au départ qu'on aurait surtout des commentaires. Yves utilise ces question d'un public fidèle et gourmand de contenus pour relancer le débat.» C dans l'air, qui s'est enrichi depuis 2007 d'une interview de dix minutes de Thierry Guerrier («C à dire»), est la plus forte audience de France 5 : l'émission enregistre depuis la rentrée de septembre 2009 une moyenne de 1 182 000 téléspectateurs, pour 9,3% de part d'audience (PDA). Elle a franchi les dix points de PDA en janvier 2010 avec 100 000 téléspectateurs de plus (et 300 000 fidèles de plus à 22h35 pour la rediffusion).

 
Psychologies magazine, le choix fondateur de la contreprogrammation

«Notre magazine essaie de mélanger intelligence et profondeur au plaisir de lecture. Ainsi, dans un même numéro, on peut trouver une interview ambitieuse du paléontologue Yves Coppens, mais aussi des décryptages des petits objets du quotidien, comme la cuissarde ou les lapsus via e-mail», s'amuse Arnaud de Saint-Simon, directeur général de Psychologies. A l'origine, le titre fondé par Bernard et Agnès Loiseau en 1970 était «un magazine de développement personnel réservé à un public captif, qui tirait à 75 000 exemplaires», rappelle Arnaud de Saint-Simon. En 1997, le titre est racheté par Jean-Louis Servan-Schreiber, qui en fait un magazine grand public, le «généraliste de la vie», comme le définit Arnaud de Saint-Simon, dont la diffusion s'établit à 339 515 exemplaires, avec 45% d'abonnés. Le lectorat de Psychologies magazine, à 70% féminin, a en moyenne trente-neuf ans, avec 50% de CSP+. «Ce qui a fait le succès du titre, c'est sa sincérité», estime Arnaud de Saint-Simon. «Nous avons fait de la contre-programmation, avec un magazine cher – 4 euros – et exigeant. Mais il y a toujours de la place pour les propositions alternatives au marketing de presse, qui séduisent, de plus, des cibles très prisées par les annonceurs…»

 

Books, de l'étudiant au retraité

Olivier Postel-Vinay le reconnaît : «Le pari était un peu kamikaze.» En novembre 2008, cet ancien directeur de la rédaction de Courrier international lance Books, avec l'idée «de tourner le dos à la manie du zapping». Le titre, qui cherche son inspiration dans des publications comme la New York Review of Books, propose, comme son nom l'indique, des extraits de livres et d'essais, «parfois non parus en France». Un peu plus d'un an après son lancement, il affiche une diffusion de 20 000 exemplaires, avec un point mort à 33 000 exemplaires, qu'Olivier Postel-Vinay souhaite atteindre d'ici 2013, «car on sait qu'il faut du temps pour installer un titre ambitieux».Books peut en tout cas compter sur «un lectorat de fans», déjà très attachés au titre, «car ils nous trouvent en décalage par rapport à ce qu'ils trouvent dans la presse française, ils aiment notre esprit d'indépendance, notre volonté de bousculer les icônes du paysage intellectuel français». Les lecteurs de Books vont de l'étudiant au retraité et sont adpetes des lectures au long cours. Comme le constate le fondateur de Books : «Il existe aujourd'hui un mouvement d'opinion qui va à l'encontre du déluge de micro-informations.»

 

Philosophie magazine, en croisière avec des penseurs

«Je ne sais pas si l'on peut parler de pari sur l'intelligence. C'est plutôt la bêtise qui est un pari. Les jeux ou les programmes de télé-réalité affligeants sont souvent conçus par des personnes qui sortent de grandes écoles et font un pari sur la bêtise du public.» Alexandre Lacroix, fondateur de Philosophie magazine, lui, «a surtout essayé de faire le journal que j'avais envie de lire». Lancé en avril 2006, d'abord sur une périodicité bimestrielle, le titre est rapidement passé en mensuel, avec une diffusion de 50 000 exemplaires, dont 17 000 abonnés. Et pourtant, «les anticipations des professionnels du milieu n'étaient pas aussi favorables, on nous prédisait plutôt une diffusion de 20 000 exemplaires». «Comment peut-on être anti-capitaliste ?», «Pourquoi fait-on des enfants», «A-t-on raison d'avoir peur»… voilà les dernières couvertures qui ont bien marché, «même si la diffusion est très stable», souligne Alexandre Lacroix. Le titre, qui a pour investisseur Fabrice Gerschel, un banquier d'affaires passionné de philosophie, se diversifie en proposant, en partenariat avec Intermèdes, des croisières philosophiques. Ainsi, les amoureux de la science de la sagesse ont pu voguer avec André Comte-Sponville, ou pourront, de concert avec l'astrophysicien Hubert Reeves, réfléchir au monde comme il va.

 

So foot, des ventes en hausse de 20%

A So foot, on aime les feintes et les contre-pieds. Quand le mensuel sort en avril 2003, il surprend de suite. Le fond, la forme… tout est nouveau. «Les canards de football ne traitaient que de résultats. Or, le foot mérite mieux que de se résumer à un tableau d'affichage, explique Franck Annese, directeur de la rédaction. Ce qui nous intéresse dans ce sport, c'est son côté miroir de la société.» Résultat, des sujets culture et société autour du football et des entretiens fameux où se mêlent hiommes politiques, cinéastes, écrivains et bien sûr des acteurs du ballon rond, souvent malmenés. De la «déconne» aussi. Beaucoup. «Le style So Foot, c'est : je sais qu'un jour je vais mourir, précise Franck Annese. Alors, on se lâche.» Au programme, donc, des blagues, des calembours, des jeux de mots et un sens aiguisé de l'(auto)dérision dans les papiers des diverses rubriques. Fondée sur un modèle privilégiant les ventes en kiosques (80% des revenus, contre moins de 10% pour la publicité), la formule se vend désormais à 45 000 exemplaires (35 000 en 2008), pour un chiffre d'affaires de 3,5 millions d'euros, en hausse de 20% en 2009. Bref, pour le moment, entre finesse du lob et frappe de bourrin, ça joue plutôt bien, à So foot.

 
Et aussi

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