Marie-Odile Amaury, propriétaire du Parisien-Aujourd'hui en France, comptait vendre son quotidien avant la Toussaint. Mais devant les prix qu'on lui propose, elle hésite à franchir le pas.

«On y verra plus clair à la Toussaint.» Martin Desprez, vice-président du conseil d'administration du groupe Amaury, chargé de piloter «l'étude stratégique» d'ouverture du capital du Parisien, était encore optimiste le 21 septembre quand il recevait les membres du comité d'entreprise du quotidien.

À la veille du 1er novembre, la rédaction du Parisien navigue pourtant en plein brouillard et le moins que l'on puisse dire est que le dossier n'est pas franchement sur le point d'aboutir. Mieux, il n'est plus tout à fait acquis que Marie-Odile Amaury, la propriétaire du titre (et de L'Équipe, non concerné par le projet de cession), vendra effectivement l'un de ses plus beaux actifs de presse. Philippe Carli, son nouveau directeur général, l'a laissé entendre aux salariés le 11 octobre en visitant les services du journal, à Saint-Ouen, en compagnie du secrétaire général de la rédaction.

«Il nous a dit que Marie-Odile Amaury ne braderait pas son titre et qu'il allait nous aider à nous développer», raconte un journaliste, relatant la visite de cet ancien président de Siemens France. «Il nous a demandé comment on voyait le journalisme dans dix ans et évoqué de la résistance au changement en disant que pour l'actionnaire, nous étions un peu comme des enfants turbulents qui n'ont pas été sages», complète Timothée Boutry, président de la Société des journalistes. Une allusion aux journées de grève de la rédaction, en décembre 2009, visant à contester le plan de départs volontaires et la stratégie de Marie-Odile Amaury. «Les arguments qui justifient la vente sont un peu plus rationnels», relativise-t-on cependant dans les étages supérieurs, où l'on croit comprendre qu'il y a aujourd'hui «plus de possibilités que l'opération de cession ne se fasse pas»

Le retrait probable de Serge Dassault annoncé par Challenges en fin de semaine dernière a, il est vrai, rebattu les cartes. Longtemps, Marie-Odile Amaury a cru que l'industriel allait faire monter les prix. N'avait-il pas un double intérêt, politique et industriel, à s'emparer du journal? Serge Dassault est en effet sénateur de l'Essonne alors que son fils aîné, Olivier, est député de l'Oise.

Parallèlement, Rudi Roussillon, conseiller de Serge Dassault, reconnaissait fin septembre que son groupe s'était intéressé au dossier du Parisien après avoir étudié un possible rachat des Échos jusqu'au mois d'août. «Il y a une certaine légitimité à regarder les synergies industrielles qui peuvent être dégagées avec le groupe Figaro sur l'impression, la distribution, la publicité, Internet, l'achat de papier, les petites annonces», convenait-il.

Charte d'indépendance

Seulement, l'intérêt politique n'est plus apparu aussi évident le 2 octobre, quand Serge Dassault a renoncé à être tête de liste aux prochaines élections municipales partielles de Corbeil-Essonnes, suite à l'invalidation de sa réélection en juin 2009. D'ailleurs, parmi ses enfants et héritiers, seul Olivier, le député, soutenait ce projet de rachat. Surtout, ses conseillers financiers, emmenés par Olivier Costa de Beauregard, ont pesé pour une valorisation a minima du groupe Le Parisien-Aujourd'hui en France, malgré un Ebitda de plus de 12 millions d'euros et près de 246 millions d'euros de chiffre d'affaires attendus à la fin 2010.

«Après la vente de la Socpresse, Serge Dassault est en plus-value latente sur son investissement presse, estime Jean-Clément Texier, spécialiste financier des médias et président de Ringier France. Si Rossel a une vraie cohérence à créer un ensemble de PQR du Nord [avec Le Soir et La Voix du Nord], je ne suis pas sûr qu'un acteur industriel ou financier doive y aller pour 100 millions d'euros. Alors qu'en 2006-2007, un groupe de presse se payait 12 à 14 fois l'Ebitda, c'est plutôt 5 à 6 fois désormais.»

En clair, un prix «politique» supérieur à une centaine de millions d'euros ne s'impose plus pour Dassault. Sans compter qu'un éventuel investissement de l'avionneur provoque des remous non seulement au Parti socialiste ou chez les Villepinistes, mais aussi, ce qui est plus ennuyeux, au sein de la rédaction du Parisien qui vient de se doter d'une charte d'indépendance.

Dilemme pour Marie-Odile Amaury: elle a laissé filtrer qu'elle espérait 200 millions d'euros de cette vente. Sans doute accepte-t-elle de descendre à 170 millions d'euros, voire de négocier un peu en dessous, mais il y a une limite. Ne serait-ce que pour ses enfants, Jean-Étienne et Aurore, auxquels elle veut transmettre un héritage familial le moins écorné possible.

La fin des «danseuses»?

Certes, il reste des postulants pour un rachat ou, à tout le moins, un adossement du Parisien- Aujourd'hui en France. Contacté par nos soins, Fondations Capital confirme son intérêt pour ce groupe qui demeure «une belle marque, une belle ligne éditoriale, un beau réseau de distribution et offre des perspectives de développement numérique».

Mais, pour ce fonds d'investissement géré par deux anciens d'Eurazeo, Xavier Marin et Philippe Renauld – et qui serait majoritaire dans le tour de table aux côtés du groupe de presse belge Rossel –, pas question non plus de casser sa tirelire. Propriétaire depuis trois ans d'un seul actif (la société de béton Tarnac, rebaptisée Alkern), le fonds jouerait sa réputation lors d'une sortie à l'échéance de cinq ans. Il ne proposerait que 80 millions d'euros pour 80% du groupe (20% restant aux mains d'Amaury).

Le groupe Bolloré serait encore susceptible de s'aligner sur cette valorisation. «Nous devrions faire une proposition à Marie-Odile Amaury dans les prochaines semaines», a confié le 26 octobre à Stratégies Yannick Bolloré, directeur général de Bolloré Médias, en marge d'un colloque de NPA. David Montgomery, qui s'apprête à quitter Mecom, serait également sur les rangs. Selon La Correspondance de la presse, l'homme d'affaires britannique serait à la recherche de fonds pour formuler une proposition à Marie-Odile Amaury.

En revanche, une source interne au groupe Amaury affirme que le groupe allemand Springer n'est pas sur le dossier, «même si ça peut changer». Le 21 octobre, Martin Desprez se contentait de dire, selon le syndicat Force ouvrière, que l'étude stratégique d'ouverture du capital sera terminée au plus tard courant novembre.

Quoi qu'il en soit, «cette affaire est emblématique d'une époque où il n'y a plus de gens qui s'offrent des groupes de presse pour se faire plaisir», estime Thibaut de Smedt, directeur associé de la banque Bryan Garnier. «Il arrive qu'un Russe arrive et paye quatre fois le prix d'un appartement mais, à la fin, vous retrouvez la valeur du marché parce que les loyers que vous pouvez en tirer donnent les mêmes rendements qu'ailleurs. C'est pareil pour les quotidiens. Mais à un certain niveau de prix, cela peut-être un investissement judicieux.» Y compris pour Marie-Odile Amaury ?

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