Le film de science-fiction de Steven Spielberg, tourné il y a près de dix ans, a anticipé de manière troublante les grandes innovations technologiques d'aujourd'hui.

John Anderton, le héros de Minority Report interprété par Tom Cruise, est en fâcheuse posture. Poursuivi par des escouades de policiers, il trouve refuge dans le métro. Dans les couloirs, il est cerné par les écrans publicitaires interactifs. Lorsqu'il pénètre dans la rame, les passagers qui l'entourent sont plongés dans la lecture de journaux numériques. La cavale d'Anderton paraît compromise, car en 2054, il est difficile de rester incognito: des caméras et des capteurs omniprésents permettent de tracer le moindre de vos déplacements…

Le film a quasiment dix ans, mais il pourrait avoir été tourné aujourd'hui. Réalisé par Steven Spielberg en 2002, cette fiction présente une vision du monde d'une troublante actualité. «Le futur vous rattrape!», comme dit la jaquette du DVD. De fait, cela fait plusieurs années que les professionnels de la communication évoquent inlassablement le film d'anticipation, tiré d'une nouvelle de Philip K. Dick (dans laquelle l'auteur restait plus vague que Spielberg sur la date de l'action, lire l'encadré). «La référence revient systématiquement depuis cinq ans, surtout dans les présentations des agences médias, dans les études sur les nouveaux comportements de consommation, par exemple», remarque Nicolas Chemla, directeur du planning international de Being (TBWA).

Source d'inspiration

De fait, fin février, la société 3M GTG, spécialisée dans l'affichage numérique, présentera à Londres un rapport intitulé «Aux frontières de Minority Report»… Aux commandes de cette étude, le Dr Frank Shaw, directeur de la prospective du Centre for Future Studies (université du Kent). «Finalement, la seule chose sur laquelle Spielberg s'est trompé, c'est en situant le film en 2054! Nous y sommes déjà, et d'ici à cinq ans, la réalité dépassera la fiction», s'amuse l'universitaire. Selon des spécialistes des nouvelles technologies comme David Bianic, rédacteur en chef de Geek Le Magazine, on se trouve devant ce que l'on appelle «l'effet Star Trek». On ne rit pas, c'est très sérieux: «Dans Star Trek, on retrouve dès les années 1960, dans un contexte très science-fiction, des innovations d'aujourd'hui comme le “communicateur”, ancêtre du téléphone portable. On parle d'effet Star Trek lorsqu'une œuvre sert de terreau aux scientifiques. Sauf qu'aujourd'hui, tout se réalise plus vite et de manière plus sophistiquée que dans les films de SF...»

Spielberg ne doit pas l'acuité de sa «vista» à ses seules intuitions: lors de la conception du film, il s'est entouré de quinze spécialistes, dont Kevin Kelly, fondateur de Wired, des experts du Massachusetts Institute of Technology (MIT) ou encore l'écrivain Douglas Coupland (Génération X). Alors, vivons-nous réellement dans Minority Report ? Panorama des innovations, issues de la fiction, déjà entrées dans notre quotidien.


L'interface corporelle

 

Dans le film

Dans l'une des scènes d'ouverture, John Anderton (incarné par Tom Cruise), tel un chef d'orchestre, commande son écran grâce à des gants munis de capteurs. De l'index, il pointe l'écran pour avoir accès à certaines images, zoome et dézoome avec ses seules mains.

 

Aujourd'hui

En septembre 2010, au moment du lancement de Kinect, les références à Minority Report fleurissaient dans les médias. Avec raison: le périphérique de Microsoft donne aux utilisateurs cette sensation démiurgique de manipuler à distance les écrans. Pour la petite histoire, John Underkoffler, le conseiller scientifique et technologique du film et ingénieur du MIT, avait déjà, dès 1999, conçu une interface similaire au sein de sa propre société, Oblong Industries. Cruelle ironie, «Underkoffler a été rattrapé par la sortie d'écrans tactiles, comme celui de l'Iphone d'Apple, et n'a pas su capitaliser sur son invention», raconte David Bianic.

Avec Kinect, un cap est franchi. Le 10 février dernier, lors de la conférence Tech Days, Microsoft présentait la stupéfiante expérience Skinput. Il s'agit d'équiper les corps de capteurs, afin de les transformer en «télécommandes numériques». «Avec le développement de capteurs évolués, notre corps tout entier devient l'ordinateur», explique Bernard Ourghanlian, directeur technique de Microsoft France, lors de son intervention. Grâce à un miniprojecteur, il sera possible, selon Microsoft, d'afficher des interfaces sur notre corps et de l'utiliser comme un menu de commandes… «Après la réalité augmentée, on pourrait aussi envisager l'être humain augmenté, grâce à des lentilles de contact qui fourniraient des données sur ce qui nous entoure», prédit pour sa part Emmanuel Vivier, cofondateur du groupe de communication Vanksen.


La reconnaissance rétinienne

 

Dans le film

John Anderton ne peut se déplacer sans être reconnu. Les capteurs Identoptic qu'il croise partout sur son chemin permettent de l'identifier en scannant sa rétine.

 

Aujourd'hui

Si vous avez arpenté les aéroports de Grande-Bretagne, des États-Unis, des Émirats arabes unis, des Pays-Bas ou encore du Canada, votre rétine a déjà été analysée. La reconnaissance rétinienne est aujourd'hui utilisée pour des raisons de sécurité. Dans la rue, sans aller jusqu'à sonder notre iris, on peut déjà savoir pas mal de choses sur les passants. La société française Quividi développe depuis 1997 des moniteurs munis de webcams, placés sous les panneaux d'affichage, qui peuvent identifier le sexe des passants avec quasiment 100% de réussite. «Aujourd'hui, on est capable de dénombrer avec précision les foules, mais aussi de déterminer l'âge des passants, ou encore leur humeur, même s'il faut vraiment forcer le trait pour que le moniteur analyse correctement les expressions du visage», explique Benoît Régent, directeur marketing études et stratégie de Posterscope.

Chez JCDecaux, on a «développé en laboratoire des méthodes d'“eye-tracking”, qui permettent de suivre le déplacement du regard», rappelle Albert Asséraf, directeur général marketing, études et stratégie France de JCDecaux. Mais le procédé attise les polémiques: les panneaux «nouvelle génération» installés par Metrobus dans le métro parisien, équipés de capteurs faciaux (développés par la société… Majority Report!) mesurant le nombre de passages devant l'écran et le temps d'exposition au message publicitaire, ont provoqué l'ire des antipub et des élus parisiens, qui ont obtenu que la technologie ne soit pas activée.

 

La publicité ultrapersonnalisée

 

Dans le film

«Une Guinness, John?», «Stressé, John Anderton? Besoin de vacances?». Où qu'il aille, John Anderton est bombardé de messages publicitaires à son attention.

 

Aujourd'hui

«Il y a dix ans, les marketeurs se prenaient à rêver du fameux Market of One [ultrapersonnalisation]. Aujourd'hui, nous y sommes presque», constate Frank Shaw. «Récemment, aux États-Unis, une publicité pour la Mini permettait de reconnaître la puce RFID des clés de voiture, et de s'adresser aux conducteurs nommément, via des panneaux qui les interpellaient sur la route par leur prénom.», souligne Benoît Régent. En Grande-Bretagne, une campagne de 2009 pour Castrol, qui identifiait les voitures grâce à leur plaque d'immatriculation et leur proposait l'huile la plus adaptée à leur véhicule, a été diversement appréciée, car jugée trop intrusive.

Pourtant, les consommateurs n'ont pas toujours ces pudeurs lorsqu'il s'agit de divulguer des informations les concernant. On n'hésite pas à se répandre sur les réseaux sociaux, bien sûr, mais plus étonnant: les publicitaires sont les premiers étonnés par l'engouement suscité par les outils de géolocalisation du type Four Square. «En toute conscience, les consommateurs acceptent d'être “trackés”. Une forme de soumission volontaire», note Nicolas Chemla. Big Brother ne fait pas peur, dans la mesure où il récompense ses ouailles. «La géolocalisation est acceptée si elle s'accompagne d'un service», constate Nicolas Chemla. La porte ouverte à une publicité de plus en plus sur mesure? «La communication individuelle n'a pas de sens dans la communication extérieure, nuance Albert Asséraf. Ce qui importe, c'est la reconnaissance des flux.»


L'e-paper

 

Dans le film

John Anderton, en cavale, prend le métro. En face de lui, un passager lit USA Today dont la une s'actualise en temps réel avec le titre: «Breaking News ! Chasse à l'homme dans la ville!».

 

Aujourd'hui

«L'Ipad se rapproche de ce journal constamment remis à jour», remarque David Bianic. Oui, mais la tablette d'Apple ou encore le Kindle d'Amazon paraissent aussi modernes que les tablettes gravées de l'Antiquité, lorsqu'on observe les prototypes en développement: en janvier 2010, LG a présenté son modèle de papier électronique, muni d'un écran flexible de 19 pouces en noir et blanc. Sony a également fait la démonstration en juin d'un nouveau prototype d'écran Oled si souple qu'il s'enroule sur lui-même et affiche images et vidéos. Les sociétés comme Plastic Logic et E-Ink développent des produits qui ressemblent de plus en plus au papier. Au moins, on ne se salira plus les doigts.

 

La 3 D et les hologrammes

 

Dans le film

John Anderton, dont le fils a été tué et dont la femme est partie, s'abîme dans la vision de films de famille en 3D.

 

Aujourd'hui

Avatar, Alice au pays des merveilles, Tron, l'héritage… La 3D a pris sa place dans les salles obscures, et entrera bientôt dans nos foyers: la Nintendo 3 DS sera en trois dimensions, et Toshiba vient de développer un téléviseur qui permettra de regarder des programmes 3D sans lunettes. «Nous en sommes aux premières phases de cette technologie, qui représente néanmoins une réalité commerciale au Japon», explique Thierry Chabrol, directeur général de la division grand public de Toshiba. Le produit sera disponible en France pour les fêtes de fin d'année, même si le prix d'entrée pourrait être «à cinq chiffres».

En publicité également, la technologie reste onéreuse. «Il est possible de réaliser des affiches complètement virtuelles, planes ou à 360 degrés, mais le prix unitaire est de 20 000 euros…», souligne Benoît Régent. De la 3D aux hologrammes, déjà aperçus à la fin des années 1970 dans Star Wars, il n'y a qu'un pas, récemment franchi par Sony. L'un des dirigeants, Mick Hocknig, a révélé en décembre dernier à l'IFA, le salon de l'électronique grand public de Berlin, que la firme expérimentait une technique holographique donnant l'impression que les objets à l'écran sont dans votre propre pièce.

 

La voiture sans chauffeur

 

Dans le film

John Anderton ne touche jamais le volant. Sa voiture, dotée d'une douce voix féminine, conduit pour lui.

 

Aujourd'hui

C'est le rêve de tous les fêtards: pouvoir rentrer à bon port sans risque d'accident. Le GPS s'est déjà imposé dans le marché automobile, mais l'Institut national de recherche en informatique et en automatique (Inria) va encore plus loin avec son concept ultrafuturiste de Cy Cab. Ce taxi sans chauffeur est équipé d'un GPS sophistiqué, d'un laser et d'une caméra qui lui permettent de suivre le marquage au sol et d'éviter les obstacles. De quoi éviter les chauffards parisiens?

 

Et dans la publicité ?

 

Dans le film

Esthétique glacée, ton bleutés et métalliques… Minority Report donne à voir un monde glacial et anxiogène, cerné par les écrans.

 

Aujourd'hui

Si on n'y retrouve pas à proprement parler l'imagerie de Minority Report, la gestuelle liée à l'utilisation d'écrans tactiles est abondamment reprise dans les médias (Médias, le mag, où Thomas Hugues manipule des écrans (France 5), ou le générique de 100 %, le mag, sur le même principe (M6)) et dans la publicité. Palm (Modernista), Darty (H), But (Euro RSCG 360 et Ici tout va bien), Boursorama (BETC Euro RSCG) ou même… les protections périodiques Nana (TBWA MAP): «La dématérialisation de l'écran dans Minority Report se traduit par des mises en scène “tout-écran” en publicité», remarque Didier Tavarès, planneur stratégique chez Leg. Une esthétique qui, selon Joseph Kouli, directeur associé de la même agence, «commence à être vraiment datée».

Selon Nicolas Chemla, c'est un film d'animation, Wall-E, sorti en 2008, qui reflète le mieux ce que pourrait devenir notre monde actuel: «L'on y voit des êtres humains qui ont fui la Terre et se sont réfugiés dans un immense vaisseau spatial. Leurs corps ont muté en masses de graisse informes. Ne quittant plus leurs sièges, ils sont servis par des robots et ne sont connectés au monde que via des écrans.» Triste vision, même si, selon le Dr Shaw, il est de plus en plus ardu d'imaginer le futur: «La technologie se développe si rapidement que l'on ne peut même plus anticiper l'impact que les innovations auront sur nous. On ne peut pas prévoir à quoi ressemblera 2025.» Alors, 2054 pensez…

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