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Depuis dix jours, les deux actionnaires du groupe Skyrock sont en conflit au sujet de la nomination de Marc Laufer à la place de Pierre Bellanger. Un bras de fer s’est engagé sur fond d’activation de réseaux et de guerre de communication.

Dehors, une cinquantaine de jeunes, filles et garçons, survêtement et polo, gravite autour du 37 bis, rue Greneta à Paris. Nous sommes vendredi 14 avril dans l'après-midi devant les locaux de Skyrock. À l'intérieur se trouve Gérald de Roquemaurel. Nœud papillon et petites lunettes rondes, ce proche de Pierre Bellanger, le fondateur de la station, représente l'une des deux banques d'affaires, avec celle de Jean-Marie Messier, qui ont obtenu des mandats pour étudier la revente du groupe Skyrock.

Depuis le 12 avril, le conflit latent entre le fonds d'investissement Axa Private Equity, actionnaire majoritaire à 70% du groupe Skyrock, et Pierre Bellanger, actionnaire minoritaire à 30%, s'est révélé au grand jour. Engageant une guerre ouverte entre les deux parties.

L'histoire débute le vendredi 8 avril, lorsque Pierre Bellanger émet l'intention de racheter l'activité Internet de Skyrock. Quatre jours plus tard, tout s'accélère avec la nomination de Marc Laufer, ex-directeur général délégué de Next Radio TV, au poste de directeur général exécutif du groupe Skyrock, à l'issue d'un conseil d'administration. Pierre Bellanger se voit ainsi écarté de toute fonction opérationnelle. La radio «première sur le rap» se mobilise alors de manière spectaculaire, à l'antenne et au dehors.

Du côté de l'équipe actuelle de Skyrock, on se dit «choqué» par l'éviction «violente» de Pierre Bellanger. «Pierre nous a appelés, David (Difool) et moi-même, en nous disant que c'était l'épreuve du feu», raconte Laurent Bouneau, directeur général des programmes de la radio.

Les deux parties se renvoient la balle sur ces coups de théâtre. «À l'issue du conseil d'administration, rien ne laissait présager que Pierre Bellanger réagisse de la sorte», s'étonne Lise Fauconnier, directrice d'investissement du fonds Axa Private Equity. Selon Axa, le cahier des charges donné à Marc Laufer consiste à développer le groupe. C'est sans compter une réputation de «cost killer», qu'il doit à la sévère restructuration menée dans le groupe de presse informatique Tests depuis 2007.

«Marc Laufer ne s'occupait pas trop du contenu, il se concentrait sur la réorganisation, confie un témoin des événements de l'époque. Il aime bien venir au combat dans l'arène et jouer le rôle du mauvais flic, mais a le sens du contact et reste ouvert aux discussions informelles.» Le jeudi 14 avril au matin, Marc Laufer se rend devant la radio avec un huissier de justice, afin de faire constater qu'on lui refuse l'accès.

La même après-midi, Pierre Bellanger tient une conférence de presse dans son bureau du cinquième étage de la station. Sur les images, on découvre un «chevalier Bellanger», nom de son personnage de radio, très ému. «Ma grande famille, c'est l'équipe de Skyrock, s'épanche-t-il. Ils vont sauver Skyrock par leur acte de résistance.»

Les enjeux de l'affaire s'éclairent lorsque l'on se penche sur l'audience de la radio et notamment ses rendez-vous phares, les émissions des animateurs Difool (Le Morning et Radio libre) et Fred (Planète Rap). La station de la rue Greneta est en tête sur la tranche des moins de 25 ans et le soir, La Radio libre de Difool atteint des niveaux records, avec la meilleure audience toutes radios (généralistes et musicales) et tous âges confondus, dont 41,5% de part de marché sur les 13-24 ans, selon la dernière étude 126 000 de Médiamétrie.

«Nous estimons que les résultats du groupe ne sont pas à la hauteur de ses audiences», indique Lise Fauconnier. Du côté de l'équipe de Skyrock, on estime avoir fait la preuve de sa rentabilité pendant des années. «Nous n'avons pas subi les conséquences de la crise économique en 2009, mais en 2010, souligne Pierre Bellanger. Le résultat net 2010 n'est déficitaire que de 200 000 euros. »

En parallèle de cette guerre des chiffres se joue une partie d'échecs en terme de communication. Outre une antenne largement consacrée aux événements et des appels à la mobilisation de ses auditeurs, l'équipe de Skyrock active ses réseaux politiques – au PS notamment - Malek Boutih, membre du bureau national du PS, est aussi directeur des relations institutionnelles de la radio. De nombreux hommes politiques défilent à l'antenne, de Jack Lang à François Hollande qui a fait de la jeunesse son thème prioritaire, en passant par François Bayrou.

«Skyrock a longtemps évolué sous le radar, se félicite Pierre Bellanger. C'est-à-dire qu'elle ne figurait pas dans le champ de vision de nombreux décideurs et de certaines institutions. Désormais, Skyrock est un grand média, aussi puissant sur la nouvelle génération que ne le sont TF1 ou RTL sur des cibles plus adultes.»

Pendant ce temps, Axa Private Equity, conseillé par l'agence Image 7 dirigée par Anne Méaux, laisse fuiter dans la presse des informations embarrassantes pour Pierre Bellanger. On apprend qu'il aurait signé les mandats de vente comme son actionnaire majoritaire et que son salaire annuel aurait été porté à 620 000 euros. «Pierre Bellanger a la faculté de vendre, mais pas la volonté», confie-t-on chez Skyrock.

La bataille fait rage aussi en matière d'éléments de langage. D'un côté, «la radio de la nouvelle génération» qui organise «la plus grande manifestation virtuelle» pour défendre la «liberté d'expression et de ton» de sa radio favorite. De l'autre, une volonté affichée de conserver «le format actuel de Skyrock», «l'ensemble des équipes» et de démentir toute «suppression de postes» et autres «plans d'économies».

En toile de fond des différends entre les deux actionnaires figure aussi le déclin des Skyblogs, expliqué par l'émergence de Facebook. «Nous sommes un réseau social générationnel, face à un réseau social universel, estime Pierre Bellanger. Nous étions seuls sur notre créneau, mais l'émergence de Facebook nous a obligés à repenser notre écosystème.»

Contacté par Stratégies, le CSA reste prudent. «C'est une affaire privée, tant qu'elle reste dans les limites de la loi de 1986 et que la convention signée est respectée, explique Patrice Gélinet, président du groupe de travail «radio» de l'autorité audiovisuelle. La station a maintenu ses programmes, l'antenne est maîtrisée et la publicité diffusée.»

Le prochain épisode du conflit comportera deux intrigues: l'avocat d'affaires Jean-Michel Darrois, l'un des plus puissants de la place de Paris, a été choisi comme médiateur des deux parties, et le 30 avril prochain, Skyrock projette d'organiser un grand concert gratuit de soutien, place de la Nation à Paris.

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