Medias
Rémy Pflimlin, président de France Télévisions, s'explique sur ses choix de programmes et le mauvais été de France 2.

Télérama, Les Inrocks, Libération... La presse supposée la plus bienveillante à l'égard du service public a la dent dure vis-à-vis de France Télévisions. Comment l'expliquez-vous?

R.P. Je ne sais pas s'il y a une presse bienveillante vis-à-vis du service public. Nous sommes sous les feux croisés de la critique. Nous avons mis en place une nouvelle organisation, une décentralisation des antennes et négocié un nouveau contrat d'objectifs et de moyens. Les critiques sur des choses superficielles me paraissent peu pertinentes. Avant l'été, toute la presse a salué notre couverture du mariage de William et Kate, du 14 Juillet ou du retour des corps des soldats d'Afghanistan. Un mois après, rien ne va plus.

 

Entre-temps, il y a eu L'Étoffe des champions sur France 3 et Partez tranquille, France 2 s'occupe de tout. Deux émissions que vous avez arrêtées faute d'audience.

R.P. Et 5 Touristes qui a duré un mois et qui n'a pas été non plus un succès.... Nous avons fait le choix de mettre à l'antenne une trentaine de nouveautés, donc d'innover, de lancer des programmes dans un certain cadre budgétaire plutôt que de nous contenter de rediffusions. Certains ont marché, d'autres pas, car ils ne correspondaient pas à nos territoires naturels, parce qu'ils n'avaient pas assez de moyens et se sont heurtés à une programmation difficile face à des émissions concurrentes de télé-réalité.

 

Mais vous-même, avec 5 Touristes ou L'Étoffe des champions, vous avez fait un peu dans la télé-réalité, même si vous parlez de télévision du réel, non?

R.P. Non. Je ne ferai jamais de la télé-réalité. Ce genre est associé, dans l'esprit de certains, à la télé poubelle. Nos territoires sont ceux du vivre-ensemble, de la compréhension mutuelle, de l'échange culturel. C'est pour cela qu'on ne retrouvera pas chez nous de mécaniques d'humiliation ou d'élimination. Maintenant, on a toujours fait des émissions avec des gens. Notre télévision n'est pas que d'enquête ou d'information. Il y a aussi une fonction de projection et d'identification que l'on retrouvera dans Une semaine sans électricité (sur France 2) ou dans 200 km à la ronde (France 5). Notre écriture télévisuelle ne peut pas être la même qu'il y a vingt ans. Prenez Apocalypse: cette série documentaire a plu car elle a une façon d'intéresser avec une écriture proche du cinéma et des plans plus courts.

 

En déprogrammant des émissions, le service public recourt à des méthodes qu'on connaissait davantage sur les chaînes privées. Quels sont les programmes soumis à des clauses d'audience?

R.P. Toutes les émissions de flux. Passé un certain délai - la fin de l'année pour les programmes de la rentrée -, je pense qu'il vaut mieux mettre à l'antenne autre chose si l'audience ne remonte pas. Cela ne se faisait pas jusqu'à présent par crainte d'une pénalité en image. Moi, je pense qu'il vaut mieux privilégier la relation au téléspectateur.

 

Dans son livre (1), Patrice Duhamel, ancien directeur général de France Télévisions, dit que pour ne pas dégrader ses relations personnelles avec le chef de l'État, il aurait dû recruter Cyril Viguier. Est-ce pour la même raison que cet animateur dispose d'une émission le vendredi sur France 3 et que Pierre Sled a été recruté?

R.P. Pierre Sled est un bon professionnel que je connaissais avant ma nomination. Quant à Cyril Viguier, il a proposé un format qui a intéressé France 3. Il a de l'entregent et a su se montrer convaincant. Mais on me parle toujours du même animateur, sur les cent qui travaillent sur nos antennes. Il faut arrêter avec ce maccarthysme ambiant envers des gens supposés marqués par leur proximité avec le chef de l'État. Cela me donne plutôt envie d'aller dans le sens inverse. La notion d'indépendance est consubstantielle au service public. Je la respecte trop pour subir une sorte de diktat même si je sais que certains prétendent qu'ils sont sur une prétendue liste et que s'ils ne sont pas retenus, cela prouve bien qu'on est soumis à ce diktat. J'ai été patron de PQR, de France 3. Si je démarrais dans le métier, tout cela ne me paraîtrait pas dérisoire. Tout se joue d'abord sur l'information. Et il n'y a pas le moindre soupçon sur l'indépendance de nos rédactions.

 

Vous devez en vouloir à Nicolas Sarkozy d'avoir modifié le mode de nomination dans l'audiovisuel public. Avec une procédure à l'ancienne, vous ne pensez pas que vous auriez été élu par le CSA?

R.P. Non, car je n'aurais pas été candidat. Il aurait fallu que je démissionne de Presstalis pour être auditionné par le CSA, ce que je n'aurais pas fait compte tenu de mes responsabilités. Pour avoir un management légitime, il vaut mieux une désignation.

 

Nicolas de Tavernost, le président de M6, estime qu'il faut attendre 2016 et l'arrêt de la publicité sur France Télévisions pour lancer de nouvelles chaînes sur la TNT. Pensez-vous que la publicité sera totalement supprimée de vos antennes à cette date?

R.P. Je n'ai pas à porter de jugement sur le fait que la publicité sera, ou pas, supprimée sur France Télévisions en 2016. Il y a une loi, et elle dit que la publicité sera arrêtée en 2016. Je constate que le Parlement n'a rien fait pour que cela change. Il n'y a d'ailleurs pas de changement de règle pendant mon mandat puisque le contrat d'objectifs et de moyens est aussi sur cette durée. Maintenant, il est difficile de se projeter en 2016: quelle sera la politique culturelle ou le contexte économique?

 

Mais seriez-vous favorable, à titre personnel, à sa suppression totale?

R.P. Tout dépendra alors de l'état des finances publiques. Avec les finances de 2011, ce sera difficile.

 

Pour Nicolas Sarkozy, la suppression de la publicité devait permettre à la télé publique de mieux se différencier. En débauchant de M6 ou W9 Laurent Boyer, Virginie Guilhaume ou Alexandre Devoise, France Télévisions ne vient-il pas imiter l'offre privée?

R.P. Non, car ces animateurs ne font pas chez nous ce qu'ils faisaient ailleurs. Soyons sérieux, sur les chaînes privées dominent la télé-réalité et les séries américaines. On n'y trouve pas comme chez nous un documentaire ou un magazine d'information en prime time. Je constate d'ailleurs que cet écart va grandissant.

 

Vous lancez prochainement une nouvelle plate-forme numérique d'information avant de vous attaquer au sport. Quel est l'objectif?

R.P. Notre mission est de parler au plus grand nombre et de créer du lien, pas seulement de manière linéaire. On peut voir en direct, revoir au travers des services de télévisions de rattrapage, et partager en s'appuyant sur les réseaux sociaux. L'émission de Laurent Ruquier, par exemple, est la plus téléchargée après Plus belle la vie.

 

La régie publicitaire doit-elle s'adapter à ces nouveaux formats?

R.P. Oui, la régie doit suivre et s'adapter. Elle le fait déjà. J'observe d'ailleurs qu'elle devrait atteindre les objectifs commerciaux que nous lui avons fixés [425 millions d'euros de recettes publicitaires au budget 2011 contre 440 millions d'euros en 2010]. Philippe Santini, le directeur général de France Télévisions Publicité, a toute ma confiance.

 

Vous annoncez cinquante nouveaux programmes régionaux sur France 3. Pourtant, le comité central d'entreprise dénonce l'absence de vision stratégique pour les antennes régionales, la diminution des JT régionaux et le recours à l'externalisation de la production...

R.P. France 3 est la chaîne de la proximité et de la culture partagée. Nous sommes en train de construire notre vision stratégique. Les programmes régionaux se développent à géométrie variable et la chaîne doit apporter de la proximité avec un ancrage très local. Mais cette dose de régionalisation doit encore être définie pour combler l'écart entre les petites et les grandes villes. Nous réfléchissons à une forme de syndication, de mise en commun. Quant au 19-20, on le densifie en commençant à 18h58 plutôt qu'à 18h51 et on clarifie ses horaires avec l'information régionale de 19h à 19h30 et l'édition nationale à 19h30.

 

Allez-vous clarifier l'image de France 4?

R.P. Oui, avec France 4 nous allons viser les 20-30 ans aux pratiques culturelles et aux préoccupations bien différentes de celles des adultes ou des plus jeunes. Ils consomment peu les médias installés. Cet objectif est stratégique pour France Télévisions. France 4 doit permettre à cette cible d'intégrer le service public. La chaîne va bénéficier de choix éditoriaux forts avec de nouvelles écritures et du sport comme le foot féminin.

 

Avez-vous peur d'être débarqué en cas de victoire de la gauche en 2012?

R.P. Non. Je ne me situe pas dans cette perspective. Les enjeux de création ou de référence sur l'information sont plus importants. Il faut installer les stratégies dans la durée. Et puis, je n'imagine pas un gouvernement changer comme cela les présidents de chaînes publiques.

Suivez dans Mon Stratégies les thématiques associées.

Vous pouvez sélectionner un tag en cliquant sur le drapeau.