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Les hackers journalistes et cybermilitants jouent un rôle dans la lutte contre la répression dans les dictatures arabes. Ils inspirent aussi les médias alternatifs tunisiens…

Ce 13 janvier, cela fait un an que Ben Ali, dans un ultime sursaut pour sauver son régime, a rétabli le libre accès à Internet en Tunisie. La veille, une délégation de journalistes et de hackers est reçu à la résidence de l'Ambassade de France, à la Marsa. Ordinateur portable en mains, Olivier Laurelli, un cyberactiviste de Reflets.info (dit «Bluetouff»), interpelle l'ambassadeur Boris Boillon, dont le garde du corps-doublure se tient sur le qui-vive, prêt à bondir: «On n'a pas le matériel pour craquer votre réseau, mais sachez que votre serveur n'est pas vraiment sécurisé», toise celui qui est par ailleurs responsable en sécurité informatique.

Invité à s'exprimer lors du colloque 4M Tunis, organisé par CFI les 12 et 13 janvier, Reflets.info fait partie ce ces nouveaux sites au croisement entre l'information et le cyberactivisme. Sur les traces de Wikileaks, auquel la révolution tunisienne doit la révélation de 17 câbles diplomatiques américains qui a contribué à faire chuter le despote, le site revendique l'anonymat comme mode de communication – mails chiffrés, chats sécurisés – et garantie d'intouchabilité pour les livreurs de données. Avec son compère de Reflets.info, Pascal Hérard, un informaticien devenu journaliste et animateur à Radio libertaire, il n'est pas très éloigné des Anonymous qui ont paralysé les sites gouvernementaux du temps de Ben Ali. Mais leur mouvance est surtout celle des Telecomix, qui se sont distingués en offrant une connexion aux opposants égyptiens en plein blackout d'Internet.

Cette fois, ils se félicitent de jouer un rôle dans le contournement de la censure syrienne et la lutte contre la surveillance généralisée de la population. Leur dénonciation de la société française Amezys, qui a vendu le matériel d'espionnage au régime de Bachar Al Assad, a été reprise et approfondie par le site Owni.fr. A la paralysie des connexions propre aux Anonymous, les Telecomix préfèrent le rétablissement de communications sécurisées aux profit de mails et de vidéos expédiés anonymement hors du pays. «S'il n'y avait pas Telecomix, les gens seraient arrêtés et torturés en sortant des infos», affirme Pascal Hérard. Leur action, reprise dans le Wall Street Journal, commence à faire parler d'elle aux Etats-Unis: la société américaine Blue Coat, qui a permis à la censure syrienne de se connecter aux opposants, a donné lieu à une enquête du département d'Etat américain et à une lourde amende pour contournement de l'embargo sur ce pays.

Pour les médias alternatifs tunisiens, nés de la révolution, ce cyberactivisme peut être source d'inspiration. D'autant que les médias traditionnels restent aux mains d'acteurs de l'ancien régime et que le nouveau pouvoir islamiste, qui vient de procéder à des nominations dans la télé publique, l'agence de presse gouvernementale TAP ou le quotidien La Presse, menace de filtrer l'Internet tunisien au nom de la protection des mineurs contre la pornographie. Certains, dans la mouvance de l'opengov., tels Khaled Ben Driss, militent pour que le droit d'accès au Web soit inscrit dans la Constitution et pour un portail de données publiques permettant des «analyses journalistiques plus approfondies». Mais encore faut-il que ces données soient fiables et hors de tout soupçon de manipulation. Alors pourquoi pas la vigilance des hackers? «Tout ce qui est d'intérêt public doit être public», estime Riad Guerfalli, du site Nawaat, qui avait publié les câbles diplomatiques de Wikileaks.

Voulant allier militantisme, engagement et information, Nawaat forme (avec le soutien de CFI) dans les maisons de jeunes de plusieurs villes des blogueurs citoyens qui sont autant de vigie de la démocratie. Khelil Ben Osman, de Fhimt.com, relate que son site a recours à la communauté des sources sur Internet («crowdsourcing») non seulement pour de la data visualisation comme une carte permettant de situer la centaine de partis politiques tunisiens mais aussi pour les traductions collaboratives ou la chasse aux rumeurs («Qu'est-ce qu'il t'a dit?»). «En libérant l'information sur le clan Trabelsi, on montre que le système est profondément injuste. Quand tout le monde a accès aux secrets, le roi est nu», relève Fabrice Epelboin, confondateur de Fhimt.com, site qui est la transcription en arabe de «Je vous ai compris...»... Les derniers mots de Ben Ali au pouvoir.

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